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Tous les ans, en mai, les fameux événements de 1968 agitent les mémoires. On cherche une occasion, un prétexte pour retourner dans la rue et ma foi, les sujets d’insatisfaction ne manquent pas.
À l’Éducation Nationale, il n’est pas rare que des mouvements de grève aient lieu à cette période et les salariés du privé en feraient bien autant s’ils pouvaient prendre la liberté de blâmer sans avoir à craindre les lendemains. En 2008, aubaine, voici quarante ans que des pavés tombaient dans la capitale. L’anniversaire du demi-siècle se profile déjà à l’horizon. Peace and love : faites l’amour, pas la guerre !
En fait, toutes les générations rêvent d’avoir "leur mai 68" qui changerait les mentalités et construirait un monde meilleur. Malheureusement, le contexte n’est plus le même. On peut même dire qu’il nous échappe face à la mondialisation !
"Comment avez-vous vécu mai 1968 et quels souvenirs en gardez-vous ?" est la question que nous avons posée "à ceux qui y étaient". Les réponses varient et certaines sont originales.
Elisabeth, secrétaire :
"À Montendre, je me souviens de l’interruption du ramassage scolaire qui conduisait au collège. Je me revois encore “bader” sur le bord de la route cherchant du regard ce bus qui n’arrivait pas ! À la campagne, il n’y avait pas grand agitation, mais les étudiants qui fréquentaient Bordeaux apportaient des nouvelles. Eux-mêmes allaient changer d’apparence avec les cheveux longs, des idées pas trop courtes et les premières pat’ déf ! Une page se tournait, les lycées allaient devenir mixtes et les filles porteraient des pantalons (et bientôt la culotte !). Ceci dit, nous étions encore loin du jeans taille basse et du nombril découvert avec piercing assorti !"
• Jacques Dassié, ingénieur passionné d’aviation :
" Mai 1968... J’avais quarante ans..."
"Et le souvenir d’une grande confusion, d’une incompréhension, d’une révolte plutôt générationnelle, bientôt suivie par tous les preneurs de trains en marche - syndicats en particulier -.
À souligner la grande dualité, grandes métropoles et campagne, où l’impact de ces événements fut ressenti de façon fort différente. À Paris, les images-choc de la télévision, où l’on voyait voler les pavés et leurs corollaires, les grenades lacrymogènes, nous touchaient directement au cœur. Elles se déroulaient en effet dans nos lieux familiers, côtoyés journellement.
Les échos que nous avions de notre famille saintongeaise faisaient état de difficultés mineures. On avait dit qu’à La Rochelle... Mais la vie de tous les jours ne semblait pas perturbée.
Pour nous, Versaillais à l’époque, c’était une toute autre affaire... Le premier problème consistait à se rendre journellement sur son lieu de travail. 20 kilomètres de banlieue, ce n’était pas rien ! Et tout cela pour se retrouver au milieu d’une foule de collègues (nous étions 4000) bloqués devant des grilles fermées, avec quelques délégués syndicaux et une centaine d’ouvriers, narquois, derrière lesdites grilles...
Une anecdote : l’émergence, on peut dire la révélation, de certaines personnalités. Je me souviens d’un délégué syndical de gauche, effacé et pas très malin, invisible en un mot ! Eh bien, je l’ai retrouvé un matin, debout au sommet de l’un des poteaux de la grille principale, haranguant plusieurs centaines d’employés, les magnétisant, les tenant à bout de bras, leur faisant hurler à volonté quelques slogans : il était devenu un véritable tribun politique.
Il n’en demeure pas moins que l’impact financier fut gravissime. Un mois de salaire en moins, c’est dur à absorber, surtout avec quelques crédits en cours...
La libération sexuelle... Bof, elle ne nous préoccupait pas du tout. Marié, heureux et père comblé, avec des filles encore très jeunes, notre cocon familial n’a rien connu de cette “liberté“. Les drames déclenchés touchaient plutôt des jeunes filles devenues femmes et mères trop tôt, parfois rejetées et abandonnées à seize ans, études non terminées et sans emploi. Un bien mauvais départ dans la vie...
Dans les “acquis” que nous considérons comme les plus néfastes, figure l’autodiscipline dans les lycées (heureusement abandonnée depuis). Elle fut responsable d’un énorme gâchis dans les études de mon fils, passé d’une seconde C, avec un an d’avance, au lycée Hoche de Versailles à un bac B, à Marie Curie, avec un an de retard...
Le “tout, tout de suite“ a été responsable d’un nombre élevé de bêtises en tous genres. La connotation du qualificatif “soixante-huitard” est maintenant plutôt péjorative... surtout si on la complète par “attardé” !
Nous n’étions pas politisés, mais fidèles et admiratifs du Général de Gaulle. Nous l’avons toujours soutenu et avons profondément regretté de ne pas être au milieu des Parisiens lors du grand rassemblement sur les Champs Élysées.
Dernière anecdote : je faisais de l’aviation et sur nos terrains, des CRS ont débarqué, installant des centaines de fûts métalliques pour barrer les pistes... Nous étions vraiment des gens dangereux !"
• Jean-Marie Pontaut, rédacteur en chef du service investigation au journal l’Express : "Nous avons sûrement changé la société"
"En Mai 1968, j’étais à Bordeaux en première année de fac de lettres. Notre monde paisible et ordonné a soudain explosé, mais dans une révolution sans risque, extrêmement heureuse et enrichissante.
Quelques scènes me reviennent en vrac. Les gens de tous les milieux, surtout des parents, qui venaient à la faculté pour nous parler, pour comprendre nos motivations, ce que nous voulions. Des échanges très intéressants et parfois émouvants. Parmi les étudiants eux-mêmes, un immense vent de liberté. Les cours magistraux ont été supprimés, les “vieux“ profs interpellés. Les jeunes assistants donnaient des cours de guérilla urbaine - très théoriques - et draguaient les jeunes étudiantes. L’un de mes camarades, jeune séminariste, a changé de cap avec une jolie rousse et, sans doute, de vie ! Nous gardions, la nuit, le campus de Talence pour contrer les attaques imaginaires des “fafa”, les fascistes de la fac de droit... On jouait à la Révolution, mais surtout, on se parlait, tout le temps, le jour, la nuit.
On échangeait des idées. On allait rencontrer les prêtres ouvriers de Bassens pour parler du peuple... Je me souviens d’un sitting, place des Victoires noire de monde et d’une charge des CRS. Ils chargeaient mollement car, après tout, nous étions pour la plupart des fils de famille qui ne mettaient pas la société en danger. Mais nous l’avons sûrement changée profondément..."
• Xavier de Roux, avocat, maire de Chaniers :
« Ne touchez pas au camarade soviétique ! »
En mai 1968, j’avais 28 ans et je regardais les événements à Paris avec une certaine curiosité. J’étais alors jeune avocat et l’un de mes frères, Hervé, occupait le Théâtre de l’Odéon déguisé en clown. Il fallait que je le surveille car il donnait un peu de fil à retordre à la police. On l’avait surnommé « Hervé je me marre » ! Ma famille a fini par l’envoyer à Chaniers où la situation était plus calme !
Ensuite, deux souvenirs m’ont particulièrement frappé. Un ami, journaliste soviétique qui travaillait à la Gazette littéraire de Moscou , m’appelle un beau matin pour m’annoncer son arrivée. Je réponds : « Que viens-tu faire ici, au milieu de toute cette agitation ? ». « Je ne sais pas, je viens voir » explique-t-il. Il débarque et me demande si je peux le conduire à la Sorbonne, alors occupée. Nous voilà partis dans ce lieu mythique. Or, au beau milieu de la cour, trônait un énorme temple maoïste que tenaient d’ailleurs les mêmes personnes qui, aujourd’hui, protestent contre la Chine et les violations des droits de l’homme. À l’époque, elles avaient toutes le poing levé vers le ciel pour le dieu Mao !
Devant ce stand, Arkady Vaksderg s’offusque : « un stand fasciste en plein Paris, c’est scandaleux » dit-il. À ce moment-là, en effet, une grande brouille opposait l’URSS et la Chine. J’ai cru que l’affaire allait tourner à l’émeute et que mon visiteur allait se faire massacrer. Je me suis interposé en expliquant que c’était un camarade soviétique. Qu’il soit au cœur de la révolution parisienne a calmé les esprits ! Suivit un échange de paroles assez fortes sur les mérites comparés des régimes soviétique et maoïste.
Mon deuxième souvenir se situe vers la fin des événements. Avec un associé, je revenais de Bruxelles avec une voiture bourrée de jerricanes d’essence, carburant devenu rare en France, quand le Général de Gaulle a parlé. Il faut se souvenir qu’il n’a pas utilisé la télévision, mais la radio, comme en juin 40 ! Il a fait un discours de guerre civile, d’une brutalité terrible en disant de se regrouper en comités dans tous les chefs-lieux de canton, de se mobiliser. Il arrivait de Baden-Baden où il avait rencontré Massu et les généraux français. Nous rentrions donc par l’autoroute du Nord et en arrivant près de Paris, nous avons commencé à doubler des colonnes de chars. Nous étions inquiets car nous pensions que les choses allaient dégénérer dans la capitale. En arrivant aux Champs Élysées, ce n’était pas la guerre civile, mais une forêt de drapeaux tricolores. Il y avait une foule immense dans la rue qui voulait marcher sur la Sorbonne. C’était le retournement de situation, la magie du gaullisme qui, après avoir un peu pataugé, était en train de réussir. Ce fut la fin de mai 1968 avec Debré et Malraux en tête de cortège.
En 1968, nous étions encore en pleine croyance idéologique et les gens pensaient qu’ils pouvaient changer le monde. Ce printemps n’a pas été uniquement parisien, ce fut aussi celui des Pays de l’Est pour des raisons différentes. Un vent de liberté a soufflé.
Photo 1 : Foule de jeunes manifestants.
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