S'apitoyant sur une écriture délaissée par une armée d'active confortablement installée dans un devoir de réserve qui lui conviendrait, le général Lecointre entend stimuler les neurones en uniforme, leur rappelant l'existence d'un droit d'expression qu'il juge insuffisamment utilisé. Le silence des plumes régimentaires ou divisionnaires l'inquiète. Alors, il y met du sien, et s'y colle. Il nous invite à nous procurer le livre « Le soldat » co-écrit avec les auteurs d'articles parus dans la revue Inflexions, publication, aussi connue et lue que la Satire Ménippée ou le Décaméron, pour élite pensante dont j'ai eu l'heur d'entendre parler par une autre voie, elle aussi prestigieuse, je le reconnais, mais tout aussi confidentielle.
Quand le CEMA fait la leçon à ses
troupes sur la nécessité de mettre l'écriture au service d'une pensée
féconde pour édifier au mieux la pyramide du commandement, appelant leur
attention sur les risques du silence des esprits, de la paralysie des
cerveaux et soulignant par de glorieux exemples le lien indéfectible
entre la pensée et l'action, il fait probablement souffler dans les
bivouacs comme une bouffée d'air frais.
Le choix du Figaro n'est pas un
hasard. Le général Lecointre sait qu'il a davantage de chance d'être lu
par un grand nombre de troupiers concernés qu'en ayant sollicité les
colonnes de quotidiens plus diversement appréciés par les uniformes
galonnés qui souvent ont fait les frais de leurs éditoriaux. Bien joué.
Mais au delà du contenu de son article, dont nul ne pourra contester le
bien-fondé, ni la qualité des idées fortes qu'il énonce, que faut-il
retenir ?
Le CEMA propose à ses troupes
d'échanger de temps à autre l'épée contre la plume. Celle ci serait
absente dans les rangs harassés de nos armées. L'épée brandie du levant
qatarien au couchant Sahélien, de la brousse africaine aux beaux
quartiers parisiens, ne devrait plus suffire au quotidien des soldats à
qui incomberait aussi l'écriture d'une géostratégie aujourd'hui lente à
trouver la bonne direction où tourner ses canons. Cela pourrait se
nommer la stratégie participative.
Dès lors, il faudrait qu'après avoir
porté pendant des heures une musette de misère sur des étendues
infinies à bord d'engins expirants, ou battu le pavé de nos sites
sensibles avec un enthousiasme débordant, nos vaillantes troupes mettent
en marche, pour bâtir un avenir radieux à la patrie, leur esprit déjà
malheureusement saturé par les insolubles soucis du lendemain. Mais
pourquoi pas ? D'autres l'ont fait ! J'ai le souvenir d'un brillant
officier me confiant que chaque soir, en manœuvre ou en opération, après
un brin de lecture puisée dans un livre emporté à dessein, il faisait
des fiches. Beau précédent !
Cette directive, car c'en est une,
témoigne d'un changement radical dans la volonté du haut commandement.
Il serait temps. Certains pourraient croire qu'en évoquant dès
l'introduction de son article les "valeurs" pérennes du soldat, le CEMA
fixe les limites du champ d'investigation où devrait s'exercer les
talents épistolaires aujourd'hui refrénés de notre élite militaire. Il
n'en est rien.
Si bientôt devaient surgir les de Gaulle ou Lyautey du
"nouveau monde", ces esprits ne connaîtront pas de digue. Ils seront
probablement amenés à s'interroger sans détour sur la difficulté qu'il y
aura à asseoir le courage des soldats sur celui dont a fait preuve le
gouvernement face aux zadistes de Notre Dame des Landes. De même, il
leur faudra ruminer sur notre attitude passée face au "tyran" syrien qui
aujourd'hui nous fait des pieds de nez méprisants. Ou bien encore se
demander quel sens peut avoir la défiance maladive, réelle ou supposée,
dont nous faisons preuve à l'égard de Moscou. Nous allons nous amuser !
Il y aura du remue-méninges dans les popotes ! Iront-ils jusqu'à dénoncer
les errements funestes d'une condition militaire au plus mal en raison
de la gouvernance civile qui lui est imposée ? Espérons-le !
Ce qu'il faut déplorer dans cet article
dénonçant, d'une certaine façon, moins la paresse intellectuelle des
gradés que les craintes que leur inspire une expression libre de la
pensée en raison des risques pour eux-mêmes qu'elle pourrait comporter,
c'est un appel à la contribution des civils tout en ignorant l'apport
potentiel des Anciens. Parodiant un très ancien CEMAT, j'oserais
rappeler « qu'un militaire reste militaire quand il n'est plus militaire ».
Mon illustre référence parlait du "chef". Certes, cela n'est pas
toujours vrai. Mais ça l'est dans la majorité des cas. Or, de telles
plumes, surtout quand elles se sentent ignorées, s'aiguisent à la pierre
de la pugnacité et du défi. Elles peuvent alors devenir cinglantes. Il
est maladroit de les tenir à l'écart des débats alors qu'elles se
sentent concernées, parfois au premier chef. Cela mériterait au moins
reconnaissance.
Le général CEMA a certainement déjà
trouvé dans les colonnes de L'ASAF la preuve de riches et très
intéressantes contributions, toutes respectueuses de la déontologie
militaire, mais fermes et engagées pour la défense des soldats,
exprimant sans détour ce qu'elles pensent du monde comme il va. Citons
pour l'exemple le Plaidoyer pour nos soldats du général Soyard,
dont l'un des mérites réside dans les solutions qu'il propose. D'autres
plumes y cernent avec brio les enjeux de demain.
L'expression des anciens s'est toujours faite dans la dignité et le
respect de la hiérarchie militaire, à qui elle n'a jamais disputé la
primauté de son autorité. Est-il raisonnable de la laisser pour compte,
alors qu'elle est toujours venu en appui de ceux qui, « aux affaires »,
s'appliquent au succès des armes de la France? Ce serait dommage.
Il serait temps que s'organise
l'indispensable synergie entre l'Active et les Anciens, pour le plus
grand profit de ceux qui, au loin comme chez nous, nous défendent contre
les périls de notre destinée. Tout le monde doit y être associé, sans
exclusive. C'est sur cette unité de fond que repose la confiance de la
nation dans ses armées.
Colonel (ER) Jean-Jacques NOIROT
Source de rediffusion : www.asafrance.fr
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