mardi 7 mai 2019

Jonzac/site de chez Pinaud : quand les rennes constituaient le "garde-manger" des Néandertaliens

Le dr William Rendu, chercheur au CNRS (PACEA), ses collègues de l’Académie des Sciences de Russie et des Universités de Bordeaux et Novosibirsk conduisent actuellement un chantier de fouilles sur le site de chez Pinaud situé à la sortie de Jonzac, non loin du centre des congrès. Vendredi 17 mai à 18 h 30 au Temple de Jonzac, ils présenteront l'état des connaissances sur les Néandertaliens, l'apport important du site de Chez Pinaud et le sujet des recherches menées cette année. Thème de la conférence "Les rennes des Néandertaliens de Jonzac". Notons qu'à cette époque reculée, la faune et la flore de la région étaient bien différentes que celles que nous connaissons actuellement... « Le gisement préhistorique de chez Pinaud à Jonzac est internationalement connu pour la grande quantité de rennes abattus et exploités par les Néandertaliens, il y a 70.000 ans. La viande y était préparée chaque hiver durant de très nombreuses années » expliquent les chercheurs...



• Article publié en 2005
Site préhistorique de chez Pinaud : 
Un gisement d'une grande richesse

L'homme de Néandertal taillant un silex (© Wikipedia)
Au site de chez Pinaud, à la sortie de Jonzac, les fouilles se poursuivent activement. Les coupes des paléolithique moyen et supérieur (1) sont l’objet de toutes les attentions. Que de chemin parcouru depuis qu’un ingénieur du BRGM a localisé ce lieu dans les années 80 ! Le chanter est co-dirigé par Jacques Jaubert, professeur à l’Université de Bordeaux et responsable de l’unité de recherches Pasea (qui compte une centaine de personnes et deux laboratoires) et Jean-Jacques Hublin, directeur du département de l’évolution humaine au Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology de Leipzig. Ils sont assistés par Marie Soressi et Shannon Mc. Pherron qui travaillent avec un groupe d’étudiants de différentes nationalités.
Leur intervention dans la région de Jonzac fait suite aux travaux de Jean Airvaux, chercheur à la DRAC qui proposait, l’an passé, une exposition riche et détaillée au Cloître des Carmes. Un ouvrage documenté vient d’être publié aux éditions « Préhistoire du Sud-Ouest », une association de 350 membres, implantée dans le Lot et présidée par Pierre Yves Demars, successeur de Claude Lemaire. « Notre but est de promouvoir la préhistoire en publiant les articles des scientifiques, mais aussi d’amateurs, nombreux à apporter leur pierre à l’édifice » dit-il. Ce livre, qui a nécessité deux ans de travail,  présente les premiers résultats et l’étude de la coupe gauche en particulier. Nous le conseillons à tous les passionnés, ils apprendront beaucoup sur les découvertes faites dans la capitale de la Haute-Saintonge !
« C’est la première fois que je commence un travail en ayant une monographie de l’équipe précédente » remarquait Jacques Jaubert lors de la présentation de ce « document de qualité » dans ˛ le cadre d’une réunion donnée par l’Université d’Eté.

Jonzac référence ?

« Chez Pinaud s’avère être un gisement exceptionnel » souligne Jacques Jaubert dans l’entretien qui suit. « Et dire que ce périmètre a failli accueillir un lotissement » se souvient M. Baratin, responsable de la DRAC de Poitiers. Dans le cas qui nous intéresse, Jean Airvaux a été suffisamment convaincant pour mobiliser le monde scientifique (même si les silex envoyés à l’Université de Poitiers sont restés en cale sèche !). « Il y a les traces d’une gigantesque industrie et des témoignages intéressants sur la faune de l’époque » explique-t-il. Outre cette partie qui abonde en silex et en os (une véritable pépinière), un second site, datant de l’Aurignacien (- 30.000 à - 25.000), situé de l’autre côté de la route, a également été fouillé : « il s’agissait d’une station limitée dans le temps, semble-t-il ». La région plaisait à nos ancêtres, c’est une évidence ! Certains, d’ailleurs, vivaient aux « carrières d’en haut »,  c’est-à-dire à Heurtebise.
La nouvelle équipe poursuit son "enquête" à travers le temps : la qualité de conservation du site laisse à penser que des éléments nouveaux sur l’homme de Néandertal seront apportés. Chez Pinaud pourrait devenir une référence « pour ces périodes-là ». Jacques Jaubert et Jean Jacques Hublin remercient les collectivités qui les aident dans leurs travaux, la ville de Jonzac et les services techniques, Claude Belot, très sensible à ce projet, ainsi que la DRAC et le Ministère de la Culture. En fonction des découvertes qui seront faites à l’avenir, Jonzac risque d’être l’un des sites néandertaliens le plus importants d’Europe, en duo avec Saint-Césaire. En tous cas, il y a des lustres, le silex de Saintonge faisait des envieux puisqu’il fut échangé dans tout le grand Sud-Ouest !

1 - Le paléolithique est divisé en trois sous-périodes : inférieure, moyenne et su périeure. Le paléolithique inférieur se poursuit jusqu’aux environs de - 150.000 ans, le moyen jusqu’à - 40.000, le supérieur jusqu’à - 9000 ans. Le paléolithique supérieur est marqué par l’apparition de l’ancêtre direct de l’homme moderne "l’homo sapiens sapiens".  


• Jacques Jaubert, professeur à l'université de Bordeaux 1 répond à nos questions 

Le silex grain de mil était échangé dans le grand Sud-Ouest dès l'époque de Néandertal

Chez-Pinaud/Jonzac : vue prise vers le nord au début de la campagne de fouille, avant l'installation de la toiture qui désormais couvre l'ensemble du gisement. On devine l'ennoiement de la barre calcaire formant originellement une ligne d'abri-sous-roche, de nos jours presque entièrement enfouie sous les formations de versant (photo S. Läscht)
• En quoi les sites de Jonzac et de Saint-Césaire, près de Saintes, ont-ils des points communs ?  
 
Il y a effectivement de nombreux points communs entre Jonzac et Saint-Césaire. Les deux sites se placent sur la même tranche de temps chronologique. A Jonzac, nous supposons que les périodes représentées se situent entre - 50.000 et - 35.000. Une partie de la séquence est commune et nous allons pouvoir faire des comparaisons entre les deux stratigraphies.

• A Jonzac, aucun ossement néandertalien n’a été retrouvé, par contre...

Pas encore, en effet. Pour les historiens, mettre à jour des restes humains est toujours un plus. Je pense que c’est le fantasme de tout paléoanthropologue ! Mais nous avons aussi nos objectifs et nos problématiques : même sans «Pierrette», Jonzac est un site exceptionnel.

• Qu’est-ce qui en fait un site exceptionnel, précisément ?

 
Parce qu’il s’agit d’une séquence assez rare. Dans le Sud-Ouest de la France, on compte une dizaine de sites à près comparables, mais celui-là possède un plus en matière de conservation. Les niveaux archéologiques, les outillages en silex, les vestiges, les restes de faune sont extrêmement bien conservés. Nous allons donc pouvoir mener des études plus précises.

• En fonction des découvertes qui seront faites, peut-on imaginer une structure ou un musée à Jonzac ?

Une structure, je l’ignore, mais en tout cas, le site, où nous travaillons depuis un mois, est intéressant. La qualité conservatoire du niveau archéologique va nous permettre · de faire des analyses que nous ne pratiquons pas habituellement. Prenons un exemple concret,  les outillages par exemple. Ordinairement, il y a un racloir, une pointe, un couteau. A Jonzac, nous allons regarder au microscope électronique les traces d’utilisation qui ont été laissées par les différents actes domestiques et nous observerons de plus près la manière dont étaient employés certains outils, comment ils étaient emmanchés en particulier. Ces éléments de la vie quotidienne n’ont pas encore été explorés en ce qui concerne Néandertal. Nous sommes bien informés sur l’homme moderne, mais le comportement de l’homme de Néandertal est bien différent. Il a une manière de concevoir et de produire ses outils qui est assez complexe et assez déroutante pour nous ! Ses schémas de pensée sont éloignés des nôtres. Jonzac va nous permettre d’aller plus loin dans la connaissance.
 

• Le silex grain de mil de Saintonge, d’un beau marron glacé, aurait été échangé dans le grand Sud-Ouest dès le Paléolithique moyen. S’agirait-il d’une première forme de commerce ? 
 
Un commerce, peut-être pas, parce que cela supposerait des échanges avec un système monétaire. Toutefois, il est vrai que des silex de la région de Jonzac ont été trouvés dans des sites des Pyrénées centrales, Ariège, Dordogne, basse vallée de l’Aveyron, bref dans une grande partie du Sud-Ouest. Il y a probablement eu, sinon des réseaux d’échanges, en tous cas des mouvements de population qu’on sous-estimait jusqu’à présent. Ce fameux silex dit «grain de mil», qui possède un léger granulé, est d’excellente qualité. Ces outillages, que l’on retrouve à des centaines de kilomètres de leur lieu d’extraction, sont forcément des produits d’exception. Ce sont en général des productions très exigeantes au niveau technique, des lames par exemple, qui ont certainement été échangées.

• Les fouilles du site de Jonzac sont-elles programmées pour plusieurs années ?

 
En effet, nous somme partis pour cinq ou six ans. On ne démarre pas un chantier aussi ambitieux sans se projeter dans l’avenir et sans moyens appropriés. L’opération est conduite par Jean-Jacques Hublin et moi-même. Une équipe d’encadrement a été recrutée pour mener cette opération spécifique. Sur le chantier, les étudiants viennent de nombreux pays, Italie, Portugal, Allemagne, Grèce, Russie, Etats-Unis, etc. Nous travaillons avec les universités qui se posent les mêmes questions que nous. L’objectif est une mise en réseau des laboratoires au niveau européen et des échanges réguliers d’étudiants s’intéressant à cette période donnée. Le centre et le Sud-Ouest sont riches en sites néandertaliens, plus qu’en Italie ou en Allemagne par exemple.
 

• En conclusion ?
 
Je prends le relais de l’équipe dirigée par Jean Airvaux qui a fait un superbe travail, une grosse évaluation du site de chez Pinaud. De manière complémentaire, nous allons explorer d’autres pistes en nous inscrivant par rapport aux bases qu’il a fixées.


• L'énigmatique disparition des Néandertaliens
Le point du vue du professeur Yves Coppens

Yves Coppens en conférence à Saint-Césaire (© Nicole Bertin)
« Les êtres, qui nous sont les plus proches, sont les grands singes d’Afrique. Mon idée est la suivante : Les hommes sont nés il y a trois millions d’années sous les tropiques africains, puis ils se déployés à travers la terre entière. Au fil du temps, en fonction des conditions et des variations climatiques, ils ont agrandi leurs territoires. Ils sont arrivés tôt en Eurasie. Les premiers peuplements en Europe apparaissent dès deux millions d’années. Ils se répartissent de l’extrême Occident jusqu’à l’extrême Orient, de la Chine à la Bretagne !
Ensuite, l’Europe s’est fermée en raison des glaciations. Tous les 100.000 ans, en effet, on observe 70.000 ans de glaciation et 30.000 ans de climat tempéré. Durant les périodes de gel, qui sont les plus importantes, un gros glacier s’installe sur les Alpes et les Pyrénées. Isolée sur ce qui correspond aujourd’hui à la France, la population ne peut plus s’en aller, le froid la retenant prisonnière ! Comme toute population insulaire, elle va alors «dériver» pour une raison simple. Vivant en autarcie, ses alliances sont réduites. Les spéciations se font dans ces circonstances. Apparaissent alors des différences génétiques, morphologiques, physiologiques et ethnologiques entre les populations d’une même espèce qui entraînent leur séparation en branches distinctes.
L’isolement peut être important dans l’histoire évolutive. Cet isolement a fait Néandertal, e n quelque sorte. La population isolée en Europe a fabriqué un néandertalien différent de celui du Proche-Orient, par exemple.
A l’époque, la géographie est à peu près celle-ci : nous avons les continents, l’Asie et l’Afrique, et deux îles glaciaires, l’Europe et Java où vont se développer des formes différentes. Durant un temps, jusqu’à un million d‘années, trois humanités sont en contemporanéité : les pithécanthropes à Java, les Néandertaliens en Europe et l’homme moderne en Asie. Le proto Cro-Magnon, c’est-à-dire le vieux Cro-Magnon, a été découvert en Israël il y a 100.000 ans, alors que celui du Nord de la Vézère, en France, n’a que 35.000 ans.
Il y a 50.000 ans environ, l’homo sapiens a poussé ses frontières. En allant  vers le Nord, il est arrivé en Amérique et a posé le pied en Australie, vraisemblab lement grâce à des radeaux.
Les Néandertaliens ne semblent pas avoir été exterminés car on ne trouve pas la trace de traumatismes particuliers sur leurs ossements. La cohabitation avec les Cro-Magnon a été longue, de l’ordre de dix millénaires. Durant une période aussi conséquente, des événements peuvent survenir ! La situation a été identique à Java, il est curieux de le souligner.
Au terme de ces dix millénaires, les hommes modernes se sont imposés, Cro-Magnon est resté et Néandertal a disparu. Personnellement, cette situati on ne m’étonne pas. Lorsque deux populations habitent la même niche écologique, à terme et malgré des relations passives, l’une finit par «l’emporter» sur l’autre. Entre 25.000 et 30.000 ans, Neandertal a totalement quitté la scène ainsi que son proche parent de Java. Bien qu’éloignés, ils sont partis en même temps et ce départ commun reste pour nous une énigme »...



Propos recueillis par Nicole Bertin

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