Claude Grijalvas : De "Young boy, Gondeville, Charente, France 1951" du photographe américain Paul Strand au "Jeune homme en colère" de Michel Boujut
Le village idéal serait-il à Gondeville en Charente ?
Mars 2025 : L'association Au fil de l'art festival sur les pas du "Young boy, Gondeville, Charente, France 1951" de Paul Strand. Sur cette photo, l'école où Claude Grijalvas a été scolarisé (©NB). |
La célèbre photo de Claude Grijalvas photographié par Paul Strand en 1951. |
Photo "reconstitution" de Claude Grivaljas en 1995 par François Huchet |
En 1993, quand le journaliste Michel Boujut retrouve le modèle de Paul Strand, photo légendée par son auteur "Young boy, Gondeville, Charente, France 1951", il le baptise "Le jeune homme contrarié" pour son émission Les Nuits Magnétiques (France Culture), qui deviendra "Le jeune homme en colère" dans le film et le livre qui suivront.
Le jeune homme en colère, qui était-il ?
Cette célèbre photo était le thème d’une conférence organisée l’autre samedi à Jarnac-Charente par Claire Laporte Bisquit, présidente de l'association Au fil de l'Art Festival, dans le cadre du Printemps des poètes. Invités du jour, le cinéaste Thomas Boujut et le photographe François Huchet. Ils ont rejoint la "famille" qui s‘est constituée autour de la photo de Paul Strand. Thomas Boujut parce que son père Michel, écrivain, critique et producteur bien connu, a retrouvé l’identité du jeune homme en colère dans les années 1990 et l'a convaincu de participer à une reconstitution à Gondeville ; François Huchet parce qu'il a pris un nouveau cliché de Claude Grijalvas, scellant ainsi le passé et le présent. Plus de 40 ans après, l'homme a posé devant le même portail. La presse s'en est largement fait l'écho, sous la plume de Dominique de Laage en particulier.
François Huchet et Thomas Boujut lors de la conférence à Jarnac |
Aux côtés de Claire Laporte Bisquit, présidente de l'association Au fil de l'art festival, François Huchet, Thomas Boujut, sa mère Mano, Samuel Méchain (©NB) |
Thomas Boujut : « Cette photo a une universalité, elle aurait pu être prise n’importe où »
Le film de Michel Boujut nous plonge dans le temps d’avant. Claude Grijalvas naît en 1932. Fermiers, ses parents affichent la couleur : ils sont communistes. L’enfant grandit dans la France rurale d’avant la mécanisation. Les vignes, les moissons, les champs. Un garçon dans une ferme, ce sont d’abord des bras ! Les tâches ne manquent pas du matin au soir. Il vaque aux occupations et dès qu’il le peut, il s’évade. Le fleuve Charente est un merveilleux terrain de jeu. Il pêche, se baigne, respire. Des moments précieux car rares dans sa vie d'ouvrier agricole. Paul Strand tombe à point. Ce jour-là, Claude Grijalvas va tendre sa ligne et s’il traîne, sa famille l'en privera : « il y avait toujours quelque chose à faire ! ». Alors, il se presse pour échapper aux contraintes. Il accepte toutefois de poser devant l’objectif, mais son regard en dit long sur l’agacement qui l’habite. C’est précisément cette fougue d’une farouche beauté qui fera la popularité du « Jeune homme en colère », préalablement nommé « Le jeune homme contrarié ».
« Cette photo a une universalité, elle aurait pu être prise n’importe où. Qu'elle soit exposée aux États-Unis est émouvant pour les Charentais en visite outre Atlantique ! D’ailleurs, le poète Daniel Reynaud a appelé la Charente le Mississipi ! Claude Grijalvas, c’est un James Dean. Ce film projeté aujourd'hui correspond à la manière dont mon père travaillait : l’inspecteur Boujut tirait le fil de la pelote de laine. Chez lui, la petite histoire rejoignait la grande. Elle est allée plus loin que Gondeville ! Il a été touché par cette photographie et il a voulu savoir qui se cachait derrière le jeune homme en colère » explique Thomas Boujut. Ce dernier a sillonné l’hexagone, lancé un appel dans les journaux. Un beau jour, une personne lui apporte enfin des informations. Après un an d’enquête, ses pas le conduisent dans la banlieue parisienne, à Châtillon. Il sonne à une porte. C'est bien là qu'habite Claude Grijalvas ! Il le rencontre et lui présente sa démarche. Raconter l’histoire et les faits à la radio, tourner un film et écrire un livre. Le plus intéressant, c'est que l'intéressé ne savait pas que son portrait avait fait le tour du monde. Célèbre malgré lui !
Parallèlement, le photographe François Huchet est sur la même piste. « J’avais commencé à Gondeville où j’ai cherché le lieu où avait été prise la photo ». Il le localise dans le bourg. Par contre, en 1993, personne dans la commune ne sait ce qu'est devenu le modèle de Paul Strand : « On m’a conseillé d’aller voir le maire et de lui poser la question. En vain, ça n’avançait pas ». Un samedi matin, le téléphone sonne. Au bout du fil, le journaliste Michel Boujut. « Vous vous intéressez à une photo de Paul Strand, le jeune homme en colère ? Moi aussi. On peut se voir ? Mardi prochain, je suis chez vous ». Il est accompagné de Christine Robert, réalisatrice. « On discute et il m’associe à sa recherche de Claude Grijalvas ». L'enquête aboutit et l’émission, diffusée sur France Culture, intéresse le public. On ne va pas en rester ! La suite, vous la connaissez.
1995 : « Nous avons placé des sacs poubelle pour créer un mur noir afin de ne pas trahir la lumière de Paul Strand » |
En 1995, quand François Huchet photographie Claude Grijalvas, il est alors âgé de 65 ans (il en avait 19 sur la photo de Strand). Il se souvient : « Au départ, Claude Grijalvas ne voulait pas se déplacer à Gondeville et quand il a accepté, c’était minuté ! Je suis arrivé sur place, la prise était prévue vers 15 h/16 h. Or, la cour avait été séparée par un mur. Il a fallu l’occulter. Nous avons placé des sacs poubelle pour créer un mur noir afin de ne pas trahir la lumière de Paul Strand. En observant les lieux, je me suis aperçu que la barre de fer qui apparaissait derrière le jeune homme ne se situait pas au même niveau. En y regardant de plus près, j’ai réalisé que le sol avait été remonté de plus d’une vingtaine de centimètres. Pour cette nouvelle photo, Claude Grijalvas est donc assis. J‘étais sous pression. Je devais faire une photo rapidement en respectant les règles et le cadrage de Strand ». Ses efforts sont récompensés.
1995 : Michel Boujut et Claude Grijalvas (archives) |
1995 : Claude Grijalvas et François Huchet (archives) |
Michel Boujut lors du tournage du film (archives) |
Le public réuni pour la conférence à la Maison natale de François Mitterrand |
En conclusion, Bertrand Desormeaux (ancien directeur de Trafic image CNC) rend un bel hommage à Michel Boujut : « J’ai enseigné le cinéma. Je l'appréciais et pour moi, son livre « Le jeune homme en colère », est le meilleur ouvrage sur l’histoire d'une photographie. Drôle et subtil, il y a une magie qui opère. Je l’ai souvent offert ! ».
• L'info en plus
Dans les pas de Paul Strand et du Jeune homme en colère :
Samedi après-midi à Gondeville. Etaient présents à cette reconstitution, Claire Laporte Bisquit, présidente de l'association Au fil de l'Art Festival, Samuel Méchain, ancien directeur de l'école de Gondeville, présent au moment du tournage du film en 1995, Fabrice Ré, organisateur d'un rallye photos « sur les traces du film de Michel Boujut » avec des membres de l'association Focale 16, Jacky Ferrand, passionné d'histoire locale, son épouse Thérèse, leur fille (directrice de l'école) et leur petite fille, François Huchet, photographe, Pierre Sardel, conservateur du cabinet d'arts graphiques du musée Dobrée et Philippe Josserand, enseignant en histoire du Moyen-Âge à l'université de Nantes.
L'évocation des souvenirs |
1995/2025 : Devant le portail où a été prise la photo du "jeune homme en colère", François Huchet, Samuel Méchain, Jacky Ferrand et son épouse (photo montage/JLD) |
• Né en 1932, Claude Grijalvas a été scolarisé à l’école de Gondeville. L’ancien directeur Samuel Méchain a retrouvé son nom dans un registre.
• Toujours en contact : « Nous sommes allés au second mariage de Claude Grijalvas. J’ai passé deux jours fabuleux aux côtés de Michel Boujut et suis toujours en contact avec Mauricette, la veuve de Claude décédé en 2021 » confie François Huchet.
François Huchet, photographe (© N. Bertin) |
A la recherche du village idéal : Paul Strand est né à New-York en octobre 1890 dans une famille originaire de Bohême (installée en Amérique au milieu du XIXe siècle). Quincailler, son père Jacob Stransky a changé son nom en Strand peu de temps avant la naissance de son fils unique. Devenu photographe, Paul Strand a un rêve : faire le portrait d’un village idéal dont les habitants raconteraient leur histoire. Encore faut-il le trouver ! Il part pour la France en 1950 et avec sa femme, Hazel Kingsbury. Arrêt sur images à Gondeville en Charente. Paul Strand immortalise les gens du coin dont Claude Grijalvas. Ils font l’objet d’un livre publié en 1952, « La France de profil », accompagné des textes de Claude Roy.
• Stieglitz, photographe et galeriste américain, au sujet des photos de Paul Strand : « Elles sont l’expression directe du temps présent ».
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