mardi 24 mai 2016

Rencontre avec le pianiste Mikhaïl Rudy
à Fontaines d'Ozillac en 2010

Mikhaïl Rudy : 
« Je laisse la musique m’envahir. C’est un acte mystique,
 je vis ainsi »

En concert à Cognac jeudi 26 mai, Mikhaïl Rudy est venu dans la région en 2010, invité par Ghislaine Pineau à qui l'on doit de nombreuses soirées en l'église de Fontaines d'Ozillac (près de Jonzac). Le pianiste avait suscité l’enthousiasme du public. Retour sur cet événement...

Mikhaïl Rudy en concert à Fontaines d'Ozillac (© Nicole Bertin)
Connu mondialement, ce pianiste d’origine russe possède en lui une énergie créatrice qu’il est difficile de ne pas ressentir. Il rayonne, comme si la tristesse de son enfance - sa famille a été déportée par le régime soviétique en Ouzbékistan – l’avait conduit dans une autre dimension pour atténuer les blessures laissées en son cœur par l’incompréhension. « La musique est entrée dans ma vie presque par hasard » dit-il. Un hasard qu’on pourrait qualifier de “surnaturel” sans cette volonté farouche d’exister qui se devine derrière un regard déterminé.
Survivre à l’adversité, Mikhaïl Rudy le prouve. Sa souffrance n’a pas été vaine. Par le partage, il incarne non seulement le talent ; il est aussi le gardien des mânes, celles qui le protègent et guident son destin.
Imaginez sa première expérience avec la musique « dans un souterrain en ruine », une adolescence « dans le quartier chaud d’une ville ouvrière du sud de l’Ukraine entouré de bandes rivales qui se battent au couteau et sa résistance aux agents du KGB à Moscou », puis le bout du tunnel avec le Conservatoire Tchaïkovski à Moscou, son succès au Concours Marguerite Long à Paris et l’asile politique demandé à la France… Son combat est une réalité.


Les personnes présentes au concert organisé à Fontaines d’Ozillac avaient devant elles un être d’exception. Un prince lointain qui joue sans partition. Tombé sous le charme, en communication avec l'artiste, le public a vogué au gré des rythmes contrastés que le musicien leur a offerts. Scriabine, Moussorgski et Chopin étaient inscrits au programme de ce rendez-vous romantique. La salle retenait son souffle, fascinée par ce musicien exigeant, soucieux d’une perfection empreinte de générosité et d‘une profonde humanité.

Au moment des rappels, il a souri, la main sur le cœur, comme si son esprit était revenu sur terre. Quelques minutes auparavant, il semblait flotter dans les arcanes du temps… Instant sublime. Emportée par cette magie artistique, la salle s’est levée et l'a applaudi longuement.

Y a-t-il un mystère Rudy ?

Sans doute ! Lors du verre de l’amitié organisé dans la salle municipale après le récital, il lève un pan du voile. Pour lui, tous les lieux sont uniques. Petite église de Saintonge, vaste scène dans une capitale : « j’aime la diversité, quel que soit l’endroit, au bout du monde, en Australie ou à Fontaines d’Ozillac. Différents, tous les publics me touchent. La musique est émotion. Je suis un intermédiaire entre la musique et le public. Quand je joue, une force m’envahit » avoue-t-il. Soucieux de son art, sensible au sens esthétique, il craint le grain de sable qui viendrait altérer cette alchimie.

Le pianiste avec Ghislaine Pineau

Singulière, son histoire a façonné sa personnalité. En perpétuel mouvement, il concrétise de nombreux projets. Outre ses récitals, il a réalisé avec Robin Renucci le spectacle "le pianiste", tiré du livre de Wladyslaw Szpilman, salué unanimement par la critique. Une nouvelle production de "The pianist" sera présentée au festival de Hong Kong, après Singapour. Cette année, à Paris, il joue à la Cité de Musique « Tableaux d’une exposition » de Moussorgski, avec projection simultanée des esquisses de Kandinsky. Sans oublier son duo « Double dream » avec le pianiste de jazz, Misha Alperin.

Sur le chemin de l’existence, Mikhaïl Rudy poursuit son “œuvre”. L’entendre à Fontaines d’Ozillac était un privilège. Un grand merci à Ghislaine Pineau et à son association.

• Mikhaïl Rudy a fait ses débuts en Europe à l’occasion des 90 ans de Marc Chagall, peintre dont il a été proche dans ses dernières années. Ses quêtes spirituelles dans les monastères orthodoxes ou dans l’Himalaya, ses réflexions artistiques, ou encore ses rencontres avec les plus grandes personnalités (Rostropovitch, Noureev, Karajan, Messiaen, Chagall) sont relatées dans son livre « le roman d’un pianiste, l’impatience de vivre » paru aux éditions du Rocher.

La soirée organisée à Cognac le 26 mai 


Jeff Mills a proposé à Mikhaïl Rudy, pianiste de formation classique mais curieux de toutes formes d’expression artistique, de l’accompagner en musique et en images dans une exploration spatio-temporelle inspirée notamment de L’Enfer, film inachevé d’Henri-Georges Clouzot (1964), très lié à l’art cinétique.
« Qui dit collaboration artistique dit, selon moi, absence totale de compromis, de confort ou de lien de subordination ; il peut même arriver que la démarche réussisse bien au-delà de ce que l’on espérait, mettant au jour quelque chose de nouveau et de révolutionnaire qui ne pouvait se réaliser qu’à travers une pensée libre de toute contrainte. C’est ce qui est arrivé avec Mikhaïl Rudy. J’ai eu envie d’explorer avec lui la notion de Temps, qu’on envisage celui-ci à travers le prisme de la durée, de l’évolution ou bien sous l’angle spatial, selon que celui-ci réunit - ou sépare - les êtres. Ce processus nous a demandé un certain nombre de discussions et de rencontres. Il nous a fallu « disséquer » le sujet, éclaircir nos idées obscures et faire émerger notre vision avant de pouvoir enfin proposer au public notre représentation du Temps en musique et en images ».

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