Pierre Péronneau (Maît’ Piârre) est responsable du Boutillon des Charentes, journal numérique qui publie de nombreux articles avec, en toile de fond, un beau clin d'œil au patois. En effet, il est le petit-fils de Goulebenèze, écrivain, barde et chansonnier du terroir.
L'un des récents reportages du Boutillon concerne le fameux poète latin Ausone. Pierre Péronneau a cherché à localiser sa villa dont l'emplacement reste incertain : « Voilà, amis lecteurs, ce que j’ai dégoté comme informations sur le lieu possible de la villa d’Ausone en Saintonge. Mais ce ne sont que des hypothèses, sans preuve sérieuse. Alors, à vous de jouer les savants détectives. Relisez la correspondance d’Ausone et tentez de proposer des lieux possibles » dit-il à ceux qui voudraient mener l'enquête.
Decimus Magnus Ausonius, né en 309 ou 310 à Bazas ou à Bordeaux et mort vers 394/395 dans une villa située entre Langon et La Réole, est un homme politique, homme de lettres et pédagogue gallo-romain de la période du Bas-Empire, proche de l'empereur Gratien ; il fut notamment préfet du prétoire des Gaules en 378 *.
Il est le fils de Julius Ausonius, médecin, préfet d'Illyrie, puis archiatre de Valentinien Ier et d'Æmilia Æona, tous deux membres de familles de propriétaires fonciers du Sud-Ouest de la Gaule.
Il épouse Attusa Lucana Sabina, fille du sénateur Attusius Lucanus Talisius. Il a un fils, Hesperius, qui eut une brillante carrière, et une fille.
Il hérite de ses parents une fortune constituée de plusieurs domaines (on lui en connaît six) répartis dans la vallée de la Garonne entre Bordeaux (Burdigala), Bazas (Cossium) et Marmande.
Mais il possède également une villa au pays des Santons. Cependant le mystère demeure. Où était-elle située ?
Ce domaine saintongeais, Louis Maurin, dans « Histoire de l’Aunis et de la Saintonge », pense qu’il l’a acquis par son mariage. Son beau-père, ainsi que sa belle-sœur, Attusia Lucana Talisia, et son beau-frère, Erminucius Regulus, étaient enterrés « en terre de Saintonge ».
C’est grâce à la correspondance qu’il a entretenue avec ses amis que nous avons connaissance de l’existence de cette villa. Mais les descriptions qu’il en donne ne permettent pas de se faire une idée précise sur son emplacement.
A Tetradius, un ancien élève qui se trouve à Iculisma (Angoulême), il écrit en l’an 379 : « Ô toi, dont la verve féconde est nourrie de charmantes saillies ; Tetradius, toi qui as soin que tes pages acerbes ne manquent ni d’enjouement ni de douceur ; qui, par un heureux mélange du fiel et du miel en tes vers, combats la torpeur de la Muse… pourquoi, lorsque je suis si près des murs des Santons, m’éviter comme autrefois la jeunesse romaine fuyant à la vue des bœufs de Lucanie. Je brûle de contempler les traits de mon élève et de jouir à souhait de son esprit. Avec bien du regret autrefois, j’ai dévoré la nécessité de ta première absence : les dures fonctions de l’enseignement te retenaient enfermé dans Iculisma, et je voyais avec douleur les trésors des Muses enfouis dans ce lieu écarté et solitaire ».
C’est la première fois que l’on trouve dans un texte le nom d’Iculisma, ville nouvelle dans laquelle enseigne Tetradius, mais qui est loin d’avoir la notoriété de Mediolanum (Saintes) et Burdigala (Bordeaux) : lieu écarté et solitaire.
Cette lettre nous apprend que la propriété d’Ausone est près des murs de Mediolanum, mais en dehors du faubourg de la ville. Cela bat en brèche l’hypothèse du chanoine Lacurie, qui la situait dans le faubourg Saint-Pallais à Saintes.
* Ne pas confondre avec l’Evêque d’Angoulême Ausone, né à Mortagne sur Gironde (4ème siècle)
Mais c’est surtout avec l'un de ses anciens élèves, Axius Paulus, qu’il entreprit une abondante correspondance. Dans une de ses lettres, il le presse de le rejoindre dans son domaine des Santons, alors que ce dernier est en Bigorre, « isolé dans sa terre solitaire de Crebenus, un pays sans vignoble ».
Il lui écrit : au pays des Santons, « tu trouveras chez moi les dons de Demeter aux fruits splendides, et des porcs bien en chair, et puis de larges coupes si tu veux mêler le nectar d’un bon vin ».
Ces quelques lignes montrent qu’Ausone est propriétaire d’une riche villa, dans laquelle il possède des vergers, un élevage de porcs, et des vignobles, même si, comme il le dit par ailleurs, il fait venir des vins de ses domaines bordelais afin d’améliorer la qualité du vin local.
Or, nous dit Louis Maurin, « pour évoquer la résidence du Maître, la pars urbana où il recevait ses hôtes, la Saintonge n’offre aucune ruine comparable aux fastueuses demeures seigneuriales des pays de la basse Garonne ou de l’Adour, jusqu’à la découverte récente, à Jonzac, d’une grande villa rurale ».
Ausone précise que son domaine est situé au Noverus pagus, séparé de Burdigala par trois fleuves et trois plateaux élevés. On peut donc conclure que son domaine est au nord du fleuve Charente.
Cette villa était voisine de Saintes, mais pas très proche car lorsqu’Ausone invite son ami Paulus à un banquet à Mediolanum, il annonce qu’il fera porter, depuis sa villa, du vin sur un char à deux chevaux.
Enfin, on peut supposer qu’elle était voisine d’une agglomération importante, car à proximité il y avait des thermes appelés Marojalum.
Telles sont donc les informations dont nous disposons. A partir de là, plusieurs auteurs ont émis des hypothèses. Les premiers savants qui ont traité cette question ont situé la villa près de Royan. Mais cette identification ne tient pas la route car Royan n’est pas au nord du fleuve, et le paysage est loin de correspondre à la description qu’en fait Ausone : des coteaux couverts de vignes, des champs fertiles, des grands bois, des prairies verdoyantes, un ciel clément, un éternel printemps.
Chaudruc de Crazannes et La Sauvagère situent la villa près du camp romain de Toulon, à proximité de la côte. Mais cette localité n’est pas, elle non plus, séparée de Bordeaux par trois fleuves.
Plusieurs auteurs dont Bourignon, Massiou et Vinet proposent Les Nouillers, près de Saint-Savinien, entre la Charente et la Boutonne. L’origine du nom Novelus (Nouveau) iaciem (défrichement) a une certaine affinité avec Noverus. Pourquoi pas ?
L’abbé Brodut, dans son « Histoire de Tonnay-Charente » a proposé le hameau de La Noue, dépendant de cette commune. Il signale le village de Luxan, qui tirerait son nom de la villa Lucaniaca, appartenant au beau-père d’Ausone. Cette explication repose sur des bases bien fragiles.
Enfin, Louis Canet dans son ouvrage "L’Aunis et la Saintonge (1er volume)", datant de 1933, propose un lieu proche de la localité des Bouchauds (Saint-Cybardeaux), sur la via Agrippa, où se situe un amphithéâtre gallo-romain très important, à une cinquantaine de kilomètres de Saintes. Canet argumente en précisant qu’à cet endroit coule la Nouère, affluent de la Charente, dont le nom s’apparente à celui de Noverus. Il écrit : « Le pagus Noverus semble désigner un canton, un pays avec de nombreux domaines, donc, à notre avis toute la vallée de la Nouère et même plus ».
À proximité se trouvait le bourg de Germanicomagus, très fréquenté, et pas très loin un endroit appelé Mareuil, qui pourrait correspondre à Marojalum.
Louis Canet conclut en précisant que la description du paysage correspond à celle qu’en fait Ausone dans sa correspondance à Paulus. Mais, dit-il en toute modestie, ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres.
À propos de la villa d’Ausone : Le point de vie de Jean-Louis Hillairet
Jean-Louis Hillairet est archéologue, ingénieur et responsable administratif à l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Il procède, avec une équipe d’archéologues amateurs, à des fouilles dans l’aqueduc gallo-romain qui amenait l’eau à Mediolanum (Saintes). Ses travaux, récompensés par l’Académie de Saintonge, ont été détaillés dans « Les carnets de l’aqueduc » et dans son ouvrage « Les aqueducs de Saintes - Au fil de l’eau ».
Voici ce qu’il écrit, au sujet de l'article sur la villa d’Ausone, paru dans le Boutillon n° 73 :
« Je viens de lire avec beaucoup d'attention l'étude intéressante sur la villa d'Ausone. Je propose un autre lieu (pour l’emplacement de la villa d’Ausone) qui se situe sur la commune de Saintes hors les murs. C'est une très grande villa découverte en photographie aérienne par Jacques Dassié au lieu dit Changreloux ».
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