samedi 31 mai 2008

L’estuaire se conjugue au féminin

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En Charente-Maritime, il est un îlot qui rappelle la Méditerranée. Les grottes y ont pour nom Matata et Régulus. Aloès et plantes grasses habillent les “parois“ de cet endroit privilégié, niché au cœur de la falaise crayeuse. Des maisons troglodytiques ont pris place dans les cavités que l’eau a creusées en des époques reculées. La plus célèbre habitante, baptisée la mère Guichard, y a vécu jusqu’en 1920. Elle trône en photo avec un regard volontaire qui en dit long sur le confort rustique des lieux.
Dans le calcaire blanc, apparaissent des créatures marines d’antan, témoins figés d’ères géologiques si lointaines qu’il faut les compter en millions d’années. Parmi ces fossiles, coquillages et oursins, signes d’une lente évolution...
Ici, le temps n’a pas d’importance. Immuable, l’estuaire de la Gironde charrie ses eaux douces vers la mer. Des eaux au caractère changeant, semblable à celui d’une femme dont l’humeur varie.
Au printemps, elles jouent la verdeur et s’amusent avec les oiseaux. À l’automne, elles jaunissent avant que l’hiver ne les réveille froidement, un glaçon sur l’échine. C’est en été qu’elles sont les plus joyeuses : chaque soir, elles se parent de bleu pour rejoindre le ciel, à peine séparées des étoiles par le fil ténu de l’horizon. De l’autre côté de la rive, les lumières de la nuit leur donnent un charme particulier. Par ses éclats intermittents, le phare semble dire aux navigateurs « attention, cette terre va toucher l’infini » !
Quand arrive l’orage, la végétation qui fleurit les rocailles s’anime tout à coup. Sentinelle solitaire, le palmier prend des airs effrayés et s’agite. Des vagues se forment et provoquent les remparts de pierre. Les éclairs fendent l’estuaire et le tonnerre gronde, furieux d’avoir ainsi creusé une faille dans l’écorce liquide. Les eaux deviennent menaçantes et cherchent à conquérir les territoires qu’elles recouvraient jadis. Le spectacle est grandiose et le regard se sent impuissant face à cette masse qui lui rappelle combien il est hardi de se promener sur la “peau du diable“ ! Le calme revenu, la surface s’apaise et seuls quelques sillons évoquent la présence des courants.
Le matin, il n’est pas rare qu’un halo de brume fasse son apparition. L’estuaire prend alors des airs de théâtre. Au premier plan, les carrelets bravent cette offensive qui s’effiloche au fil des heures. Ces curieuses constructions font le bonheur des pêcheurs, heureux de remonter poissons et crevettes.
Quand le soleil darde ses rayons, l’estuaire scintille de mille feux. Sur ce miroir sans tain, on voudrait poser le pied, comme pour se persuader de sa réalité. Nenni ! Il faut l’aimer pour en pénétrer les secrets. Il offre ses beautés à qui le regarde avec simplicité. Les mouettes le savent bien ! Elles le survolent, le touchent ou s’en écartent, en poussant de petits cris stridents.
Bientôt, les bateaux se mettent en scène. Les uns partent à la pêche, les autres transportent des touristes. On entend la voix forte des guides contant le destin tragique du Régulus, un navire de guerre bloqué par les Anglais en 1814. Le Capitaine de vaisseau Regnauld le livra aux flammes « conformément aux ordres reçus ». Les jets ski, qui sillonnent cet espace de liberté, n’ont que faire de ce fantôme qui pourrait bien leur chatouilleur les orteils !
Au loin, Cordouan monte la garde. Adossé à un banc de sable “haricot“, il est le plus beau phare de France, le “Versailles de la mer“. Chaque jour, la marée le célèbre avec la même ardeur.
Oui, l’estuaire se conjugue au féminin. C’est une femme, à la fois douce et mélancolique, tumultueuse et rebelle. On prétend que Mélusine y a élu domicile...


Photo 1 : Le phare de Cordouan et son fameux banc de sable.

Photo 2 : Carrelet à Vitrezay.

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