jeudi 14 janvier 2016

Roland Tevels, président du Tribunal
de Commerce de Saintes : « Le message
que nous laisse Gérard Saliba est ne pas
ajouter de la violence à la violence, en
particulier pour les chefs d'entreprises »

Vendredi, avait lieu la rentrée 2016 du Tribunal de Commerce. Les gouvernements rêvent de changer le fonctionnement de ces juridictions, lesquelles se demandent de quoi leurs lendemains seront faits. Elles n'en assurent pas moins leur travail, confrontées aux difficultés économiques des entreprises et des commerces : « nous recevons ces accidentés des affaires avec écoute, compréhension et humanité. Cette attitude est, nous semble-t-il, la première aide » souligne le président Roland Tevels.

Les juges consulaires et leur président Roland Tevels (© Nicole Bertin)
Depuis des années, une épée de Damoclès est pointée sur la tête des tribunaux de commerce. Chaque rentrée est pour le président en exercice, en l'occurrence Roland Tevels, l'occasion de rappeler le malaise qui règne sur ces juridictions. En effet, leur fonctionnement, hérité des siècles passés, repose sur l'implication de juges bénévoles issus du cru. Un système que veulent remettre en cause les gardes des sceaux successifs en y adjoignant des magistrats professionnels. Toutefois, selon la franchise habituelle de Christiane Taubira, « rien ne se fera pour l'instant, nous n'avons pas les moyens ».
Le Tribunal de Commerce continue donc à fonctionner "normalement", comme l'ont constaté les personnalités assistant vendredi dernier à l'audience solennelle de rentrée.
Nul ne sera surpris par les chiffres qui reflètent l'état de santé de la région, présentés par Dominique Amblard, président de la chambre de contentieux. En 2015, le Tribunal de Commerce de Saintes a ouvert 248 affaires nouvelles. Le nombre des litiges diminue, ce qui reflète à son sens « une forte dégradation de l'activité économique ». 263 décisions ont été rendues. Le stock d'affaires est moindre (154 en 2015 contre 169 en 2014). 5 litiges ont été résolus par conciliation, une nouvelle voie qui nécessitera la formation et la spécialisation de plusieurs juges.
Si le nombre d'immatriculations de sociétés est en hausse en 2015, les radiations le sont tout autant. Il reste cependant un bonus de 8%. Constat : des pans entiers souffrent en raison de la crise et du contexte terroriste dans lequel est plongée la France. Certains spécialistes se veulent pourtant optimistes : la reprise devrait se faire bientôt sentir au niveau national !


« Nous savons grâce à Paul Valéry que les civilisations sont mortelles, les entreprises aussi et avec notre dispositif APESA, nous savons que les hommes le sont également, mais si possible pas prématurément » déclare Roland Tevels avec réalisme.
Dans ce climat d'incertitude et pour la troisième année consécutive, le Tribunal de Commerce n'a pas pu remplir sa mission dans des conditions sereines. « Nous ne nous faisons aucune illusion sur notre avenir. Fin 2014, on a voulu préparer l'échevinage des Tribunaux de Commerce par un pseudo échevinage en Cour d 'Appel. Il a fallu cesser nos activités pour repousser le projet. La spécialisation des procédures collectives a été maintenue sur certains tribunaux pour les entreprises les plus importantes. La fonction de prévention sur la totalité des entreprises a été obtenue » souligne le président.
Cette année "animée" risque de se poursuivre par de nouvelles mesures : limiter l'âge des juges consulaires à 70 ans pour leur dernière élection (certains tribunaux seraient ainsi décapités !) et une limitation d'exercice à quatorze ans : « alors qu'ils deviennent de plus en plus expérimentés avec le temps, on va demander aux juges consulaires de cesser leurs activités juridictionnelles » constate Roland Tevels. L'obligation de formation, par contre, est admise et nécessaire. Une réunion d'informations, organisée à Poitiers par le Premier Président de la Cour d'appel Dominique Gaschard, a été la bienvenue : elle portait sur la motivation et la qualité des jugements.

Après avoir salué la nouvelle bâtonnier, Me Nadine Filloux, Roland Tevels conclut son discours par des remerciements à l'ensemble des personnes qui travaillent à ses côtés, en particulier Béatrice et Marc Binnié, greffiers, profession également touchée par la réforme : « je vous apporterai, au nom de tous les juges du Tribunal, notre soutien le plus vif »...

• Janik Martin, délégué à la Prévention des entreprises en difficulté

En 2015, 250 chefs d'entreprises, commerçants et artisans ont été convoqués, au vu de leurs dépôts de comptes annuels. L'objectif est de faire le point sur les difficultés rencontrées avec la mise en place d'un plan de redressement. Différentes orientations peuvent être prises en relation avec experts comptables et avocats. 34 chefs d'entreprise ont demandé des rendez-vous spontanés. Pour ceux qui sont en souffrance, le dispositif APESA (aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë), en relation avec des professionnels de santé, apporte un réel soutien. 50 personnes ont bénéficié de cette aide.
Un colloqué organisé par Marc Binnié, greffier, en septembre dernier sur ce thème, en partenariat avec le barreau de Saintes, a réuni 32 conférenciers et de nombreux participants à l'Abbaye aux Dames. Les bénéfices générés de 11.132 euros ont été entièrement reversés à l'association APESA 17. Remarquée, l'initiative saintaise, qui consiste à prendre en compte la détresse humaine que peuvent entraîner les faillites, a été adoptée par d'autres tribunaux de commerce de par l'hexagone.

• Jean-François Raimbault, président de la Chambre des procédures collectives

Cette procédure place sous contrôle judiciaire une entreprise en difficulté, la finalité étant la pérennité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Les procédures les plus courantes sont celles de sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation. En 2015, le nombre de procédures est de 265 ; 32 en sauvegarde ; 71 en redressement ; 162 en liquidation (chiffre le plus fort depuis 5 ans). L'impact sur l'emploi est de 727 pertes ; le passif de 62 MF (forte hausse).

Trois nouveaux juges ont été désignés : 
Jean-Luc Montembault, Mikaël Redeuil et Jean-Guy Thillet

L'entrée de trois nouveaux juges 
(ils suivront une formation à l'Ecole de la Magistrature de Bordeaux)
• Jean-Luc Montembault a commencé sa carrière comme contrôleur de gestion de différentes sociétés avant d'intégrer la grande distribution.Il a en particulier dirigé une filiale du groupe Carrefour en Malaisie. En 2004, changement de cap avec le développement d'activités touristiques et œnologiques dans la région de cognac "Cognac Educator". S'y ajoutent des fonctions d'accompagnateur d'entrepreneurs de PME et de formateur au sein d'un groupe à Sup de Co La Rochelle.

• Mikaël Redeuil conjugue plusieurs cordes à son arc, œnologue, gestionnaire de propriétés viticoles et master en droit, gestion et commerce de spiritueux. Après avoir assuré la direction technique de Protea France, il crée deux entreprises Oak Technologie à Pérignac et X0 Solutions à Javrezac, sociétés regroupées en une holding SAS First Oak depuis 2014. En 2015, il a repris la gestion de la propriété viticole familiale.

• Jean-Guy Thillet a créé une usine de stores, bâches et alu à Bordeaux, puis Montendre. Jusqu'en 2015, il a assuré la direction de cette entreprise sur la zone industrielle de la cité des pins, tout en se diversifiant dans la restauration et l'immobilier. La SAS Thillet a été cédée en 2015. Jean Guy Thillet profite de son temps disponible pour se consacrer au Tribunal de Commerce.

• Philippe Coindeau, procureur, a rendu hommage à Gérard Saliba qui présida durant de nombreuses années le Tribunal de Commerce, et Xavier de Roux, parlementaire à l'origine d'une loi sur la sauvegarde des entreprises.
Dans son allocution, il s'interrogea sur le rôle et l'indépendance des juges consulaires, forcément soumis à des questionnements. Grand débat puisque la justice se doit d'être impartiale, ce que savent parfaitement les juges de commerce ! La situation est d'autant plus délicate que les liquidations s'accompagnent généralement de licenciements et donc de drames humains : « la lutte des classes peut être encore une réalité ». Sauvegarder l'emploi, c'est aussi conserver une activité dans des secteurs où l'économie n'est pas forcément florissante. Mais « si l'espoir fait vivre, on ne peut pas vivre que d'espoir »…

   
• Me Nadine Filloux, nouvelle bâtonnière, est elle aussi inquiète pour sa profession « et la voix des avocats risque de ne pas peser lourd ».
La loi Macron impose de nouvelles règles, l'établissement d'une convention d'honoraires en particulier écrite qui devient obligatoire en toutes matières, et doit préciser les modalités de détermination des honoraires et leur évolution prévisible. Le bât blesse surtout sur la réforme de l'aide juridictionnelle qui n'a pas abouti pour l'instant. Christiane Taubira souhaite que les plus démunis puissent avoir accès à la justice. Pour y parvenir, il suffirait d'augmenter le nombre de justiciables admissibles à l'AJ en plafonnant les ressources maximum de 941 à 1 000 euros pour une prise en charge complète. Le budget global de l'AJ passerait de 375 millions d'euros à 405 millions en 2016, puis à 445 millions en 2017. Où trouver l'argent ? La Garde des Sceaux puiserait bien dans les Caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (Carpa). Les avocats y sont opposés…

L'allocution de Me Filloux (photos Nicole Bertin)

Aucun commentaire: