mercredi 6 septembre 2017

Saintes : Les recherches sur l’église Saint-Eutrope permettront-elles de percer le mystère ?

Christian Gensbeitel, maître de conférence en histoire de l’art médiévale (et ancien directeur de l’Atelier du Patrimoine) était l’invité de l’Université d’Eté de Jonzac jeudi dernier. Sujet de la conférence, l’église Saint-Eutrope de Saintes, « nouvelles recherches sur un chef d’œuvre de l’art roman ». Sa fameuse crypte constitue l’un des lieux à découvrir en Saintonge. 

Crypte de Saint-Eutrope (© Nicole Bertin)
Christian Gensbeitel porte une affection particulière à Saint-Eutrope, église qui conserve des secrets. Au fil du temps et des événements, l’édifice, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco (étape sur les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle) a subi des modifications, voire des amputations. Toutefois, il a gardé, en partie intacte, sa crypte qui renferme le cénotaphe de Saint-Eutrope, personnage suffisamment éminent de la chrétienté pour susciter la ferveur des croyants. Le culte de ce martyr, qui fut évêque et évangélisateur de la région, est attesté depuis le VIe siècle (sous les Mérovingiens convertis au christianisme) par Grégoire de Tours et Venance Fortunat.
Au Moyen-Age, chaque centre religieux essayait de rivaliser en notoriété pour attirer les fidèles : le chemin qui conduisait à la vénération des reliques constituait alors la voie "expiatoire" du pèlerin qui venait demander le pardon de ses fautes ou une guérison selon les vertus du saint ou la sainte honoré(e).  En France, les lieux de culte sont nombreux (avec une renommée plus ou moins grande selon les miracles respectifs).

Sur ce tableau du XVIIIe siècle exposé au musée Dupuy Mestreau, on aperçoit 
la nef de l'église aujourd'hui disparue
Eutrope, un prieuré clunisien

Une campagne de travaux pourrait s’ouvrir dans les années à venir à Saint-Eutrope en partenariat avec le Ministère de la Culture et la ville de Saintes, maître d’ouvrage. Des études préalables ont été confiées à Christophe Amiot, architecte des Monuments Historiques et Elsa Ricaud, architecte du patrimoine, chargés de réaliser l’état des lieux dans l’objectif de restaurer ce patrimoine précieux de la ville qui s’inscrit dans la valorisation du vallon des Arènes.
« Nous sommes à l’un des moments fondamentaux pour comprendre l’architecture romane dans la région Aquitaine et le diocèse de Saintes » souligne Christian Gensbeitel. La région possède moult témoignages romans, l’Abbaye aux Dames de Saintes, l’église d’Aulnay ou bien l’hôpital des Pèlerins à Pons. Saint-Eutrope, quant à elle, a été mutilée au cours des siècles. Aujourd’hui, dans la partie haute, le visiteur a face à lui un monument gothique, mais initialement, le site comprenait un vaste prieuré qui abritait les fameuses reliques de Saint-Eutrope.
C’est en 1081 que Guillaume VIII, duc d’Aquitaine, demande à l’Abbaye de Cluny d’entreprendre sa construction. Le chantier commence par une église basse située sous le chœur de l'église haute, celui-ci se prolongeant à l'ouest par une nef de même longueur. En 1096, à l’occasion de son voyage en France, le pape Urbain II, qui prêcha la première croisade, vient en personne consacrer l’édifice aux côtés de l'évêque Ramnulphe.

Christian Gensbeitel aux côtés de Marc Seguin, président des Archives Historiques 
de l'Aunis et de la Saintonge
Le temps passe avec ses turbulences. Au XVe siècle, l’édifice s'embellit avec la construction de la partie gothique. Louis XI finance l'édification du fameux clocher. Commencé en 1478, il est achevé en 1496. Quand vous regarderez cette construction, ayez donc une pensée pour le fils de Charles VII qui s'illustra dans l'histoire de France par sa fine stratégie et des méthodes pas toujours catholiques ! Pas étonnant que François Villon, à la plume turbulente, l'ait égratigné. D’ailleurs, nul ne sait ce qu'il advint du poète maudit : si par le plus pur hasard il est passé par Saintes, peut-être a-t-il vu tomber les neiges d'antan sur Saint-Eutrope ?...

L'église haute de Saint Eutrope
Le clocher illuminé
Eutrope est l'un des monuments emblématiques de Saintes (© Nicole Bertin)
Au XVIe siècle, la crypte est comblée partiellement. Par la suite, la Révolution chamboule le clergé, les Clunisiens quittent les lieux et l’ensemble est vendu comme bien national. C’est au XIXe siècle que les érudits réagissent avec le déblaiement de la crypte et le classement de l'ensemble aux Monuments Historiques. Nouveau miracle pour Saint-Eutrope, son tombeau réapparaît et l’Eglise en profite pour donner un nouveau souffle à son culte.
Malheureusement, les pierres de l'église ont souffert et le nef (qui se trouvait sur le parvis actuel où sont stationnés les véhicules) s’affaisse. En 1803, l’Etat décide de raser cette partie pour des raisons de sécurité. Les paroissiens craignent de la voir s'écrouler. Les Dieux peuvent parfois tomber sur la tête ! Personne ne voulant débourser les 1500 francs nécessaires aux travaux de restauration, le préfet Guillemard ordonne l'amputation du membre malade, purement et simplement. Cette démolition fait le bonheur de certains habitants qui récupèrent des matériaux et le désespoir des protecteurs du patrimoine. Un nouveau portail est dessiné par un architecte, mais il faut bien avouer que Saint-Eutrope est à jamais estropiée. Mutilée, elle reflète les contradictions des hommes, oscillant entre création et destruction…

Le clocher de Saint-Eutrope, les arènes : Saintes possède un patrimoine exceptionnel  
que mettent en valeur des manifestations
Malgré de nouveaux aléas au XXe siècle (incendie, décapage des murs), l’édifice est entretenu et la crypte, valorisée, est l’objet de toutes les attentions. Avec ses énormes piliers ornés de chapiteaux (aucun motif n’est identique), ses voûtements novateurs, son architecture particulière pleine de mystère et surtout la sépulture du célèbre Eutropius, cet endroit est à découvrir ! Détail qui a son importance, l’intérieur n’a jamais subi de grandes transformations depuis ses origines (à part l’entrée, les accès intérieurs et autres détails que révèlent les historiens).

L'accès initial qui menait à l'église basse (crypte) est à retrouver...
Tout l’enjeu des recherches serait de retrouver ce que fut l’édifice roman

Que sait-on aujourd’hui de cette face cachée ? « L’ancienne nef, qui occupait la place du parking actuel devant la façade, avait un sol plus bas que le niveau actuel. Les sources qui sont restées décrivent un intérieur fort peu banal. Une fois entré dans l'édifice, on descendait par un escalier à cinq marches pour accéder au premier niveau de la nef. De là, de nouvelles marches permettaient de rejoindre une sorte de palier, en fait le centre de la nef elle-même. Ce palier était entouré de marches (qui remontaient vers le niveau supérieur) et de colonnes. À partir de ce palier, de nouvelles marches descendaient à la crypte, elle-même située sous la nef actuelle. De la nef, d'autres marches remontaient vers le chœur. On peut ainsi imaginer que, depuis l'entrée de la nef, on pouvait apercevoir en même temps deux officiants : celui de la crypte et celui du chœur dans l'église haute. L'administration du Premier Empire, en décidant la destruction de la nef pour des raisons de sécurité, a privé les nouvelles générations d'une réelle splendeur en même temps que d'un édifice à caractère unique et sûrement très pittoresque » expliquent les spécialistes.
« Par le diagnostic des chercheurs, sera établi le fonctionnement de l’église romane. Comment se répartissait l’espace entre les pèlerins et les Bénédictins ? Comment les moines géraient-ils leur établissement ? Qu’y-a-t-il sous le parking ? » s’interroge Christian Gensteibel.


Plan de masse de Saint-Eutrope (plan Archéotransfert et Patrimoine in Seguito Montpellier).

Les deux églises, basse et haute ((plan Archéotransfert et Patrimoine in Seguito Montpellier)

L’église Saint-Europe avait deux niveaux : une église basse pour les pèlerins, une église haute pour les moines, les deux prolongées vers l'Ouest par une seule et vaste nef aujourd’hui disparue. Sur cette reconstitution en 3D, on aperçoit sous le parvis actuel (parking) un espace qui laisse supposer l’ancienne entrée à la crypte (plan Archéotransfert et Patrimoine in Seguito Montpellier).
Dénichés dans les archives, de nouveaux documents apportent de l’eau au moulin. Grâce aux reconstitutions en 3D, on peut se faire une idée. « Il s’agissait d’un projet monumental, d’une ambition  considérable pour l’époque » estime le conférencier. Notons au passage, prouesse des bâtisseurs, que toute la partie haute repose sur la crypte, autrement dit sur l’église basse !

Il faudra donc attendre pour en savoir plus, mais il n’est pas interdit de rêver : imaginez l’escalier primitif menant à la crypte mis au jour et retrouvant ses fonctions d’antan. A suivre… avec impatience !

Crypte Saint Eutrope (© Nicole Bertin)
• Au temps de sa splendeur romane, le prieuré Saint-Eutrope accueillait un vingtaine de moines. Il s‘agissait de l’un des plus importants prieurés de l’Abbaye de Cluny.


• Pour atteindre le sommet du clocher de Saint-Eutrope, 250 marches sont à gravir pour apprécier la vue, avec une pensée émue pour Louis XI qui contribua à sa construction. Le premier élément qui retient l'attention est la flèche qui culmine à belle hauteur. Avec ses crochets typiques du gothique flamboyant, elle dresse sa solennité quand d'autres clochers sont seulement "calottés" (cathédrale Saint-Pierre). Les lieux sont gardés par d'étonnantes sculptures. Certaines ressemblent à des chiens, comme si leur auteur avait abandonné les monstres et autres gargouilles pour rendre hommage à des animaux familiers.


• À la fin du XIe siècle, le Pape Urbain II vint en personne consacrer le prieuré Saint-Eutrope. Au XVe siècle, Louis XI  finança l'édification du nouveau clocher. Commencé en 1478, il fut achevé en 1496.


• Tracé du voyage d'Urbain II en France (1095-1096) et son importance du point de vue archéologique par René Crozet (Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale 1937)


Saint-Eutrope : Tué à coups de hache…

Né en Perse (il serait le fils de l'émir de Babylone, nommé Xersès, et de la reine Guiva), il est devenu chrétien et apôtre des Santons. Maltraité dans la région de Saintes, il se serait enfui à Rome. Le pape Clément (90-100 après JC) ne l’entend pas de cette oreille : il le sacre évêque et le renvoie en Saintonge où il œuvre « avec vertu et charité ». Séduite et convertie, Estelle, la fille du Gouverneur de la ville, demande alors le baptême. Son père, furieux, ordonne la mort d’Eutrope qui est tué à coups de hache. Estelle fait inhumer son corps et l’homme devient martyr aux yeux de la population. Ainsi commence l’histoire…

Cette année, une cérémonie en l'honneur de Saint-Eutrope a été organisée en présence de l'Evêque, Mgr Colomb
Grégoire de Tours au sujet de de Saint-Eutrope 

« 
Eutrope, martyr de la ville de Saintes, fut envoyé, rapporte-t-on, en Gaule par le bienheureux évêque Clément, qui le consacra par la grâce de l’ordination pontificale. Après avoir rempli sa mission [d’évêque] et prêché aux incroyants, il vit s’élever contre lui les païens, à qui l’auteur de la chute ne voulut pas permettre de croire ; il fut frappé à la tête et repose dans la victoire. Mais, en raison de la persécution qui régnait, il ne fut pas enseveli dignement, et les chrétiens ne purent pas lui rendre les honneurs qui con-venaient. On oublia alors complètement qu’il avait été martyrisé. Voici comment cela fut révélé. Bien longtemps après, une basilique fut construite en son honneur, et dès qu’elle fut achevée, Palladius, qui était l’ordinaire du lieu, convoqua les abbés et fit transporter les cendres dans le lieu qui leur avait été préparé. Quand cela fut fait, deux des abbés ayant soulevé le couvercle, examinèrent le corps saint et découvrirent une cicatrice à la tête, à l’endroit où le tranchant de la hache avait frappé. Mais pour que ceci n’eût pas été vu en vain, il s’y joignit bientôt un enseignement céleste : la nuit suivante, alors que les membres du clergé dormaient tranquillement, il [Eutrope] apparut à deux d’entre eux et leur dit : c’est par la cicatrice que vous avez vue sur ma tête qu’a été consommé mon martyr. Ainsi, les peuples reconnurent par là qu’il était martyr ; car on ne possédait pas l’histoire de sa passion ».

• À son heure de gloire (premiers siècles de notre ère), la ville gallo-romaine de Mediolanum Santonum, riche en monuments, était dotée d'un aqueduc de savante conception. Avec les thermes, l'amphithéâtre occupait un rôle important dans la vie de la cité. Les habitants y assistaient à des distractions diverses et variées, tels les combats de gladiateurs et autres confrontations sortant du quotidien. Au milieu du IIe siècle après J.C, la cité comptait entre 10.000 et 20.000 habitants et s'étendait sur une superficie de cent hectares.
Malheureusement, conséquence des invasions, cette prospérité s'arrêta. Les siècles suivants virent l'arrivée du christianisme sous l'impulsion du martyr Eutrope qui fut, dit-on, le premier évêque de la région.

L'amphithéâtre de Saintes
A noter sur vos tablettes

• Du 7 au 11 juin 2018, se déroulera en Charente-Maritime le Congrès annuel de la Société Française d'Archéologie qui sera suivi d’une publication. Ce congrès, dont la coordination scientifique sera assurée par Christian Gensbeitel, sera consacré à l'étude des monastères médiévaux en Saintonge (notamment à Saintes l’Abbaye aux Dames et Saint-Eutrope, Saint-Jean-d'Angély, Sainte-Gemme, Trizay, Fontdouce, l'Hôpital-Neuf de Pons, etc). Des spécialistes présenteront les monuments in situ au cours de sorties et des conférences seront organisées à Saintes et Saint-Jean-d'Angély. Le programme sera disponible d'ici quelques semaines sur le site de la Société Française d'Archéologie et ce congrès sera ouvert à tous sur inscription (payante), y compris aux non-adhérents de la SFA.
En avril ou mai 2018, une quatrième journée de Rencontres Médiévales à Trizay sera probablement consacrée aux sépultures dans les monastères.

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