candidat au Patrimoine Mondial de l'Unesco
Vendredi matin. Le soleil brille et la mer est calme, conditions réunies pour se rendre au phare de Cordouan. Sur le port de Royan, un groupe se presse sur le quai, en l'attente du Jules Verne III. Parmi les Saintongeais, bientôt rejoints par les Aquitains venant de l'autre rive, se trouvent Didier Quentin, député, Jacky Quesson, représentant le Smiddest, Marie Pierre Quentin, Michel Parent et Pascal Ferchaud, conseillers départementaux, Bernard Giraud, élu royannais à la mine estivale, différents responsables et journalistes invités à découvrir les importants travaux entrepris sur le phare. L'association de sauvegarde a un rêve : que Cordouan appartienne au patrimoine mondial de l'Unesco, une première sélection ayant lieu en juin prochain. La route est encore longue puisque s'il est retenu, il ne devrait pas être inscrit sur la liste officielle avant 2020.
La traversée s’engage, ponctuée de rires et de grands bols d'air. L’estuaire de la Gironde, le plus grand d’Europe, est un royaume à part, un espace où l’on pêche le maigre, le poisson qui grogne !
Situé au large de Royan, le charme du phare de Cordouan réside en sa situation. On y aborde à des heures précises, en fonction des marées. Quand l’eau se retire, un banc de sable se dévoile qui s’étire en longueur. Chassant les mouettes pour un court moment, les touristes peuvent y jouer les Robinson Crusoé… sans crainte d'être abandonnés. Le dépaysement est d’autant plus précieux qu’il est à temps compté. Bientôt, les vagues recouvrent cette terre avec la promesse de la dévoiler encore et encore, selon une chronologie immuable. De l’éphémère, naît une étonnante sensation ! Depuis 2009, née des jours d'avant, s'ajoute la fameuse île de Cordouan apparue comme par enchantement après la tempête Klaus.
Lorsqu'elle apparaît en ligne de mire, le phare est à quelques encablures. Il se dresse comme une sentinelle. Autrefois, l'arrivée était tout un périple. Livré aux éléments, le visiteur débarquait dans l'eau, pataugeant et jaugeant avant de rejoindre la longue allée pavée. Cet "abordage" donnait à la sortie un aspect "folklorique" et nombreux ont connu des surprises ! Les choses ont changé puisqu'un véhicule amphibie a été acquis l'an passé pour éviter ce baptême inopiné.
Le véhicule amphibie évite au visiteur de se mouiller les pieds ! |
Si le phare est propriété de l'Etat, il est géré depuis 2010 par le Syndicat Mixte pour le Développement Durable de l'Estuaire de la Gironde qui en assure le gardiennage et l'ouverture au public (20.000 visiteurs par an). Les départements de la Gironde et de la Charente-Maritime, ainsi que la nouvelle Région, apportent leur contribution financière à la gestion quotidienne du monument et au programme de restauration. Un comité de pilotage a été créé en 2012.
La sentinelle de l'estuaire |
Après une première campagne de travaux en 2013-2015 (étanchéité de la toiture du bâtiment annulaire, restauration des boiseries de l'appartement de l'ingénieur, de la porte de marée et de l'ossature de la lanterne), la campagne 2015-2017 concerne la restauration extérieure de la partie basse du fût Renaissance (faces Sud et Est). Deux autres tranches suivront jusqu'en 2021 (faces Ouest et Nord, chapelle). « Le sel attaque la pierre et les joints, creusant et rongeant le phare de l'extérieur. Sur le phare, on remplace ou on laisse en l'état la pierre. En effet, un ré-agréage n'est pas possible, il ne résisterait pas aux dures conditions météorologiques » souligne l'architecte en chef des Monuments Historiques Michel Goutal.
Visite guidée par Michel Goutal, architecte en chef des Monuments Historiques |
Tout acheminement de matériel est une contrainte, le phare étant situé à sept kilomètres de la côte. « Nous avons effectué un premier hélitreuillage en début de saison, échafaudage, première cargaison de matériel, pierres, sable et chaux. Une second aura lieu en janvier pour réapprovisionner en matériel. Le reste est acheminé par bateau. Soit au total 25m3 de pierres » précise Frédéric Tranchant, directeur des Compagnons de Saint-Jacques. Les conditions de travail peuvent s'avérer extrêmes quand le vent souffle fort et que les courants sont violents. Confrontée à un tel environnement, la durée de vie de la pierre est forcément limitée.
L'histoire de Cordouan est un perpétuel défi à la nature. A l'époque de sa construction, il y avait sur place « six tailleurs de pierre, 17 maçons et un nombre infini d'ouvriers ». L'œuvre est considérable et doit le rester, c'est pourquoi le phare, dernier au monde à être ouvert à la visite, est l'objet de toutes les attentions. D'où son inscription sur la liste des biens susceptibles d'être inscrits au Patrimoine mondial de l'Unesco. En 2015, la DRAC a lancé officiellement la candidature de Cordouan. La sélection est drastique, chaque pays ne faisant qu'une proposition unique chaque année. Dans la région, on porte fermement et fièrement le dossier !
Un bel hommage à Cordouan
Après la découverte du phare qui dévoila trésors cachés et audaces architecturales (en montant 311 marches jusqu'à la lanterne !), Béatrice Lagarde, préfet délégué représentant Pierre Dartout, préfet de la région ALPC, se réjouit de la restauration entreprise. Elle confia qu'elle n'avait jamais visité Cordouan bien que née à Grézac. Un regret qui s'explique par les coutumes et usages. Dans la région, on était soit pêcheurs, soit paysans, ces derniers n'ayant pas le pied marin. Alors, quand elles choisissaient la terre, les familles rurales s'aventuraient rarement sur les flots !
La fameuse lanterne |
Une grande banderole "Cordouan candidature Unesco" clôtura cette rencontre placée sous le signe du patrimoine et du sentiment profond qui anime les "acteurs" de cette rénovation. Celui de sauver un édifice de valeur qui unit bâtisseurs anciens et modernes avec la farouche volonté de conserver en l'état « la sentinelle de l'estuaire » et « de transmettre aux générations futures les valeurs architecturales, techniques et humaines qu'elle incarne ».
Nicole Bertin
Installé à Espartignac en Corrèze, l'équipe de Daniel Esmoingt participe à de vastes chantiers de restauration, de Versailles à Chambord et Cordouan. « C'est la première fois que je travaille sur un phare » dit-il. Sa mission est de restaurer les sculptures, mascarons, figures et chapiteaux érodés par le sel et les vents. Un métier minutieux comparable à « une médecine de la pierre ». Et le patient n'est pas docile ! « A Cordouan, nous avons souffert durant l'hiver avec quinze jours d'intempéries. C'est spartiate ! ».
Bien sûr, l'atelier se trouve sur place. Des maquettes en argile des parties endommagées sont faites à partir des éléments restants et de photographies anciennes, l'objectif étant de reproduire l'original. Quand la maquette a été validée par l'architecte, le sculpteur se met au travail. Une fois terminée, la pièce réalisée vient remplacer l'ancienne.
Diplômé des Beaux Arts, formé auprès de maîtres sculpteurs, Daniel Esmoingt est émerveillé par la beauté du site : « rares sont les phares où l'on trouve autant de sculptures ». La transmission du savoir-faire, du "geste" et des techniques est d'autant plus importante que les filières de formation ne sont pas légion : « Au sein de nos ateliers, nous essayons de former des jeunes ». Ainsi la relève sera assurée.
• Le chantier cesse avec les beaux jours pour reprendre après la Toussaint. En avril, l'entrée du phare est fixée à 5 euros (10 euros habituellement). A visiter l'appartement de l'ingénieur, l'appartement du roi, la chapelle royale, la salle des girondins, la salle du contrepoids, la salle des lampes, la chambre de veille et bien sûr la lanterne et son panorama. Une merveille de Charente Maritime !
Prouesses architecturales |
Un peu d'histoire
Contre vents et marées
Cette imposante construction possède une longue histoire. Longtemps, les bateaux se brisent dans cet estuaire où « la mer est quelquefois affreuse ». Selon la légende, l’îlot rocheux, appelé Antros, aurait été beaucoup plus étendu et un chemin d’une demi-lieu, accessible à marée basse, l’aurait rattaché à la Côte du Médoc.
Au XIVe siècle, le Prince Noir y ordonne l’édification d’une tour dotée de grands feux afin d’éclairer et guider les navires. Deux siècles plus tard, elle est en ruine.
Une première représentation de Cordouan |
En 1724, la partie supérieure de la tour est reconstruite par le Chevalier de Bitry, ingénieur en chef des fortifications de Bordeaux. En 1790, l'ingénieur Joseph Teulère, après avoir rehaussé le phare à 60 mètres au-dessus des plus hautes mers, met au point le premier feu tournant à réverbères paraboliques. Constitué de lampes à huile ou becs d'Argand, il est manœuvré par une machine construite par Mulotin, horloger à Dieppe. Le combustible était un mélange de blanc de baleine, d'huile d'olive et d'huile de colza.
Le premier appareil lenticulaire de Fresnel à système tournant est expérimenté à Cordouan en 1823. La lampe à trois mèches concentriques, approvisionnée à l'huile de colza au moyen d'une pompe aspirante et foulante, est placée au "plan focal" de l'appareil.
Modernité oblige, d’autres améliorations sont apportées. En 1948, l’électrification du phare est faite au moyen de deux groupes électrogènes autonomes. En 1984, une lampe de 450 W au xénon est installée, remplacée trois ans plus tard par une lampe de 2000 W aux halogènes. En 2006, le phare est automatisé et informatisé. Le CETMEF procède à la rénovation complète des équipements de signalisation maritime, en remplaçant à la fois les groupes électrogènes, l’automate de gestion, les bâtis et moteurs de rotation, le feu et son support. L'ampoule halogène de 2 000 W est remplacée par une nouvelle ampoule halogène métallique (HM) de 250 W.
Selon les spécialistes, Cordouan fait partie des pièces majeures du patrimoine maritime mondial. Comme tous les trésors, il est fragile et son statut de “monument historique” l'a protégé des intentions mercantiles de certains promoteurs. S'il devient effectif, son classement au patrimoine mondial de l'Unesco le mettra hors d'atteinte des tentations…
• L'info en plus
• Au moment de sa construction, le plateau rocheux de Cordouan, jadis appelé « îlot de Cordouan », s'élevait de quelques mètres au-dessus du niveau de la mer, y compris à marée haute, ce qui a rendu possible la construction de la Tour du Prince Noir, puis du phare en lui-même. Les travaux ont cependant nécessité la pose de défenses contre les flots, la mer attaquant violemment les constructions lors des plus grandes marées et des tempêtes.
• Environ 300 pierres de taille ont été extraites des côtes charentaises voisines pour édifier le socle de la tour, et l'on peut encore observer les nombreux fronts de taille sur les rochers à Saint-Palais-sur-Mer, et notamment près de la péninsule dite du Pont du Diable.
• Lors de sa mise en service, au XVIe siècle, le phare était constitué d'un petit dôme à huit baies fermées de vitraux. Dans un bassin, on brûlait un mélange de bois, de poix et de goudron. La fumée était évacuée par une pyramide creuse de 6,50 m de hauteur. Le feu était situé à 37 m au-dessus des plus hautes mers.
Gravure de Chastillon (XVIIe siècle) |
• Entre 2005, une gaine de béton de 70 mètres de long et de 8 mètres de hauteur a été construite sur le flanc ouest du bouclier afin de protéger le phare des assauts de la houle d'ouest qui entraînait des vibrations. Coût des travaux : quelque 4,5 millions d'euros.
• Le feu de Cordouan est situé à 60 mètres de hauteur. Il est produit par une lampe halogène de 250 watts : les extinctions périodiques sont programmées électroniquement, ce qui a permis de supprimer le cache et le mécanisme de rotation. Sa portée est de 22 milles marins pour le secteur blanc et de 18 pour les secteurs rouge et vert. C'est un feu à occultations en 12 secondes.
Coup de cœur : un phoque a élu domicile près du banc de sable de Cordouan ! |
PHOTOS NICOLE BERTIN
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