La région possède de nombreux monuments, témoins des générations qui nous ont précédés et porteurs d’histoires que le visiteur aime à découvrir. Car le passé est aussi riche que le présent ! Ainsi, les propriétaires des châteaux qui, tout au long des siècles, ont laissé leurs empreintes et connu des fortunes diverses. Depuis quelques années, le château de Bouteville en Charente (classé monument historique en février 1984) est en pleine renaissance grâce au Grand Cognac que préside Jérôme Sourisseau. Comme à Jonzac où la municipalité fait restaurer de belle façon le châtelet où sera aménagé un futur musée, les élus charentais ont tenu à ce que Bouteville continue à siéger sur son promontoire, en souvenir du temps d’avant. Une situation imposante qui attire le public, heureux d’entrer dans les arcanes des bâtisseurs que les érudits mettent en lumière. Restauré, le vaste édifice proposera des salles de réunion et des espaces fonctionnels destinés à accueillir des manifestations.
Le château de Bouteville a fière allure sur son promontoire |
Ce jour-là, le soleil brille, la campagne est accueillante et le château joue à cache cache avec ceux qui cherchent à pénétrer ses secrets. Que dissimule cette longue façade gardée par une tour autrefois majestueuse que les ans ont altérée de sérieuse façon ? Il revient de loin, ce château ! Suivons notre guide, Jean-Paul Gaillard, membre de la société des Archives historiques de l’Aunis et de la Saintonge, passionné par le château de Bouteville avec son épouse Dominique.
Jean-Paul Gaillard est passionné par le château de Bouteville. Jean sans Terre, roi d'Angleterre et son épouse Isabelle d'Angoulême, y auraient séjourné plusieurs fois |
Le premier texte faisant référence à Bouteville date de 866. Il y a quatre ans, avant que ne commence le chantier de restauration, un diagnostic a été effectué par l'INRAP à la demande de Grand Cognac qui voulait en savoir davantage sur la qualité archéologique du site. Des sondages ont eu lieu notamment à l'entrée : on a trouvé des silos, des fosses aménagées dans le rocher et de la céramique datant de l'époque carolingienne. La légende prétend que sur le site, se trouvait une villa gallo-romaine. « Cette hypothèse paraît improbable car ces grandes exploitations agricoles étaient plutôt situées dans la plaine » remarquent des spécialistes. D'après les dernières recherches au niveau toponymique, une zone aurait été occupée par les Wisigoths après la conquête romaine : « on a relevé l'implantation d'une habitation d'un nommé Boto ».
Au XIe siècle, il est fait mention de Bouteville : « Il est apporté en dot lors du mariage de Geoffroy Taillefer, le fils du comte d'Angoulême Guillaume IV, avec Pétronille, fille du seigneur d'Archiac ». L’histoire commence réellement quand il est question d’Isabelle Taillefer, fille du comte Aymar, et de Jean sans Terre, fils d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II d’Angleterre. La chronique raconte qu’alors promise à Hugues IX le Brun, elle a été enlevée par Jean sans Terre qui l’a épousée. Elle n’y perd pas au change puisqu’elle devient reine d’Angleterre. Simple question de pouvoir et de stratégie quant aux possessions des terres ! A la mort de son mari, elle convole en justes noces avec Hugues X de Lusignan, comte de la Marche… et fils de son ancien prétendant. De sa première union, elle a cinq enfants, neuf de la seconde.
Durant de nombreuses années, Bouteville a donc été une possession anglaise des Plantagenêt et le célèbre Richard Cœur de Lion (frère de Jean sans Terre) y serait passé : « on n'en a pas la preuve. Il guerroyait dans la région et il est mort à Châlus en Haute Vienne, ce qui n'est pas très loin. On évoque aussi la venue du Prince Noir. Cela n’a rien d’impossible. Lors des fouilles au château de Merpins, on a retrouvé de nombreuses monnaies du Prince Noir précisément » souligne Jean-Paul Gaillard. Et d’ajouter : « Sur notre territoire, la guerre de Cent Ans a débuté bien avant 1337 en raison de l'enlèvement d'Isabelle Taillefer. Les hostilités entre Anglais et Français ont commencé dès cette époque, les Lusignan se sentant humiliés tant dans leur honneur que leurs projets matrimoniaux ».
Des éléments de l'ancien château de Bouteville |
Un sol d’origine (cuisine). Dominique et Jean-Paul Gaillard ont décapé deux bandes afin d'en présenter un aperçu à l’architecte. Lequel a décidé de conserver le dallage d’origine. |
Château de Bouteville exécuté par Claude Chastillon, ingénieur et topographe d'Henri IV. On remarque de jardins à l'avant |
Après les hostilités, le royaume est réorganisé par Henri IV et la châtellenie est engagée à Bernard de Béon du Massès, béarnais d'origine. Dans le contrat, il est appelé à reconstruire le château. On lui donne une valeur maximale de bâtiments à édifier et on lui demande de faire constater les travaux par l'administration. Ils commencent en 1594. En 1599, il se marie en secondes noces avec Louise de Luxembourg. Le contrat de mariage est signé chez un notaire de Gimont, à côté d'Auch. Dans ce contrat, il est dit que le château est en cours de construction et que la dot de l'épouse servira à poursuivre les aménagements. Un dessin de Chastillon, topographe du roi Henri IV, montre le château en cours d'aménagement. « Ce croquis est vraiment à interpréter. Presque tout est juste, sauf que presque tout est faux ! » estime Jean-Paul Gaillard.
Béon de Massès décède en 1607 à Paris. Enterré dans l'église des Cordeliers qui n'existe plus, il a donné son cœur de la ville de Saintes. Il se trouve dans la cathédrale de Saint-Pierre accompagné d’une plaque d'ardoise avec une épitaphe. Il était lieutenant général du Roi des provinces d'Angoumois, Saintonge, Aunis, Périgord et Limousin.
Travaux en cours. Seront proposés salles de réunion et espaces permettant d’accueillir des manifestations |
A gauche, la verrière |
Une vaste campagne de travaux de réhabilitation |
En 1624, le château est achevé. Toutefois, le programme de sculptures a été arrêté faute de moyens (ainsi que les écoulements pluviaux). Selon Paul de Lacroix, « Bernard de Béon du Massès et Louise de Luxembourg firent bâtir le château de Bouteville sur une vaste plateforme quadrangulaire. La façade principale, qui a vue au levant, était flanquée de deux énormes tours. Un crénellement continu, surmontant les toits de tout l’édifice, lui donnait de loin l’aspect d’une forteresse, mais on s’apercevait bien vite que ces créneaux n’étaient qu’un ornement gracieux ».
Le domaine reste dans la maison de Béon de Massès jusqu'en 1726, puis il est occupé par Henri de Bruzac-Hautefort qui fait procéder à des transformations. En 1788, le comte d'Artois commence sa rénovation. À la Révolution, le château est vendu comme bien national à la suite de l'émigration de son propriétaire. Il est acheté par un marchand de Bouteville, Antoine Marcombe. Ses descendants finissent par vendre, entre 1892 et 1895, la cheminée monumentale de la grande salle, des sculptures de la grosse tour, les merlons décoratifs de l’aile principale.
Dans les années 1930, suivent Richard de Segonzac et, à partir de 1935, la famille Joyet. Livré à lui-même, le château est vandalisé et pillé. Préoccupées par le devenir de ce fleuron, plusieurs associations de sauvegarde se succèdent et tirent la sonnette d'alarme. En 1984, le château est classé monument historique. En 1994, il devient propriété de la commune pour le franc symbolique avant d’être confié à la Communauté de Communes de Châteauneuf (qui sauve l’aile Est, la petite tour et le pont). Depuis 2017, la Communauté d’Agglomération de Grand Cognac y mène un projet ambitieux de préservation et de valorisation. Le montant de l’ensemble des travaux et études est estimé à 4,7 millions d’euros.
La cour intérieure |
L'entrée actuelle |
• La 3ème phase des travaux est en cours d’achèvement. Elle concerne le porche, la grande salle, la verrière, etc. Une 4ème phase est prévue en 2024.
La restitution de la cheminée Renaissance, financée sous forme de mécénat par le groupe Campari, a été confiée à un compagnon, Marc Deligny. L’entreprise Dagan fournira les pierres et effectuera le montage (Au XVIe siècle, le calcaire fin avait été extrait à Saint-Même dans une couche qui n’existe plus). Des relevés seront faits sur la cheminée initiale qui se trouve à Bourg sur Charente (sculptures etc). Les moulages seront réalisés à base de résine.
Croquis de la cheminée |
• Escalier typique du XVIe siècle remarquable. En effet, il s’agit du premier escalier rampe sur rampe construit à l’intérieur d’un bâtiment dans la région.
• Des frises ornent plusieurs pièces d'habitation
• La salle des échos, voûte en arc de cloître : on perçoit les conversations à chaque extrémité comme si on avait un casque stéréo sur les oreilles !
• L'une des tours présente des faiblesses et une partie s’est effondrée (au milieu du XVIIIe siècle, elle avait quatre grosses fractures d'après un procès-verbal de 1765). Ce qui ne surprend pas les spécialistes : « les pièces à l’intérieur étaient carrées avec des fenêtres et des cheminées. L’ensemble n’a pas résisté »
• A voir sur les murs des graffiti de bateaux réalisés par des prisonniers espagnols détenus à Bouteville au XVIIIe siècle (1794), capturés sur le bateau de guerre Alcudia durant la guerre franco-espagnole. Mis à la disposition de la population pour travailler dans les champs, ils sont restés trois à quatre mois. Par la suite, certains se sont mariés dans la région.
• Le château de Bouteville en Charente, édifice classé Monument historique depuis le 28 février 1984, appartient à la commune. Il était à l’état de ruine depuis 1950. Les travaux entrepris ces dernières années consistent à réhabiliter et aménager l'ensemble des bâtiments.
Le porche entièrement reconstitué |
• Faisons nôtre cette réflexion de Paul de Lacroix : « De tous les points de la plateforme, on jouit d’un magnifique coup d’œil. On aperçoit Angoulême, Matha, Cognac, etc. C’est une des plus belles positions de l’Angoumois, et aussi l’une des plus riches en souvenirs historiques, par l’importance et la multiplicité des événements qui s’y sont accomplis. On dirait que les gloires de toutes les époques s’y étaient donné rendez-vous. Le poète et l’historien, qui s’en vont glanant à travers les souvenirs de notre histoire, trouveront à Bouteville toute une résurrection de siècles évanouis, et on peut leur prédire à coup sûr de grandes et fécondes impressions » !
Vue imprenable sur la campagne charentaise |
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