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Les premières scènes de cette histoire rappellent étrangement Jurassic Park où un savant reconstitue la chaîne ADN de dinosaures disparus depuis des millions d’années. Dans de l’ambre opaque ramassé dans une carrière de Charente-Maritime par Didier Néraudeau, professeur à l’Université de Rennes, est apparue une matière inhabituelle faisant penser à du duvet. Voilà qui tranchait des insectes, feuilles, bois et pollens que contient généralement la résine fossilisée ! Suivirent des examens approfondis en laboratoire qui aboutirent à une conclusion fort intéressante : il s’agissait de plumes. En conséquence, les grands reptiliens d’antan ont un rapport direct avec les oiseaux. Didier Néraudeau raconte cette formidable aventure...
Depuis que Steven Spielberg a mis en scène l’époque jurassique et ses dinosaures, ces périodes reculées passionnent le public.Didier Néraudeau, vous êtes chercheur à l’Université de Rennes et avez fait une étrange découverte dans une carrière de Charente-Maritime. De quoi s’agit-il ?
En 1999, j’ai découvert en Charente-Maritime un gisement d’ambre - résine d’arbre fossilisée - datant du milieu du Crétacé, c’est-à-dire d’environ 100 millions d’années. J’ai étudié cet ambre en collaboration avec mon collègue rennais, Vincent Perrichot. Depuis près de dix ans, nous y avons trouvé plusieurs centaines d’arthropodes (plus de 900), à savoir essentiellement des insectes, mais aussi des araignées et des scorpions, des acariens et des crustacés. Et puis, ponctuellement, nous avons mis à jour dans cet ambre des inclusions fossiles extraordinaires tant par leur rareté que par leur exceptionnelle qualité de préservation. Dans un premier temps, nous avons trouvé un morceau de peau de reptile, couvert d’écailles ; probablement un lambeau de mue. Et puis nous avons décelé, dans un morceau d’ambre très riche, contenant à lui seul une centaine d’insectes, des inclusions filamenteuses, duveteuses, de très petite taille (quelques millièmes de millimètres). Un premier examen approfondi nous a appris qu’il s’agissait de plumes primitives.
Quand vous avez appris que les morceaux d’ambre contenaient des plumes totalement inconnues, comment avez-vous réagi ? Seraient-elles le fameux maillon manquant entre le duvet et les vraies plumes?
Comme seul un ornithologue pouvait nous aider à replacer ces petites plumes dans l’anatomie et l’évolution des oiseaux, nous avons alors contacté notre collègue Loïc Marion, comme nous enseignant chercheur à l’Université de Rennes I. Il a rapidement conclu que ce type de plume était jusqu’alors inconnu et comblait une lacune majeure dans notre connaissance de l’évolution des plumes reptiliennes vers les plumes modernes. En bref, on connaissait du duvet, sans nervure médiane, petit et filamenteux ou de vraies grandes plumes avec nervure médiane, plates et rigides chez les dinosaures et les oiseaux, mais on ne savait pas comment, dans l’évolution, on était passé de l’un à l’autre. Ce que nous avons trouvé, c’est un duvet “évolué“ qui présente un début de nervure médiane, avec des filaments répartis latéralement de manière symétrique dans un plan, mais qui n’est pas encore rigide et ne peut donc encore servir à voler.
En fait, au début de leur histoire, les plumes primitives ont joué le même rôle chez les dinosaures que les poils chez les mammifères : il s’agissait d’un isolant thermique permettant à l’animal de ne pas être trop sensible au froid.
Aujourd’hui, on peut donc supposer que les oiseaux sont les descendants des dinosaures. Les dinosaures à plumes ont-ils existé ?
En fait, les oiseaux sont des dinosaures au même titre que les hommes sont des mammifères. Ce sont simplement des dinosaures particuliers, sachant voler et munis de plumes, tout comme les humains sont des mammifères particuliers, sa-chant marcher sur deux pattes et quasi dépourvus de poils.
Il n’est pas tout à fait correct de dire qu’ils en sont les descendants. Ils en sont plutôt les seuls survivants dans la nature actuelle. Comme les oiseaux sont des dinosaures, les dinosaures à plumes ont donc forcément existé par le passé et existent encore de nos jours !!!
Dans le détail, les choses sont plus complexes, car il a existé différentes lignées de dinosaures ressemblant plus ou moins à ce que l’on appelle aujourd’hui des oiseaux.
Certains dinosaures carnivores étaient couverts de duvet ou de petites plumes, mais n’avaient pas d’ailes. Il s’agissait plutôt de prédateurs très rapides, comme le Velociraptor du Jurassic Park de Spielberg. D’autres dinosaures possédaient de grandes plumes sur la queue et les bras, mais ne volaient pas non plus car leur plumage était trop rudimentaire. Il existait même des dinosaures avec quatre ailes, les pattes postérieures étant, elles aussi, couvertes de grandes plumes.
Comment la communauté scientifique internationale a-t-elle réagi à ces nouvelles informations ?
Bien mieux qu’on ne l’avait espéré ! Toutefois, il nous a fallu nous y reprendre quatre fois pour que notre article soit accepté pour publication.
Cela ne fut possible que lorsque notre collègue Paul Tafforeau, du Synchrotron de Grenoble, a réalisé des images en 3 dimensions de nos plumes, via un système de scanner. Nos images antérieures, toutes en deux dimensions, n’étaient pas assez explicites pour les éditeurs scientifiques. Il faut dire que la plus longue de ces plumes (sept ont été trouvées) ne mesure qu’environ un millimètre. Les filaments qui lui donnent sa structure particulière ne dépassent donc guère le millième ou le centième de millimètre.
Actuellement, quel est l’oiseau qui se rapproche le plus de ses lointains ancêtres ?
L’un des oiseaux actuels les plus primitifs est l’hoazin que l’on trouve, je crois, en Amérique du Sud. Les bébés présentent la particularité de posséder des vestiges de griffes ou de dents qui tombent pendant la croissance.
Dans l’imaginaire Inca, on parle du serpent à plumes. Y aurait-il dans cette légende un lien avec une réalité ancienne ?
Ce fameux «serpent à plumes» des Incas, le Quetzalcoatl, a inspiré quelques collègues paléontologues qui ont baptisé Quetzalcoatlus un reptile volant trouvé dans des roches du Crétacé, un animal de plus de 12 mètres d’envergure. La seule possibilité qu’un dinosaure à plumes ait pu inspirer le mythe de Quetzalcoatl serait que des Incas aient découvert de tels fossiles. Mais il n’en reste aucune trace. Alors ...
Merci, Thierry Néraudeau pour ces informations : la recherche n’en finit pas de nous étonner...
Photo 1 : Illustration représentant un stégosaure.
Photo 2 : Natif de Rochefort, Didier Néraudeau est professeur de paléontologie à l’Université de Rennes I. Il travaille essentiellement sur la reconstitution des écosystèmes et des environnements des Charentes - dont les îles Madame, d’Aix, d’Oléron, presqu’île de Fouras, falaises de Talmont, Meschers, Saint-Palais - au Crétacé (-150 à - 65 millions d’années) et sur l’évolution de quelques groupes d’animaux particuliers (oursins, huîtres, insectes, plantes). En octobre prochain, ce chercheur passionnant et passionné sera reçu par l’Académie de Saintonge.
Photo 3 : L’ambre opaque (photo ci-dessus) intriguait Didier Néraudeau : Que pouvait-il contenir ? Le chercheur a eu l’idée de recourir au Synchroton de Grenoble pour l’examen des échantillons aux rayons X. L’ambre, qui a environ 100 millions d’années, abritait des plumes intermédiaires entre le duvet et les vraies plumes. Ces fragments d’une toison primitive pourraient appartenir à un petit dinosaure bipède qui aurait approché, d’un peu trop près, la résine collante d’un conifère.
Photo 4 : L’Hoazin : le poussin possède des griffes sur chaque aile. Un bien curieux oiseau…
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