« La crise qui s’abat sur nous est à mon avis d’abord celle d’une confusion. Quand on fait société, on définit l’ordre que l’on veut instaurer autour de repères de nature disons philosophiques, pour tout embrasser. De ces repères, on déduit une organisation du monde et un fonctionnement des échanges. Le néo-libéralisme a commis une erreur conceptuelle, qui consiste à inverser la fin et les moyens : il a pour objectif d’échanger tout et n’importe quoi et il en attend la mise en place d’un ordre. Il ne pouvait récolter que le dérèglement et la pagaille. Ce qui est.
Donc à mon avis, la première leçon à en tirer sera de redéfinir un cadre aux choses.
Ensuite, il faut repenser la place de l’homme dans ce nouveau cadre. Il ne sert à rien de bêler sur le « nouveau monde », si l’on ne comprend pas que tous les mondes ont un jour ou l’autre été nouveaux. Donc, il convient de faire preuve d’humilité, de modestie et du sens de l’histoire : on ne peut pas se situer dans un espace-temps, si l’espace n’est qu’un « open-space » où s’engouffrent les courants d’air et si le temps n’est que celui de l’immédiateté et de la course à la « modernité », qui deviendra obsolète dès le lendemain.
Donc la deuxième leçon consiste à se définir autour d’une tradition intelligente.
Enfin, même si le mal est inévitable, la crise montre l’ampleur abyssale des disparités de tous ordres, avec les corollaires qui en découlent, tous fondés sur la domination et l’abus. On n’a jamais connu l’âge d’or de l’harmonie et on ne le connaîtra jamais. Mais on a le choix entre deux voies : soit on aiguillonne les plus intrépides en leur disant que comme ils sont les premiers de cordée, ils ont droit à tout, et que les autres ne sont rien, soit on place en premier lieu le fait tout simple que les vivants sont là et qu’il est bien difficile de ne pas considérer qu’ils sont tous égaux. Absolument égaux.
On savait - confusément - qu’ils l’étaient devant la mort. On sait aujourd’hui qu’ils le sont devant la pandémie.
Donc la troisième leçon consiste à définir un minimum de vie décente dû à chaque être vivant sur le seul critère qu’il est un bipède pensant, comme tous les autres ».
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