jeudi 20 mars 2025

Musée des Beaux-Arts de Libourne : Une œuvre de Guido Reni, peintre italien du XVIIe siècle, découverte dans les collections ? L'enquête est ouverte !


La nouvelle est d’autant plus passionnante qu’il n’existait à ce jour que deux versions officielles d’Atalante et Hippomène de Guido Reni, exposées au musée du Prado en Espagne et au musée national de Capodimonte à Naples. Viennent s’ajouter deux tableaux complémentaires issus d’une collection privée à Bologne en Italie… et à Libourne en France. Reste à savoir si la toile retrouvée en Gironde dans les collections, de belle dimension, a été peinte par Guido Reni lui-même ou si elle a été exécutée par des élèves de son atelier d’après le modèle original du maître. Elle n’est pas signée. Toutefois, les expertises portent à l’optimisme : il s’agirait bien d’un tableau du XVIIe siècle (et non pas du XIXe siècle). Enthousiasmée par cette découverte, la Ville souhaite associer le public intéressé aux recherches. L’enquête ne fait que commencer ! La restauration du tableau, sous les yeux du public, est à découvrir à la Chapelle du Carmel jusqu’à la mi-juin de mardi au vendredi de 14 h à 18 h

Présentation du maire de Libourne, Philippe Buisson,
aux côtés de Matthieu Doligez, sous-préfet
Philippe Buisson, maire de Libourne : « Notre objectif est de rendre populaire la culture, s'adresser aux plus jeunes, leur faire découvrir ce qu'est la peinture,
le baroque, le travail de restauration ».

Rendez-vous vendredi matin à la chapelle du Carmel à Libourne. Aménagée en lieu dédié aux expositions temporaires du Musée des Beaux-Arts, elle s’apprête à accueillir une présentation qui va « résonner » dans le monde de l’art. La Ville possède peut-être un tableau de Guido Reni, peintre italien célèbre du XVIIe siècle dont Marie de Médicis, épouse d'Henri IV et reine de France, possédait l'une des œuvres « l’Annonciation » (aujourd'hui au Louvre). Liboune se met à rêver après un premier battement de cœur quand elle s’est trouvée face à un vrai Rubens dans ses réserves (peinture de la collection du docteur Louis La Caze). Ces dernières abritent des richesses ! 

Mathieu Gilles, Caroline Fillon, Sophie Jarrosson

Etaient présents Philippe Buisson, maire de Libourne et président de la CALI, Matthieu Doligez, sous-préfet, Caroline Fillon, directrice du musée, Matthieu Dussauge, conservateur en chef du patrimoine, conseiller pour les musées (DRAC), Matthieu Gilles, conservateur en chef, responsable de la filière peinture au C2RMF et la restauratrice Sophie Jarrosson. « Dans le contexte anxiogène où nous vivons, je suis heureux de vous raconter ce qui est une belle histoire » souligne le premier magistrat.  Une histoire à suspense car l’enquête en est à ses débuts. 

Tout commence au milieu du XXème siècle avec le legs d'un tableau par la veuve d'un notable à la municipalité de Libourne. Il s’agirait d’une copie d’Atalante et Hippomène de Guido Reni. « Je ne connaissais pas cet artiste » avoue le maire avec franchise. Quand l'œuvre refait surface à l’occasion d’un récent récolement, Caroline Fillon est intriguée : elle suggère aux édiles une expertise. La peinture est de qualité, l’ensemble de bonne facture selon l’expression. Certes, le tableau n’est pas en bon état, il a subi les assauts du temps. Mais il y a ce petit quelque chose qui attire l'attention des spécialistes dont Estelle Moulineau, régisseuse des œuvres du musée des Beaux-Arts de Libourne...

Détails du tableau

Un laçage avait été ajouté autour de la jambe, sans doute pour cacher des défauts
Admirez la finesse de la main
Les pommes d'or
Des chiffres apparaissent dans la toile

Les différentes étapes de cette découverte (explications détaillées apportées par le musée) :

« Tout « musée de France » se doit de procéder au récolement de ses collections. Cette opération consiste à « vérifier, sur pièce, et sur place, à partir d'un bien ou de son numéro d'inventaire, la présence du bien dans les collections du musée, se localisation, son état, son marquage, la conformité de l’inscription à l'inventaire, avec le bien lui-même, ainsi que, le cas échéant, avec différentes sources documentaires, archives, dossiers d’œuvre, catalogues ». Au musée des Beaux-Arts de Libourne, les opérations de récolement sont confiées à la régisseuse des œuvres en charge de la conservation et de la manipulation des collections. Fin 2022, elle porte son attention sur une grande huile sur toile conservée dans les réserves du musée.

Une couche de papier Japon appliquée sur la surface de l'œuvre pour la protéger laisse entrevoir une iconographie bien connue des historiens d'art, inspirée des Métamorphoses d'Ovide (ler siècle après J-C.). On y voit le jeune Hippomène battre Atalante à la course grâce à une ruse : il jette sur son chemin des pommes d'or confiées par la déesse Aphrodite que la jeune femme s'empresse de ramasser. Ce thème est très identifiable car deux tableaux identiques sont conservés au musée national de Capodimonte à Naples et au musée national du Prado à Madrid. Tous les deux sont attribués au peintre italien Guido Reni (Bologne, 1575-1642).

Le registre d'inventaire précise alors qu'il s’agit d'un « dépôt ancien du musée du Louvre ». Mais les équipes du Louvre qui procèdent au récolement de leurs dépôts à Libourne, affirment que l’œuvre ne figure pas dans leur inventaire. Des recherches en archives permettent finalement d'identifier une délibération municipale attestant d'un don concédé en 1949 par un particulier à la Ville pour son musée. La délibération précise qu'il s'agit d'une « très belle copie de 2m/3m d'un Hippomène et Atalante de Guido Reno, dont l’original se trouve au musée de Naples ». Cette copie aurait été peinte au XIXe siècle.

Les recherches historiques conduisent le musée sur la piste d'une troisième version connue du tableau, dont on perd la trace après sa vente à Paris en 1867. Elle provenait de la collection du marquis José de Salamanca (1811-1883) et, avant, de celle de José de Madrazo y Agudo (1781-1859), peintre, élève de David, qui fut directeur du musée du Prado à partir de 1850. Est-ce la version de Libourne ? Le retrait du papier Japon et du vernis oxydé révèle une peinture de grande qualité malgré de nombreuses altérations. Une couche préparatoire d'ocre rouge, visible au niveau d'une lacune, pourrait indiquer une datation ancienne. Le choix est alors fait d'envoyer l’œuvre au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) pour mener des recherches plus poussées sur les matériaux. En parallèle, un comité scientifique se constitue pour accompagner cette étude.

L'enquête ne fait que commencer !
La radiographie apporte plusieurs informations. Lors de la prise de vue, des rayons X sont envoyés sur l'œuvre, qui les absorbe plus ou moins selon la nature et l’épaisseur de ses composants. Ces variations sont enregistrées par un détecteur placé derrière le support.

Les clichés obtenus en noir et blanc sont susceptibles de révéler des clous de fixation, des cachets, des déchirures, des craquelures, les traces d'une transposition, d'un réemplol, d'un changement de format, une galerie d'insectes, etc. Grâce à la radiographie, les experts peuvent en savoir davantage sur l'état de conservation d'un tableau ainsi que sur les conditions, les étapes, les secrets de sa fabrication.

Les observations faites grâce à ces examens permettent de progresser dans la compréhension des différentes campagnes d'intervention, ainsi que sur la question de l'attribution de l'œuvre originale. Nous pouvons affirmer d'emblée que l'œuvre ne date pas du XIXème siècle. La radiographie a, en effet, révélé la présence d'une toile sergée qui est caractéristique de l’Italie du XVIlème siècle et ne semble pas avoir été utilisée dans le courant du XIXème siècle. il faut noter que la toile n'est pas à son format d'origine. Elle a été agrandie ultérieurement de tous les côtés par un rentollage (fixation d'une seconde toile au revers de la toile d'origine), par le dépliage des bandes de tension d'origine (bords de la toile repliés et cloutés sur le pourtour du cadre) et par l'adjonction en haut et en bas de bandes de toile provenant d'un autre tableau non identifié. Cet agrandissement est visible à l'œil nu sur le tableau.

Les bandes d'agrandissement du haut et du bas sont d'armure toile. Ce sont des réutilisations l'une autre œuvre peinte, dont le sujet n'a pas été identifié. Un fragment porte un numéro qui est vraisemblablement celui d'un inventaire : il s'agit du 89, ou bien du 68, s’il faut le lire tête-bêche.

Un numéro dans l'angle inférieur dextre, actuellement dissimulé sous les repeints, réapparait sur la radiographie. Tracé au blanc de plomb ou au vermillon, il s'agit vraisemblablement d'un numéro d'inventaire qu'il est proposé de lice comme le 1110. D'autres hypothèses sont en cours d'étude concernant cette inscription.

La toile est couverte d'une préparation de couleur brune qui a fait l'objet de deux prélèvements. L’œuvre a été exécutée sur une double préparation de couleur brune, composée de terres, de carbonate de calcium et d'un peu de blanc de plomb. Ce type de préparation est habituellement rencontré dans les peintures du XVIle siècle ».

Les investigations et la restauration se poursuivent et le public est associé à ce jeu de piste. La question est : S’agit-il d’une œuvre de Guido Reni en personne ? D’une copie exécutée par des élèves et validée par le maître ? Ou d’une copie simple de son atelier ? L’œuvre ne comporte pas de signature. Quoi qu’il en soit, c’est une belle aventure culturelle. On sait maintenant qu’il existe quatre Atalante et Hippomène. Libourne a la chance d'en posséder un exemplaire !

• Les plus célèbres Atalante et Hippomène (musées de Madrid et Naples)

Extrait de l'article de Federico Giannini à l’occasion de l’exposition à la Pinacoteca Nazionale de Bologne (site : Finestre sull'Arte)

Récemment, une exposition "La favola di Atalanta. Guido Reni et les poètes" s’est tenue à la la Pinacoteca Nazionale de Bologne, organisée par Giulia Iseppi, Raffaella Morselli et Maria Luisa Pacelli jusqu’en février 2025

« Même dessin, dessin chromatique différent : plus claire la peinture de Madrid, plus sombre et avec un clair-obscur plus insistant la peinture de Capodimonte, une circonstance qui pourrait amener à considérer la version napolitaine antérieure à la version espagnole en raison de sa plus grande proximité avec les œuvres de la période romaine de Guido Reni. 

L’Atalante et Hippomène, manifeste de la beauté idéale de Guido Reni, est un tableau qui a fait couler beaucoup d’encre et dont les origines littéraires ont déjà été clarifiées grâce à l’existence d’un passage dans l’Adonis de Marino, composé dans les mêmes années. Ce que l’on ne sait pas du tableau, c’est qui l’a commandé : il semblerait presque que l’histoire ancienne du tableau ait été oubliée, si ce n’étaient les vers de Marino qui permettent de retracer la genèse du tableau dans le milieu culturel de Bologne, et peut-être plus encore de Rome, au début du XVIIe siècle. 

Les inventaires concernant les deux œuvres sont très tardifs : il est fait mention d’un Atalante et Hippomène de Guido Reni à la fin du XVIIe siècle dans les collections des Gonzague, et il n’est pas possible de savoir quelle version de l’œuvre a été réalisée par Guido Reni. Nous savons que, toujours au XVIIe siècle, un noble génois au service de la couronne espagnole, Giovanni Francesco Serra di Cassano, a eu entre les mains un Atalante et Hippomène de Guido Reni, qui s’est ensuite retrouvé dans les collections des rois d’Espagne : c’est cette œuvre qui se trouve aujourd’hui au Prado. 

La peinture napolitaine est encore moins connue, puisqu’elle n’est apparue qu’au début du XIXe siècle dans une collection milanaise, avant d’arriver dans les collections des Bourbons. L’idée suggérée par Giulia Iseppi est de trouver le mécène ou plutôt les commanditaires de l’Atalante et de l’Hippomène. Il faut chercher dans les milieux littéraires du début du XVIIe siècle, et en particulier dans l’Accademia dei Desiosi, fondée par le cardinal turinois Maurizio di Savoia. L’Accademia dei Desiosi réunissait sans doute Giovan Battista Marino, plusieurs hauts prélats qui gravitaient autour de Grégoire XV, quelques élèves de Guido Reni, et peut-être Guido Reni lui-même. 

En 1626, l’Académie produisit une sorte de journal dans lequel était mentionnée la “fable de l’Atalante”. L’Atalante et  l’Hippomène était connue des lettrés. Par conséquent, le nom des mécènes de l’Atalante et de l’Hippomène est peut-être à chercher du côté de ces prélats qui disposaient de grandes salles pour exposer des tableaux de dimensions aussi remarquables et qui, en même temps, pouvaient comprendre pleinement, sous la bannière de cet humanisme chrétien raffiné utilisé pour relire les mythes grecs et romains dans une clé contemporaine, le sens de la peinture de Guido Reni : le Bolonais Ludovico Ludovisi, le Mantouan Ferdinando Gonzaga, par ailleurs grand ami de Barbazza, et Maurizio di Savoia lui-même. Un tableau qui a peut-être été réalisé pour l’un de ces prélats et qui est ensuite devenu l’objet de la convoitise de certains de ses autres “collègues”, au point d’amener Guido à en peindre une autre version. Et peut-être d’autres encore ». 

Libourne coche la case ! …

La chapelle du Carmel, 45 allée Robert Boulin, où se déroule la restauration du tableau

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