lundi 22 janvier 2018

Lycée de Pons : Réfugié syrien, Mosa raconte le long périple qui l’a conduit en France

Domenico Lucano, maire de Riace (Italie) : « Ici, l’étranger est tout sauf indésirable »

Etudier, c’est aussi comprendre le monde et ses réalités. Heureuses ou malheureuses. Depuis des années, la guerre fait rage en Syrie et les fameux printemps arabes n’ont satisfait, dans leur idéologie, que des intellectuels assis sur leurs certitudes. Les populations souffrent et certains quittent leur pays pour échapper à la mort. Fuir, s’exiler sont les verbes qui viennent à l’esprit face à l’étau qui enserre quand les bombes s’abattent. Syriens d’origine kurde, Mosa et sa famille ont été frappés durement par cette fatalité qui les a conduits en France. Un pur hasard. Ils habitent aujourd’hui Montlieu la Garde, commune dont Nicolas Morassutti est maire. 
Mardi dernier, Mosa a témoigné devant des élèves du lycée de Pons. 
La classe de STMG (Sciences et technologies du management et de la gestion) se rendra en mai prochain au village de Riace en Calabre, au sud de l’Italie, avec leur professeur David Saby.

La photo de groupe avec les élèves
Il y a quelques mois, nous avons rencontré Mosa à la mairie de Montlieu. Aux côtés du maire Nicolas Morassutti, il nous avait raconté son histoire. Un voyage de l’impossible dont profitent les mafias et qu’il ne souhaite à personne. Il a quitté Alep, sa ville de Syrie, son métier, ses amis et finalement sa vie par obligation, celle de la guerre. Les conflits vous chassent pour une simple raison de survie, font de vous un étranger, un « migrant », voire un errant à la recherche d’une hospitalité qui vous permettra de renaître. Les enfants auront alors une nouvelle chance avec une ombre toutefois, leur ciel ne sera pas celui de leurs ancêtres. Cette situation porte le nom de diaspora, « dispersion d'une communauté ethnique ou d'un peuple à travers le monde ». Au fil des siècles, de nombreuses populations ont été confrontées à ces tragédies. Certains attendent toujours d’avoir un vrai territoire comme les Kurdes éparpillés en Syrie, Turquie, Iran et Irak.

Nicolas Morassutti, Mosa et son voisin de Montguyon, 
Syrien comme lui
Une salle attentive
Mardi dernier, devant des élèves du lycée de Pons, de la seconde à la terminale, Mosa a raconté son « exode » qui s’échelonne de 2013 à 2017. Deux films ont été projetés. L’un présente Alep avant et après les bombardements et l’autre a été tourné en Grèce, dans les camps de réfugiés. Sensibles, les jeunes ont ressenti et partagé ces images parfois dures, eux qui portent le flambeau des générations futures.

Agé de 33 ans, menuisier de profession, Mosa est marié et père de trois enfants. Après un périple jonché d’embûches où elle aurait pu perdre la vie, sa famille s'est installée à Montlieu la Garde. Aujourd’hui, Mosa doit tout reconstruire. Il raconte sa vie d’avant : « A Alep, nous avions une entreprise de mobilier qui employait 17 salariés. Ma famille vivait correctement. Nous avions chacun une maison, une voiture, tout le monde travaillait » dit-il. Quand les premières manifestations contre Bachar ont commencé à Deraa, l’inquiétude a monté.

Au fil des mois, l’arrivée des intégristes dans les villes et les villages a bouleversé la vie des habitants. « Je revois les morts gisant dans les rues d’Alep. On ne pouvait même pas s’attarder en raison des tireurs isolés, une balle pouvant vous atteindre à n’importe quel moment » souligne-t-il. Avec sa femme et ses enfants, il rejoint le village natal situé dans la montagne, à 90 km d’Alep. Les difficultés s’enchaînant, il part en Turquie où il reste deux ans. Néanmoins, l’attitude de certains Turcs envers les Kurdes n’étant guère "cordiale", il préfère quitter les lieux et fait appel à un passeur. Passeurs qui appartiennent à des mafias locales. D’Izmir, destination l’île de Mytilène. Le coût de la traversée est de 750 euros par personne (la moitié pour les enfants) : « Les plus riches ont acheté des gilets de sauvetage ; nous autres des chambres à air au cas où nous tomberions à l’eau ». 

Au moment d’embarquer, coup du sort, il n’y a pas de pilote dans le bateau et la barre est cassée. Dans ces conditions, personne ne veut y monter. C’est alors que le passeur se met en colère et pointe une arme sur eux : « nous avons obéi, sinon nous étions tués ». Ils sont 45 : « normalement, cette traversée n’excède pas 30 minutes, elle a duré 4 heures. Il faisait très froid. Sur la plage, des Allemands nous ont aidés à accoster et pris en charge. J’en ai pleuré de joie. Depuis des mois, je rencontrais enfin des gens bienveillants à notre égard ». On leur donne des vêtements et ils sont hébergés dans des structures qui leur permettent de « se poser ».

Alep en ruines, avant et après
Par la suite, Mosa rejoint la Grèce par une ligne régulière. Lui et les siens sont conduits dans un centre de la banlieue d’Athènes. A Idomeni, se trouvent des milliers de personnes. « A un moment, j’ai vraiment douté et je voulais rentrer en Turquie à la recherche d’un endroit de paix pour ma famille ».
C’est alors qu’il rencontre Enzo Infantino, Nicolas Regina et bien d'autres encore, membres de l'association Calabria per idomeni ou de la mission italienne la Carovana Solidale Calabrese qui interviennent dans les camps de réfugiés pour leur offrir un appui humanitaire. Peu à peu, Mosa retrouve le moral et apporte son aide. En 2017, sa famille et celle de son frère sont dirigées vers la France dans le cadre du CADA (accueil des demandeurs d'asile). En Charente-Maritime, ils sont encadrés par Tremplin 17. Après une étape à Nantes, Mosa arrive à Montlieu La Garde tandis que son frère, sa femme et ses quatre enfants sont conduits à Matha. Un logement leur a été attribué et deux des enfants de Mosa sont scolarisés. Il suit régulièrement des cours de français et vient d’acquérir un véhicule. Ses documents administratifs ayant été validés, il est à la recherche d’un emploi.

Rentrer en Syrie ?

Ces deux films montrent les drames, les humiliations que vivent les migrants et les situations précaires qui règnent dans les camps de réfugiés. Interrogées, les personnes expriment un réel désespoir, celui du déracinement. Froid, faim, humidité, manque d’hygiène, promiscuité. Et aussi leurs espérances respectives, le film de Mauricio Marzola étant dédié à la dernière fille de Mosa, Kajin, née pendant le tournage. Certains pensent qu’il vaudrait mieux qu’ils rentrent en Syrie pour y mourir afin d’être inhumés dans la terre de leurs aïeux. Les jeunes, désespérés, apportent des témoignages touchants. L’un d’eux voulait devenir médecin : quelles chances lui sont offertes aujourd’hui ? Tous sont unanimes sur un point : ils seraient restés chez eux si le régime était stable. Mosa est réaliste sur la question : « Aujourd’hui, la Syrie n’est plus la même. Tout est détruit et je crois que c’est même pire qu’avant ». Il s’inquiète pour ses proches encore là-bas : « j’ai appris qu’il y avait eu des bombardements dans le Nord de la Syrie. Je pense à eux en permanence. Comment pourrait-il en être autrement ? Moi, je suis dans un pays en paix, pas eux ». 

Camp de réfugiés en Grèce. Celui-là a heureusement un toit qui protège 
les tentes de la pluie...
Mosa veut s’en sortir. Jeune et dynamique (outre l’arabe, il parle le turc, l’anglais et apprend le français, soit 200 heures obligatoires), il cherche activement un travail. « C’est un bon professionnel » souligne le maire de Montlieu qui salue les bénévoles mobilisés dans sa commune pour sa réussite. Disposer du permis de conduire et d’un véhicule est un atout que n’a pas une autre famille syrienne installée à Montguyon, dépendante des bonnes volontés.
Intéressés, les lycéens ont posé de nombreuses questions. « La France est ma nouvelle famille. Je change de vie et je fais tout pour m’adapter, que l’intégration se passe bien » explique Mosa. Il se souvient des craintes qu’il avait à son arrivée : « c’était l’inconnu et j’avais des appréhensions. Je n’avais jamais entendu parler de Montlieu, mais j’y ai rencontré des gens qui m’ont aussitôt tendu la main, à commencer par le premier magistrat et son équipe ». Un bel exemple de fraternité.

En mai prochain, les élèves de STMG, David Saby (professeur en relation face Enzo Infantino) et un cameraman se rendront en Calabre, dans le village de Riace qui revit grâce aux migrants. De 980 habitants, il en compte désormais 3500 ! Le film, réalisé sur ce voyage d’étude, ne devrait pas manquer d’intérêt.


• Accueillis à Montguyon, Mohamed (à gauche de la photo aux côtés de David Saby) et son frère travaillent le cuir. Mosa, quant à lui, fabrique des meubles sur mesure. Si des artisans recherchent du personnel, qu’ils n’hésitent pas à leur faire signe !

• Kajin : où est la vie ? Film produit par l’association humanitaire italienne Carovana Solidale e Resistente Calabrese. Cette association vient depuis plusieurs années en aide aux réfugiés accueillis dans des conditions précaires dans les camps grecs. Le film montre leurs conditions de vie, leurs inquiétudes, leurs espoirs.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article. Connaissant Mosa, son intelligence, de cœur et d'esprit, j'espère vivement que cet article sera partagé, car il est un beau témoignage d'écoute et de fraternité. Puissent les établissements scolaires et les structures associatives de notre région permettre la diffusion de ce film et lui donner la parole. Puisse t-il, lui, trouver du travail et aller plus loin encore dans cette résilience, cette revanche sur la vie. Le débat sur les réfugiés et l'immigration est très compliqué mais parfois, un regard d'un enfant, une mère oubliée dans une chambre d'accueil, un Mosa ...vous font tout oublier et on songe bien sûr à cette belle "Europe qui avait tant rêvé d'être sociale" En attendant, il est un maire dans notre région que l'on a envie de remercier pour l'accueil et l'espoir qu'il a su donner à toute une famille. Cécile Trébuchet