dimanche 1 décembre 2013

Stéphane Ruspoli : aux sources de la connaissance


Il y a une vingtaine d’années que Stéphane Ruspoli, spécialiste de l’histoire des religions, s’est installé en Charente-Maritime. Portrait d’un homme discret qui navigue sur les sources de la connaissance.



C’est un endroit qui ressemble à l’Italie. De grandes vasques sur la terrasse, un jardin verdoyant qui s‘ébat en toute liberté et laisse entrevoir un parc où les arbres ressemblent à des sentinelles bienveillantes. En bordure d’estuaire, le temps est immuable. C’est en ce lieu champêtre que Stéphane Ruspoli, quittant la capitale, s’est installé il y a une vingtaine d’années. En choisissant la Charente-Maritime, il a permis à sa mère, issue d’une famille d’armateurs rochelais, de retrouver le département de son enfance. Et par la même occasion, il s’est rapproché d’un oncle avec qui il entretient d’excellentes relations. « Je venais dans l’Île de Ré bien avant que le pont ne soit construit. J’ai choisi cette maison parce que j’avais besoin d’air et d’espace pour mes livres. Je l’ai restaurée peu à peu. Il y avait tout à faire » souligne-t-il.
Grand, le regard bleu, Stéphane Ruspoli est un homme réservé. Et pourtant, son arbre généalogique fait apparaître une ascendance dont beaucoup s’enorgueilliraient. Il existe en lui cette distinction qui sied aux âmes bien nées. Descendant d’une grande famille de la noblesse romaine, son père Mario était le fils du prince Edmondo Ruspoli de Poggio Suasa. La particularité de cette famille est d’être attachée à la Curie pontificale, c’est pourquoi des Ruspoli ont occupé la charge de « maître du Saint-Office au Vatican ».

Mario Ruspoli, conférencier et cinéaste de talent fut l’un des créateurs du « cinéma direct » et son œuvre est importante dans l’histoire du film documentaire ethnographique. Plusieurs de ses films ont été primés ou salués par la critique. Aux Açores, il a mis en scène les derniers pêcheurs de baleine au harpon. En Lozère, il a rencontré le monde paysan avant de s’attarder sur l’univers des malades mentaux « Regards sur la folie ». Disciple du grand préhistorien, André Leroi-Gouran, il a réalisé plusieurs émissions télédiffusées sur les grottes de Lascaux. Il a également publié un ouvrage consacré à ‘‘Lascaux’’ chez Bordas.
Parmi d’autres Ruspoli bien connus, comment ne pas citer Allesandro, baptisé Dado ? « C’était un homme charmant qui faisait partie de ce qu’on appelle la jet-set. On dit qu’il a inspiré Fellini dans la Dolce Vita ». Il était l’ami de Brigitte Bardot et de Roman Polanski. « On trouve des Ruspoli dans de nombreux pays, en Italie bien sûr, mais aussi en Amérique, en France, en Belgique » déclare Stéphane Ruspoli. Sur l’une des commodes du salon, s’aligne une galerie de portraits. Dado y apparaît, sûr de sa séduction et frais comme un gardon. L’un de ses fils a épousé Olivia Wilde qui a tourné aux côtés de Hugh Laurie dans le célèbre feuilleton ‘‘Dr House’’.

«J’avais 20 ans en 68 et je n'ai pas lancé de pavés. A Paris, le terminais ma deuxième année de sanskrit et d'arabe à l'Ecole des Langues Orientales»

Stéphane Ruspoli se partage, quant à lui, entre la Saintonge et la ville d’Atlanta aux USA où sa femme est psychiatre. Il n’a pas choisi le monde du cinéma, ni celui de l’hostellerie comme son frère Fabrizio, propriétaire de la Maison Arabe à Marrakech. « J’avais 20 ans en 68 et je n’ai pas lancé de pavé. À Paris, je terminais ma deuxième année de sanskrit et d‘arabe à l’École de Langues Orientales » se souvient-il. Lettré, il a emprunté la voie de l’étude qui mène à la compréhension. Durant son parcours universitaire, il a eu la chance de rencontrer le grand Henry Corbin, l’un des rares philosophes français à traiter de l’Islam iranien et de la gnose chiite. « Je voulais sortir de la philosophie classique. Le travail de cet éminent professeur à l’École des Hautes Études m’a fasciné » dit-il.
Stéphane Ruspoli s’intéresse à l’histoire des religions, au lien qui existe entre les mondes chrétien, musulman et juif, à la manière dont s’expriment les expériences mystiques et les visions à travers les écrits des penseurs. Le soufisme, dont l’esthétique est verbale, contemplative et poétique, retient son attention : « J’ai essayé de montrer des croisements. Le soufisme est une minière de spiritualité originale. Il propose un dépassement du légalisme et du littéralisme qui asphyxient l’Islam contemporain. C’est, je pense, la seule voie d’ouverture pour le dialogue interreligieux, encore aujourd’hui ».
À une époque où le Coran est souvent évoqué, il estime que pour en saisir l’authenticité, il faut le découvrir dans sa langue d’origine, l’arabe. « Sinon, on perd l’essentiel. Malheureusement, il est dans un grand désordre. Pour l’apprécier, il ne faut pas le lire de façon continue. La patience est nécessaire pour voir comment les choses se raccordent les unes aux autres. Personnellement, je considère Mahomet comme un grand prophète, malgré l’attitude autoritaire qu’il a eue envers les tribus juives de Médine ».
Selon ses biographes, Mahomet récitait des versets qu’il présentait comme la parole de Dieu transmise par l’archange Gabriel dans la grotte d’Hira. Les supports sur lesquels ils étaient écrits pouvaient être des omoplates de chameau, des peaux de chèvre, des feuilles de palmier, voire des fragments de poterie. Les croyants les apprenaient par cœur. À la mort de Mahomet, les sourates, dispersées en différents lieux d’Arabie, ont été réunies. « Initialement, Mahomet ne savait pas qu’il allait fonder l’Islam. Il a donné un livre à un peuple analphabète qu’il a transformé. Les Soufis ont constitué leur spiritualité en intériorisant le message du Coran ».

Initialement, Mahomet ne savait pas qu'il allait fonder l'Islam...

Stéphane Ruspoli est intarissable sur le sujet et il remarque, comme d’autres chercheurs, que l’Islam actuel subit une dérive fondamentaliste : « on fait table rase des idées en s’enfonçant dans une sorte de revendication et en rejetant les autres cultures. Les Français ne comprennent pas que la laïcité n’est pas applicable à l’Islam ».
Cette situation n’est pas unique dans l’histoire : au Moyen Âge, l’Occident chrétien eut à subir l’Inquisition qui freina l’évolution et la transmission des connaissances. Les célèbres Copernic et Galilée, qui bouleversèrent les fondements de la science astronomique, souffrirent de ce manque d’ouverture de la part de l’Église.
Pour qui s’intéresse à l’histoire des religions, le sujet est inépuisable. Les grandes religions juive, chrétienne et musulmane ont pour berceau l’Orient ; l’Occident, pour sa part, a contribué à l’éclosion des sciences.
Parmi ses prochains travaux, Stéphane Ruspoli envisage de poursuivre ses recherches sur les origines du christianisme et sur l’implication des Esséniens dont Jésus fut contemporain. Flavius Josèphe les décrits comme des ascètes, pauvres, s’abstenant des plaisirs du monde et pratiquant pour certains le célibat. « On a volontairement diminué l’importance des correspondances entre le messiansime essénien et les Évangiles, et j’ai essayé de le montrer dans mon petit livre sur "le Christ essénien". Mais sur une telle question, je ne suis pas au bout de mes peines ! » estime Stéphane Ruspoli. On lui doit de nombreux ouvrages dont plusieurs traductions de l’arabe et du persan : Le Traité de l’Esprit saint de Rûzbehân de Shîrâz ; Le Livre des théophanies d’Ibn Arabî ; Le Message de Hallâj l’Expatrié ; Le livre des contemplations divines d’Ibn’ Arabî, Le Livre Tawasin de Hallâj (un mystique soufi vivant au XXe siècle, qui fut condamné à mort. Son œuvre abondante visait à renouer avec la pure origine du Coran et son essence verbale) ; les Écrits des maîtres soufis en trois tomes. Il est également l’auteur des articles Kubrâ, Semnânî et Nûrbakhsh dans le Dictionnaire critique de l’ésotérisme. Dans l’alchimie du bonheur parfait de Mohyiddin Ibn ‘Arabi, Stéphane Ruspoli conduit l’âme du lecteur dans un voyage de première valeur…


L’origine essénienne du christianisme 
et du Messie de Nazareth

Après avoir interrogé les documents originaux, Stéhane Ruspoli a publié « Le Christ essénien » en 2005 aux éditions Arfuyen. Il en conclut que non seulement le mouvement essénien a servi de berceau idéologique au christianisme, mais que la venue de Jésus-Christ a été annoncée et préparée par la secte juive de la « Nouvelle Alliance ». Pour lui, il n’y a donc pas de rupture de continuité historique entre le messianisme des Esséniens et les Évangiles, ce qui modifie non seulement la compréhension de la relation entre judaïsme et christianisme, mais aussi l’approche de la personnalité du Christ.
Contrairement à une idée reçue, Jésus était un homme instruit, un docteur ayant une parfaite maîtrise des Écritures. Ceci implique une formation religieuse inhabituelle pour un simple artisan galiléen. Jésus parlait certes l’araméen, mais il devait également savoir assez bien le grec. L’Évangile nous montre le déroulement d’un plan messianique dont il fut l’acteur lucide, consentant et absolument résolu. Jésus croyait profondément dans la prédestination divine, inscrite dans le prophétisme biblique. Elle est caractéristique chez les Esséniens alors qu’une telle conception était devenue lettre morte chez les Pharisiens et les Sadducéens.

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