jeudi 26 décembre 2019

Rétrospective 2019 : en février, Jean-Claude Blanchon, formidable constructeur de machines à vapeur en modèles réduits, nous a quittés

Jean-Claude Blanchon nous a quittés. Une cérémonie aura lieu au cimetière du Breuil à Cognac vendredi 1er février à 14 h 30 où ses amis seront nombreux à lui rendre hommage. Passionné par les machines à vapeur, il les reproduisait en modèles réduits. Un univers bien à lui dont il connaissait les codes et les secrets. Que l'éternité lui offre de rencontrer Cugnot, inventeur du premier véhicule automobile à vapeur, et Marc Seguin à l'origine de la première chaudière tubulaire...  

Jean-Claude Blanchon : « les machines à vapeur symbolisent la révolution industrielle »
Le charentais Jean-Claude Blanchon a une passion : il construit des machines à vapeur, en modèles réduits, qui suscitent l’admiration par leur précision et leur finesse d’exécution. Désormais, il présente sa collection dans une salle aménagée de sa maison de Saint-Brice, qu’il ouvre au public pour les journées du patrimoine. Sa dernière création est une machine à vapeur de James Watt dotée d’une structure en bois.


Ami de Jean-Paul Pinaud qui organisait un rassemblement de machines agricoles à Saint-Fort sur le Né, Jean-Claude Blanchon est un amoureux du passé.
Il se sent proche des pionniers, des inventeurs qui firent avancer le progrès en imaginant de nouveaux mécanismes. La machine à vapeur, qui révolutionna l’ère industrielle au XIXe siècle, est l’objet de toutes ses attentions. Son plaisir est de redonner vie à ces matériels en construisant des modèles réduits qui marchent, s’il vous plait ! C’est là que résident la subtilité et l’originalité de sa démarche dont l’aspect pédagogique est indéniable. En effet, rares ont les lieux où l’on peut voir réunis le Fardier de Cugnot, première voiture automobile à vapeur, et la première chaudière tubulaire de Marc Seguin.
Ces “reproductions” requièrent deux qualités : « Il est préférable d’être précis et minutieux » souligne Jean-Claude Blanchon qui sait de quoi il parle. Depuis qu’il est retraité, cet ancien marchand de bois reconverti dans la mécanique, puis dans l’électronique - il a travaillé pour l’Aérospatiale - a cessé de courir plusieurs lièvres à la fois. Il s’adonne à sa passion et les journées ne sont pas assez longues.
Peu à peu, ses “créations” ont envahi les tables de sa maison de Saint-Brice, près de Cognac, de la cuisine en passant par la salle à manger, sans oublier un local plus vaste, à l’extérieur. Conscient qu’il devait les présenter en un même lieu, il a aménagé une pièce d’exposition.


Pourquoi cette attirance ?

L’intéressé estime que c’est une vieille “histoire”. Il parle de son enfance et de sa rencontre avec une locomobile qui servait à actionner une batteuse agricole. Par ailleurs, la scierie de ses parents était située près de la voie ferrée Saintes/Angoulême : « Je regardais passer les locomotives, je n’en manquais pas une ! ». Ses oncles, mécaniciens, entretenaient eux-mêmes le matériel : « Dans les années 1950, réparer était possible à condition d’avoir un peu d’expérience. Nous ne baignions pas encore dans la société de consommation et les machines étaient conçues pour durer longtemps ! ».
Le jeune Jean-Claude est fasciné par cet environnement. Esprit vif et observateur, il apprend les gestes de ses aînés et approfondit ses connaissances en lisant des livres spécialisés, des “bibles” comme la “mécanique générale”, où sont données les “clés” indispensables.
Il réalise sa première machine à vapeur vers l’âge de 15 ans : « Il s’agissait d’une réplique de moteur de la Société française de Vierzon ».


Malheureusement, il ne peut guère continuer pour une raison simple : il faut bien gagner sa vie et sa famille a besoin de lui. Le temps passe...
C’est en 1983 qu’il reprend cette activité qui devient pour lui un véritable loisir. « J’avais enfin la liberté de faire ce qui me plaisait. Je suis revenu aux machines à vapeur qui ont disparu les unes après les autres. D’une certaine manière, j’avais envie de les faire revivre et de les mettre en valeur. Hormis certains modèles présentés dans les musées, celui des Arts et Métiers en particulier, elles appartiennent au domaine virtuel. Il est intéressant que le public puisse les découvrir »...

Vive les inventeurs, de Denis Papin à James Watt !

Depuis qu’il est maître de son temps, Jean-Claude Blanchon s’isole dans son “jardin secret”. Son atelier est rangé impeccablement : « L’ordre est indispensable pour s’y retrouver » dit-il. En général, il travaille à partir de plans achetés en Angleterre. Il existe aussi des kits dont les pièces peuvent être assemblées. Toutefois, il n’apprécie guère cette “facilité”. Perfectionniste, il fabrique lui-même ses éléments, de la plus grosse pièce au plus petit boulon : « Chaque étape rapproche de l’inventeur. On pense comme lui en partageant son objectif. C’est un moment exaltant ».

Il a une affection réelle pour Marc Seguin. Le neveu de J. de Montgolfier, qui dota les locomotives de chaudières tubulaires, est à l’origine des ponts suspendus à câbles comme celui du Martrou, à Rochefort. A cette époque, les ingénieurs n’avaient qu’une motivation en tête : inventer des systèmes qui faciliteraient le développement et l’essor du monde économique. « Certains ont commis des erreurs de conception et il est facile de comprendre pourquoi leurs machines n’ont pas donné grande satisfaction ! Dans notre jargon, nous disons que ce sont des délires d’ingénieurs ».


Comment Jean-Claude Blanchon est-il parvenu à ces conclusions ? Tout simplement parce que chacun de ses modèles réduits est en état de fonctionnement, des essais étant obligatoires avant de passer aux finitions.
« Si le mécanisme présente un défaut, je suis dans l’obligation d’apporter des corrections. Quand je ne dispose pas de plan pour me guider, j’établis les proportions à partir d’une photographie ou d’un croquis. Je fais mes calculs et si j’ai un doute, je me déplace. Je suis allé par exemple à Paris, au musée des Arts et Métiers, pour observer de plus près le fameux Fardier de Cugnot ».

À ses côtés, Jean-Paul Pinaud, l’un des anciens responsables de l’association « machinisme et tradition en Grande Champagne », ne se lasse pas de regarder ces “miniatures” semblables à des jouets, mais qui n’en sont pas ! « La machine à vapeur symbolise la révolution industrielle. Elle est, en tout cas, le prélude à une révolution énergétique d’une immense ampleur car, pour la première fois, l’homme a produit de l’énergie motrice indépendamment des éléments naturels, moulin à eau, à vent ou à marée » souligne-t-il.
Depuis plus de vingt-cinq ans, Jean-Claude Blanchon a construit une soixantaine de modèles qui ont nécessité 33.000 heures de travail. Il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’il a en projet un moteur Atkinson. « Son travail est remarquable » reconnaît Jean-Paul Pinaud qui aimerait concrétiser un vieux rêve : réaliser une “vraie” routière dans son atelier de Saint-Fort !
Qu’ajouter de plus sinon que l’intelligence de la main, conjuguée à un vrai talent, mérite toute notre admiration...

Infos en plus

• Ils ont eu des “vapeurs” !

L’histoire est longue et elle commence avec Héron d’Alexandrie, mathématicien et mécanicien grec qui vivait au 1er siècle de notre ère. Il est le père de l’éolipyle. Cette première turbine à réaction transformait la chaleur en énergie mécanique en utilisant la force de deux jets de vapeur.
« Par la suite, il y eut un grand silence au Moyen-Âge. L’église n’encourageait guère les chercheurs » déplore Jean-Claude Blanchon. Et il rappelle les malheurs de Galilée « victime de l’Inquisition ».
Au XVIIème siècle, Denis Papin fait évoluer les techniques. Il imagine un “digesteur” doté d’une soupape de sécurité, ancêtre de l’autoclave. Cette cocotte-minute numéro un est « capable de faire cuire toutes sortes de viande en fort peu de temps et à peu de frais ». En 1690, il présente à Leipzig, en Allemagne, une machine à vapeur à piston. De l’autre côté de la Manche, Thomas Savery met au point une pompe qui aspire les eaux de mines.
T. Newcomen améliore les découvertes de ses collègues. Il commercialise la première machine à vapeur vraiment utilisable par les entreprises, qui active les pompes à eaux ordinaires. Ce principe est repris par James Watt qui ajoute le condenseur, l’action alternative de la vapeur sur les deux faces du piston, le régulateur à boules, le manomètre, le système de bielle manivelle.
Le physicien français Sadi Carnot, père de la thermodynamique, voit en la machine à vapeur le moyen d’accroître les transports maritimes :
« La navigation sûre et rapide des bâtiments à vapeur peut être regardée comme un art nouveau dû aux machines à feu » écrit-il. Au XIXe siècle, la locomotion sans chevaux voit le jour avec l’apparition des chemins de fer (un sacré bouleversement !). Les Britanniques planchent sur la question et la ligne Manchester - Liverpool est restée célèbre en matière d’expérimentation.


Néanmoins, il serait injuste d’écarter de la course au progrès le français Joseph Cugnot qui présenta, en 1771, un véhicule à vapeur baptisé “fardier” employant un moteur atmosphérique et roulant à 6 Km/h. Il était destiné au transport des pièces d’artillerie. Seul hic, en raison d’un défaut de freinage, le conducteur emboutit un mur et rendit des comptes à la justice. On l’accusa même d’être « un danger public »...
En 1802, au Royaume-Uni, Trevithick fait breveter un prototype de locomotive à vapeur. Un peu plus tard, Stephenson propose un nouveau concept, celui de la voie ferrée. En 1825, est inaugurée la première ligne de transport de frêt entre Stockton et Darlington. Les voyageurs suivront ! Dans l’hexagone, deux inventeurs venant de Nantes, Brisonneau et Lootz, sont les “ancêtres” de l’actuelle société Alsthom qui construit des TGV à la Rochelle !
« Suivre les découvertes qui conduisent de la machine à vapeur au moteur à explosion est une longue aventure, riche en tâtonnements et en rebondissements » explique Jean-Claude Blanchon. Ingénieurs et savants se sont succédé, rivalisant d’imagination.
Ils possédaient ce “plus” qui fait avancer le progrès et donc l’humanité. Certains ont connu des désillusions, d’autres ont remporté des “victoires” et contribué aux avancées techniques qui ont marqué les XIXe et XXe siècles. «Aujourd’hui, le principe de la machine à vapeur se retrouve dans les centrales nucléaires et thermiques avec la chaudière, la turbine et l’alternateur» remarque Jean-Claude Blanchon. Les idées géniales des uns ont fait entrer les autres dans la modernité : Héron d’Alexandrie était la première pierre de l’édifice !

Photo 1 : Une belle collection de machines à vapeur, modèles réduits, allant des inventions d’Héron d’Alexandrie (IIe siècle avant J.C.) aux flash steam (vaporisation instantanée dans un serpentin).

Photo 2 : Les machines sont composées d’acier, d’aluminium, de laiton, de bronze et de cuivre. Jean-Claude Blanchon fait tout de A à Z : il coule les grosses pièces, tourne, assemble, peint et teste. Il utilise même de l’os pour certains petits détails. Il achète ses vis en Suisse, du côté de Zurich.

Photo 3 : Machine à vapeur conçue par James Watt (mécanicien écossais vivant au XVIIIe siècle). Il est l’inventeur du régulateur en 1774. Ce modèle réduit a nécessité 700 heures de travail.

Photos 4,5 et 6 : modèles à découvrir chez Jean-Claude Blanchon.

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