lundi 13 juin 2016

Les descendants de Charles Picard,
rescapé du naufrage de la frégate
La Méduse, se retrouvent à Rochefort
Parmi eux Claude et Françoise de Rocher,
de Saint-Simon de Bordes

2016 coïncide avec la commémoration du bicentenaire du naufrage de la frégate La Méduse sur la côte occidentale de l'Afrique. Le drame fit plus de 150 victimes et sur le fameux radeau, ne survécurent que quinze hommes. Au début du XIXe siècle, l'affaire défraya l'opinion. 
Le week-end dernier et pour la première fois, les descendants d'un rescapé, Charles Picard, se sont rassemblés à Rochefort pour évoquer des souvenirs et échanger des informations. Le premier rendez-vous était au Musée de la Marine où le groupe était accueilli par Philippe Mathieu, directeur.

Grâce à cette réplique présentée au Musée de la Marine de Rochefort, 
on peut se faire une idée du radeau de La Méduse...
« Ces deux journées ont été chargées d'intenses moments de convivialité, de partage et d'émotions. Chacun avait apporté ses documents, le fruit de ses recherches, bien sûr animé par le plaisir de la découverte, de notre histoire, de nos ancêtres et leurs descendants » souligne Claude de Rocher qui n'aurait manqué cette rencontre pour rien au monde. Comme les autres cousins réunis à Rochefort, il descend de Charles Picard, naufragé et rescapé de La Méduse. Sauvé en 1816 parce qu'avec sa famille, il avait pris place dans un canot et non sur le fameux radeau immortalisé par le peintre Géricault.
Une copie du radeau se trouve dans la cour du Musée de la Marine. Philippe Mathieu invite le groupe à s'y installer. La réplique se rapproche de l'original à cette nuance près qu'elle a été aménagée. Un plancher a été posé afin que les visiteurs ne glissent pas entre les travées. Sur la vraie version, les "vides" rendaient périlleuse la cohabitation des 147 naufragés entassés sur cette construction de fortune, suite à l’échouement de la frégate sur le banc d’Arguin.
Pour se mettre dans l'ambiance, avant la conférence, les participants ferment un instant les yeux : ils s'imaginent là, seuls au milieu de l'océan, livrés aux éléments et à la folie humaine. Abandonnés à un soleil de plomb avec la soif et la faim au ventre. Frissons à de telles pensées. Le témoignage de Charles Marie Brédif, seul passager rescapé à avoir tenu quotidiennement un journal, parle de lui-même : « Sache seulement que la révolte les a fait se massacrer entre eux. On jetait les hommes endormis à la mer ; les lames en ont emporté une bonne partie ; on trouva sur les cordes du radeau des lambeaux de chair humaine et des bouteilles d’urine pour le soutien de l’existence des 15 malheureux qui étaient tous en démence. Que d’horreurs... De quel poids ne doit pas être écrasé le malheureux capitaine qui s’est chargé d’un commandement dont il était indigne. Quelle honte pour ceux qui ont fait un pareil choix. Ce malheureux naufrage fera du bruit en France ; il ne peut manquer de s’en suivre un jugement ». Effectivement, du bruit, il en provoqua…

Une véritable tragédie

Pour mieux comprendre, revenons sur l'histoire de La Méduse qui n'est pas banale. En 1816, le pays récupère ses comptoirs du Sénégal qu'occupaient jusqu'alors ses chers ennemis Anglais. La France d'alors est une pétaudière, dit-on, climat qui sera perceptible à bord de la frégate…
Le 17 juin 1816, répondant à la demande de Louis XVIII, plusieurs bateaux chargés d'acheminer les fonctionnaires et les militaires affectés au Sénégal ainsi que des scientifiques et des colons - soit 392 personnes aux convictions différentes, révolutionnaires, royalistes, fidèles à l'Empereur - quittent Rochefort pour rallier Saint-Louis du Sénégal. D'importantes quantités de matériel sont embarquées dans une ambiance « assez délétère ». L'escadre est composée de la frégate La Méduse, sous la direction du capitaine Hugues Duroy de Chaumareys, de la corvette l’Écho, du brick l’Argus et de la flûte la Loire. Parmi les passagers de la Méduse, figurent le colonel Schmaltz, nouveau gouverneur, sa femme, ainsi que le commis de première classe et futur explorateur Gaspard Théodore Mollien.

Pas d'accident (sauf un mousse à l'eau) jusqu'au 2 juillet où longeant de trop près les côtes de Mauritanie, La Méduse tombe sur le banc d’Arguin. A marée haute, ce qui constitue un sérieux handicap et l'empêche de repartir.
Philippe Mathieu, « marin et reconstituteur historique » est passionné par la Méduse. Apportant moult détails sur sa tragique destinée, il pourrait en parler durant des heures. « 147 des passagers ont été rassemblés sur un radeau de fortune construit au départ pour alléger le bateau et le déséchouer » explique-t-il. Il n'accable pas le Capitaine : « Il est coupable, mais il n'est pas le seul responsable de la situation. On l'a dit incompétent, peu courageux, alcoolique. Chaumereys avait pourtant de bons états de service. Il avait participé au débarquement de Quiberon et commandé l'Aigrette à Brest en 1814 ». Quant au terme alcoolique, il faut lui donner sa juste signification, "aller à la bouteille" voulant dire "se rendre aux toilettes" chez les officiers. Rien à voir avec "lever le coude" !
Pourquoi le bateau s'est-il échoué ? Mauvaise lecture des cartes, conseils peu avisés, une erreur d'appréciation du Capitaine peut être avancée. Y-a-t-il d'autres explications ? L'épouse de Schmaltz aurait souffert du mal de mer. Son mari aurait-il fait pression sur Chaumareys pour accélérer le mouvement, lequel aurait pris des risques ? Quoi qu'il en soit, les erreurs s'accumulent et la frégate navigue trop à l'Est. Jusqu'à son échouement (et non échouage puisque la manœuvre n'était pas intentionnelle !).

Magnifique tableau de Géricault...
L'équipage ne parvenant pas à sortir la frégate de sa délicate position, il la quitte. Le radeau est tiré dans un premier temps par les canots. Une nuit, les amarres cèdent, sans doute larguées volontairement. Abandonné à son sort, il dérive durant une quinzaine de jours.
Mutineries, massacres des blessés et des mourants, cannibalisme (au bout de trois jours), le groupe se transforme en une horde sauvage. Quand l'Argus le localise enfin, il ne reste plus que quinze hommes à bord (dont des notables).
Quant aux passagers ayant emprunté les canots, que sont-ils devenus ? Certains ont pu rejoindre Saint-Louis par la mer ; d'autres, capturés par les autochtones, sont arrivés au prix de marches forcées à travers le Sahara.

Le rapport des faits provoque une énorme scandale politique en France. Les livres de Corréard, ingénieur-géographe, et Savigny, aide-chirurgien de marine, qui relatent l'affreuse aventure dont ils ont fait partie, oblige le roi Louis XVIII à faire juger le capitaine Chaumareys. Il est dégradé et incarcéré. Il faut dire que Chaumareys a été en dessous de tout : il a refusé de charger des naufragés supplémentaires dans le canot qu'il s'était réservé alors qu'il disposait de 18 places ; pire, il a abandonné le radeau où s'entassaient la plupart des naufragés en faisant lâcher la remorque...

Le radeau de La Méduse, l'une de ses grandes œuvres du peintre Géricault
 présentée récemment au salon du livre de Thénac par Philippe Mathieu
Les Picard et Fleury n'ont pas connu l'enfer du radeau...

Ces rencontres entre les descendants de Charles Picard, rescapé du naufrage, ont permis de tisser des liens. L'idée initiale est née avec la réédition, par l'Harmattan, du livre de Charlotte Adelaïde Dard, née Picard (1798-1862). Elle est l’une des seules femmes à avoir survécu au naufrage de La Méduse en 1816. Son récit, composé de scènes personnelles, de relations de faits historiques et politiques et de descriptions géographiques et anthropologiques, donne une idée des conditions de la colonisation au Sénégal au début du XIXe siècle (certains critiques, toutefois, remettent en cause des parties de son récit).

Les inscriptions à la cousinade
A Rochefort, trois branches étaient représentées, celle de Charlotte Picard, fille aînée de Charles ; celle de Caroline Picard, sa sœur, et celle d'Alphonse Fleury, leur demi-frère (il portait le nom de sa mère en l'absence de son père à sa naissance). « C'est la branche dont je descends tandis que les Ducros sont liés à Caroline Picard » souligne Claude de Rocher, heureux de participer avec son épouse Françoise à ces retrouvailles. « La découverte par un historien bordelais de la tombe, au cimetière de Pessac, d'Alphonse Fleury a été déterminante. Ma cousine Marie-Noëlle Guénon et moi-même avons contacté nos autres cousins de cette branche, puis Frédéric et Pascal Ducros. Il y a un mois et demi, ils nous ont proposé de faire connaissance. Par la suite, nous avons choisi de rejoindre la cousinade de Rochefort pour élargir le cercle de la parenté ». Et d'ajouter : « Les Picard et Fleury étaient dans l'un des canots, ils n'ont pas connu l'enfer du radeau »…

Philippe Mathieu et Claude de Rocher
Les samedi 4 et dimanche 5 juin, les échanges se sont succédé, de l'embarquement sur "la machine" au Musée de la Marine, la conférence détaillée de Philippe Mathieu, le départ à quelques encablures de l'Hermione et l'arrivée du Shtandard aux agapes à La Belle Poule, un "skype" avec les cousines et cousins de Nouméa, des visites guidées en ville et surtout beaucoup d'amitié.
« Sur les échanges que nous avons eus durant ces deux jours, il y aurait beaucoup à dire, en particulier sur les flous qui entourent les origines de la famille Picard. Il y a tellement de blanc dans cette généalogie qu'elle pourrait inspirer l'écrivain Mireille Calmel selon les propos de Michel Hanniet ! » avoue Claude de Rocher. Les documents privés emportés par Charles Picard, contenus dans une petite valise, auraient fini dans l'océan. Qui sait ce qu'ils contenaient ? Cette histoire un brin mystérieuse pourrait, en effet, inspirer notre romancière préférée, auteur de Lady Pirate, héroïne que sa vie tumultueuse conduisit sur toutes les mers du globe !

La photo de famille sur le radeau !
• Les deux ouvrages de Michel Hanniet, relatant le naufrage de la Méduse, ont été écrits à partir de nombreux documents dont ceux qu'avait rassemblés Edmond de Rocher (oncle de Claude de Rocher).
 
• A lire : La chaumière africaine ou Histoire d’une famille française jetée sur la côte occidentale de l’Afrique à la suite du naufrage de la frégate La Méduse par Charlotte Adelaïde Dard née Picard chez L’Harmattan

Situé dans la cour du Musée de la Marine, le radeau, qui mesure 18 mètres, a été fabriqué dans les Landes. Outre son aspect historique, il est devenu une scène qui peut accueillir des spectacles.


Philippe Mathieu est directeur du musée de la marine… et marin ! Il a participé au tournage du film "La Machine, la véritable histoire du radeau de la Méduse " écrit par Herle Jouon et produit par Arte.

Conférence sur la réplique du radeau, dans la cour du Musée de la Marine
• Le 18 juillet 1816, Charles Marie Brédif, rescapé du naufrage, écrit à sa sœur
Extraits : « Par le plus heureux des hasards, le brick l'Argus a rencontré le radeau au milieu de la mer, mais quelles affreuses nouvelles il a données ! Les 147 hommes qui étaient dessus étaient réduits à 15, tous blessés…
L’état des 15 hommes sauvés du radeau est dans ce moment très satisfaisant, ils sont un peu rétablis de leur épuisement, leurs plaies se ferment, on s’occupe de les mettre à terre pour leur procurer tout ce dont ils ont besoin. Notre gouverneur, M. Schmaltz, fait dans ces circonstances tout ce qui dépend de lui, il prodigue son propre argent pour les secours et les vivres ; nous lui devons tous notre existence ».


Philippe Mathieu remercié par les descendants de Charles Picard !
Ne serait-ce pas une maquette du radeau ?
© Nicole Bertin

Repas entre cousins samedi soir et dimanche midi. 
Parmi les convives, l'écrivain Michel Hanniet

Sophie Bonduelle et sa mère interprétant un poème de Charlotte Picard 
sur les vicissitudes de la vie au Sénégal

1 commentaire:

Frédéric Ducros et Estrella Robres a dit…

Nous vous remercions pour nous avoir accompagnés lors du rassemblement des cousins "Picard - Fleury" et pour cet article, que nous allons relier à notre blog https://medusepicard.wordpress.com/

Frédéric Ducros et Estrella Robres