Engoncés dans leurs habits respectifs, Geoffroy de Sainte-Maure et son épouse Viviane de Polignac, dont nous découvrons les portraits dans la salle du conseil municipal, étaient seigneurs de Mosnac et il y a fort peu de chance qu'ils aient été comte et comtesse de Jonzac, contrairement à ce que l'on prétend. Leur fils, Léon, qui porta ce titre, tint-il à ce que ses parents aient une "ascension" ? Pourquoi pas ! Ce que nous savons moins, c'est l'histoire d'Isabeau de Sainte-Maure qui a possédé Jonzac de 1584 à 1623, pendant près de 40 ans ! Dommage que le livret édité par la CDCHS "le château de Jonzac, 1000 ans d'histoire" ait si peu évoqué l'histoire de cette femme qui semble avoir eu de l'importance en son temps...
Geoffroy de Sainte-Maure (XVIIe siècle) dont le portrait est exposé dans la salle du conseil municipal. Il ne semble pas avoir été seigneur de Jonzac... |
Marc Seguin, historien |
On a beaucoup travaillé après 1860, en Saintonge, en particulier. Les « Sociétés savantes » étaient nombreuses, souvent départementales, avec des chercheurs compétents. Chacun œuvrait chez lui, à l’intérieur de ses « frontières » et se gardait bien, par peur des représailles (polies, cependant), d’aller regarder chez le voisin. Chacun sait le sort malheureux des archives saintongeaises et, par suite, les difficultés documentaires. Il se trouve que Bordeaux, siège du Parlement et des principales autorités, a été pendant plusieurs siècles la « ville capitale ». C’est là, et à Paris, qu’il fallait chercher, mais c’était courir le risque de se heurter aux confrères des lieux.
Celui qui tente cette aventure est assuré d’une ample moisson, mais il certain aussi qu’on ne l’entendra pas. Ses découvertes seront tenues pour blasphématoires, surtout s’il est assez bon paléographe pour déchiffrer une écriture ancienne et déceler les erreurs des prédécesseurs ! Quel Jonzacais oserait s’élever contre les « vérités » énoncées par Rainguet en 1864 ?
Prenons pour commencer l’exemple des deux beaux portraits de Geoffroy de Sainte-Maure et de son épouse Viviane de Polignac qui ont retrouvé leur place ancienne au château, dans « leur » château, dit-on, ce qui n’est pas assuré. Les renseignements qui concernent ce couple sont tirés du t. XX (1892) des Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis où l’auteur, l’abbé Bertrand de Cugnac, se contente de quelques lignes (p. 42-43) sans indiquer ses sources. Le tout a été recopié dans Jonzac, un millénaire d’histoire (1973), puis dans l’opuscule consacré aux Portraits de famille. Pourquoi ne pas continuer ?
Geoffroy de Sainte-Maure, seigneur de Mosnac, catholique, aurait été un personnage remarquable, député de la noblesse aux Etats Généraux de 1614. C’est probablement tout à fait vrai. Les tableaux sont datés de 1614. Pourquoi pas ?
Mais ce qui est parfaitement faux, c’est l’inscription qui les accompagne : « comte de Jonzac », « comtesse de Jonzac ». Ce titre envié, on le sait, était celui de Léon de Sainte-Maure, le fils des intéressés. Celui-ci devient marquis d’Ozillac, châtellenie qui dépend du roi ; la décision est prise à Paris en décembre 1623 et surtout, ce qui compte, enregistrée par le parlement de Bordeaux le 2 mars 1624 (Arch. dép. Gironde, 1B 21, fol. 78 v°). Désormais, et par courtoisie seulement, (puisque la châtellenie de Jonzac est vassale de Saint-Germain-des-Prés), on accorde à Léon de Sainte-Maure, comme à ses successeurs, le titre de comte. On constate, parallèlement, que Jonzac, jusqu’alors systématiquement « bourg », devient « ville » à la fin de 1624.
Comment Geoffroy de Sainte-Maure aurait-il pu être « comte de Jonzac » dix ans avant son fils qui a inauguré le titre ? L’inscription litigieuse, qui paraît dater du XVIIe siècle, n’est pas l’œuvre d’un faussaire mais de quelqu’un qui était animé de bonnes intentions et tenait à placer Geoffroy de Sainte-Maure dans la suite des maîtres de Jonzac. Il était tout à fait normal que Léon de Sainte-Maure fît accrocher les portraits de ses parents dans son château tout neuf, mais si c’est lui qui a ordonné l’inscription, ce n’était pas honnête. Léon de Sainte-Maure, qu’on connaît bien mal, avait-il les vertus dont les historiens « officiels » le parent ?
Mais il y a bien pire : Geoffroy de Sainte-Maure ne peut pas avoir été seigneur de Jonzac. Il faut pour cela évoquer une dame qu’on connaît mal et qui est trop négligée : Isabeau de Sainte-Maure. Elle a tout de même possédé Jonzac de 1584 à 1623, pendant près de 40 ans. Qui dit mieux ? Elle était fille d’Alain de Sainte-Maure qui meurt en 1558 et de Françoise de Ponthieu (qu’on appelle trop souvent « Jacquette » depuis qu’un scribe un peu étourdi s’est trompé de prénom dans un arrêt célèbre de 1569). La mère est une protestante très agressive, les deux enfants – et le fils bâtard d’Alain – sont donc élevés dans cette religion. Le frère aîné, Jean, hérite de Jonzac, devient un chef huguenot dévastateur, épouse une bordelaise, Marguerite de Dieusaide de Montbadon (et non de Montbazin), veuve de René de Mabrun. Dément, il meurt à la fin de 1583, ce qui permet de lui faire signer un testament auquel il n’avait jamais pensé.
Voilà trois femmes à la tête de Jonzac :
Une douairière très exigeante et pressée de se remarier, Françoise de Ponthieu qui en est à son quatrième époux et a conservé des droits sur la châtellenie ; Isabeau de Sainte-Maure, la protestante, que ses coreligionnaires, majoritaires dans le bourg, aiment beaucoup ; la veuve de Jean, Marguerite de Dieusaide, qu'on enferme dans le château en décembre 1585, obligeant ses amis bordelais (dont le Maréchal de Matignon) à envoyer une petite expédition qui assiège (sans canon) la forteresse et la délivre.
On ne s’étonnera pas que les trop rares documents qui concernent Isabeau aient surtout trait à ses dettes et à ses difficultés financières. En outre, sa mère lui a probablement imposé un mari en la personne de Jacques Le Vasseur, seigneur de Coignée, qui doit être le fils du troisième mari de la dite Françoise. Le ménage est désuni, c’est le moins qu’on puisse dire, et (par chance) elle devient veuve en 1607, ce qui doit être exact.
« Elle lègue, nous assure-t-on, sa terre à son cousin Geoffroy de Sainte-Maure ». C’est à voir parce que la documentation subsistante ne va pas dans ce sens. En premier lieu, Isabeau de Sainte-Maure teste le 28 octobre 1623, donc après la mort de Geoffroy (Arch. dép. Gironde, 1B 841, pièce 175, du 12 juin 1631). En second lieu, on voit qu’elle est toujours « dame de Jonzac », qu’elle agit comme telle et qu’elle n’en laisse point les revenus à ses successeurs présumés. Le 26 janvier 1623, quand le notaire jonzacais Jean Couillaud (fort illisible) règle la succession Melquin, c’est à dire celle de la seigneurie de Beauregard, il ne manque pas de confronter certain jardin « du Roc » qui se situe à proximité du château, « pres la fuye (le pigeonnier) de Madame dud. Jonzac ». Ce pigeonnier qui devait accentuer le côté rustique des environs du château était bien celui d’Isabeau de Sainte-Maure, toujours vivante, et non d’un autre. (Arch. dép. Char.-Mar., 3E 113 / 60, fol. 1, 26 janvier 1623).
Enfin, le 15 novembre 1624, Me Jean Ogier, procureur fiscal de Jonzac – l’homme fort du moment – se présente devant le notaire bordelais Samuel Chaussé (un Jonzacais qui a réussi à acheter une assez belle étude dans la « ville capitale ») pour négocier au nom de son maître Léon de Sainte-Maure une transaction avec le prieur des Carmes et mettre fin à un procès interminable. De quoi s’agit-il ? Comme tant d’autres seigneurs protestants, Jean de Sainte-Maure a usurpé les biens d’Eglise jadis donnés par ses ancêtres. En l’occurrence, il s’agit d’un pré tout proche du moulin de La Grave qu’il faut restituer. Léon de Sainte-Maure, « chevalier, comte de Jonzac, marquis d’Ozillac, seigneur de Mosnac, Fleac et autres » n’agit pas du tout en prenant la suite de son défunt père, mais bien comme « héritier universel de feue haute et puissante dame Isabeau de Sainte-Maure, vivante, dame de Jonzac » (Arch. dép. Gironde, 3E 3253, fol. 433, 15 novembre 1624).
Enfin, le 15 novembre 1624, Me Jean Ogier, procureur fiscal de Jonzac – l’homme fort du moment – se présente devant le notaire bordelais Samuel Chaussé (un Jonzacais qui a réussi à acheter une assez belle étude dans la « ville capitale ») pour négocier au nom de son maître Léon de Sainte-Maure une transaction avec le prieur des Carmes et mettre fin à un procès interminable. De quoi s’agit-il ? Comme tant d’autres seigneurs protestants, Jean de Sainte-Maure a usurpé les biens d’Eglise jadis donnés par ses ancêtres. En l’occurrence, il s’agit d’un pré tout proche du moulin de La Grave qu’il faut restituer. Léon de Sainte-Maure, « chevalier, comte de Jonzac, marquis d’Ozillac, seigneur de Mosnac, Fleac et autres » n’agit pas du tout en prenant la suite de son défunt père, mais bien comme « héritier universel de feue haute et puissante dame Isabeau de Sainte-Maure, vivante, dame de Jonzac » (Arch. dép. Gironde, 3E 3253, fol. 433, 15 novembre 1624).
Au total, on aurait tort de négliger le temps d’Henri IV et de Louis XIII parce que cela correspond probablement au début du relatif essor économique de Jonzac au XVIIe siècle. Cette histoire a des allures de roman de cape et d’épée ; c’est celle d’Isabeau de Sainte-Maure et il n’est pas sûr que son cousin Geoffroy y ait sa place.
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