L'écrivain Jean-Marc Soyez, rendu célèbre par "Le Créa", avait craqué pour Mortagne, village enserré dans des falaises crayeuses où règne une ambiance particulière façonnée par le temps. Autrefois, sur le large estuaire, voguaient des gabares ; les voix fortes des pêcheurs et des minotiers sont encore audibles en cet endroit qui unit la ville haute au port, entre terre et eau, marais et lumière. Et d'ajouter, un brin taquin, « ne dites pas trop que c'est beau, nous serions envahis par les touristes ! ». Nombreux, en effet, ont succombé aux charmes de cette région qui respire l'évasion tout en gardant une subtile intimité.
Avec les ans, les grandes activités portuaires de Mortagne ont cessé pour ne conserver que les bateaux, professionnels ou d'agrément. C'est ainsi que la grande Minoterie Fleury, située sur la Rive, a fermé ses portes. Anne Sophie Stragier et Yves Lallemant, qui viennent d'acquérir ce vaste corps de bâtiments, ont été séduits par une proposition de Dominique Branchut et Philippe Chevallier, antiquaires qui possèdent un stand au célèbre Passage à Bordeaux, dans le quartier Saint-Michel. Selon le même principe, pourquoi ne pas installer à Mortagne un collectif d'antiquaires, brocanteurs et artistes ? Les propriétaires ont trouvé le projet intéressant.
Samedi matin à la mairie de Mortagne, les intéressés - une dizaine - se sont réunis pour constituer une nouvelle association baptisée "Atelier-Brocante de Mortagne". Il y avait autour de la table Gilles, originaire de Lorignac « marchand au Passage depuis six ans » et créateur d'un café-brocante à Clion ; Marie-Ange, sa compagne, sage-femme qui travaille à l'hôpital Pellegrin et partage les activités de Gilles ; Pierre, peintre, habitant Grézac ; Martine « brocanteuse depuis 2008 » demeurant à Saint-Georges des Coteaux ; Stéphane le Saintais, exposant au Passage ; Geneviève, spécialiste des patines de meubles, motivée par « cette nouvelle initiative » ; Jack, retraité du Ministère de la Justice habitant Jonzac, passionné par la brocante ; Marie, qui a repris l'affaire de son mari et dont le fils est peintre et enfin Dominique de Champagnolles, une habituée du Passage Saint-Michel dans la capitale girondine.
Réunion à Mortagne samedi matin |
Durant la matinée, les participants ont défini les statuts et discuté de la mise en œuvre de l'association sous le regard attentif d'Anne-Sophie Stragier qui réalise des travaux de rénovation et d'agencement de l'immeuble. La superficie à partager est vaste, quelque 132 m2. Les portes de ce nouvel espace devrait ouvrir à la mi-mai. On y trouvera à la fois du mobilier ancien et contemporain, des objets et des expositions diverses et variées. Il est prévu d'accueillir le public jusqu'en septembre (six jours sur sept) puis du vendredi au lundi durant l'hiver.
Moult détails sont à régler. Nous ne doutons pas que cette équipe va s'activer durant les prochains mois pour une superbe inauguration aux beaux jours !
• Le bureau a été élu : Présidente Marie Laplagne, président adjoint Pierre Briffault, secrétaire Dominique Branchut, trésorier Jack Ros.
Jack Ros, trésorier, Marie Laplagne, présidente et Dominique Branchut, secrétaire |
A droite, Pierre Briffault, vice-président |
La meunerie à la Rive (source : Conservatoire de l'Estuaire)
À la fin du Premier Empire, en 1814, l’Annuaire historique et statistique du département de la Charente Inférieure dénombrait deux moulins à eau (le moulin de Fondevine et le moulin de La Rive) et dix-huit moulins à vent.
Lors de l'expansion industrielle, les minotiers développèrent leurs activités. La minoterie Vérat y occupa le rôle principal. Le dossier établi par l’Inventaire Régional du Patrimoine Industriel indique que la minoterie a été agrandie par deux fois, la dernière fois en 1909 ainsi qu’on peut le constater aujourd’hui à son fronton. Le bâtiment était destiné au traitement du son. La capacité de mouture était, semble-t-il, de 325 quintaux par jour. Avec le grain des agriculteurs de la région, la minoterie était approvisionnée à partir de Bordeaux par gabares, qui emportaient en retour la farine vers le Médoc et vers Bordeaux.
Dans les années 1930, la minoterie Vérat-Dugoujon possédait deux gabares, le Jacques dont le patron était Alfred des noyers, et le Papillon dont le patron était M. Berton.
L’organigramme de l’usine était composé d’un directeur (M. Boisseau, puis M. Chotard, M. Riffaud, M. Linhardt et enfin Jean-Pierre Fleuri qui fut le dernier propriétaire de l’usine), d’un chef meunier (M. Roussary père, entré à l’usine dans les années 1920, fera pendant 40 ans carrière à l’usine ; son fils lui succèdera). Le personnel était composé d'une vingtaine d’ouvriers, de manutentionnaires et plus tard de chauffeurs. L’usine employait aussi des femmes, trois ou quatre, pour raccommoder les sacs de farine en toile de jute ; Louise Prunt sera la dernière d’entre elles. La minoterie était le plus gros employeur de la commune, « ça faisait vivre beaucoup de gens » souligne-t-on dans le village. Madame Fleuri continuait d’habiter la Rive tandis que sa fille et son gendre habitaient la Charmille. Presque la totalité des maisons du quai appartenait à l’usine.Au cours des décennies, l’activité de l’entreprise s’est transformée. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une partie de la production fut réquisitionnée par la Wehrmacht. En 1944, une action de ravitaillement par mer des troupes allemandes encerclées à Royan entraîna un bombardement de représailles sur la Rive.
À partir des années 1950, le commerce par bateau disparut, les livraisons s’opérèrent alors par voie terrestre.
Les transformations de l’industrie agroalimentaire en France et en Europe imposèrent des modifications de l’organisation de l’entreprise. En 1969, la Société des Moulins de l’Estuaire est créée en association avec la minoterie Jacques Chevalier des Monards : désormais toute la fabrication s’effectue à Mortagne. Presque vingt ans après, l’entreprise est vendue à Gers-Farine qui n’y assure plus de fabrication et en 2008 l’activité commerciale cesse.
Avec l'ouverture de l'Atelier Brocante, la Minoterie s'apprête à connaître un renouveau, non plus industriel mais culturel et commercial !
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