Des huîtres de Meschers aux dinosaures de Cherves, un patrimoine paléontogique inestimable et en partie unique au monde se trouve sous nos yeux.
Ce livre est paru aux éditions du Croît Vif |
Le chercheur Didier Néraudeau |
Les Charentes représentent l’une des régions de France les plus riches en fossiles. Cette richesse est d’abord quantitative car les fossiles y sont extrêmement abondants, que ce soit dans les carrières, dans les champs ou dans les falaises littorales. Mais c’est aussi une richesse remarquable sur le plan qualitatif car, d’une part, les deux départements charentais présentent des couches géologiques, donc des fossiles d’époques très variées et, d’autre part, certaines espèces fossiles charentaises constituent des jalons fondamentaux pour la connaissance de l’histoire de la vie et de la biodiversité (ex : origine des fourmis, des mammifères marsupiaux, des plantes à fleurs ; plus grand dinosaure connu, etc). Cette double richesse avait motivé Alcide d’Orbigny, rochelais d’adoption, pour réaliser au milieu du XIXe siècle l’ouvrage de référence mondiale qu’est « la Paléontologie Française », ‘‘son grand œuvre’’ qui présente en plusieurs milliers de pages et de nombreux volumes les espèces fossiles du sous-sol français, avec une contribution importante du patrimoine paléontologique charentais. Comme aucun ouvrage synthétique n’avait été publié depuis d’Orbigny, je me suis dit qu’il était temps de faire un petit guide, certes plus modeste que l’œuvre d’Orbigny, mais ayant pour vocation de faire découvrir au grand public ce patrimoine inestimable, généralement boudé par les collectivités territoriales et par conséquent ni mis en valeur, ni protégé des intempéries, de la végétation et des constructions. Je savais que cela représentait un travail considérable, notamment pour réunir le panel le plus large possible des espèces fossiles des Charentes. N’ayant pas tout dans ma propre collection, j’ai fait appel à Romain Vullo, paléontologue universitaire d’origine charentaise comme moi, pour ajouter sa collection à la mienne et m’aider dans les déterminations et les illustrations photographiques. Enfin, je suis un grand lecteur de bandes dessinées et j’apprécie énormément ce neuvième art. J’avais envie que le guide associe aux photographies de fossiles des reconstitutions dessinées d’espèces disparues. Ma rencontre avec Mazan, dessinateur bien connu des bédéphiles, s’est faite en août 2010 sur le chantier de fouilles du site à dinosaures d’Angeac, en Charente. Nous nous sommes rapidement rendu compte que son goût pour la paléontologie n’avait d’égal que mon goût pour la bande dessinée. Nos passions croisées ont été réunies dans un même projet, celui de faire un guide illustré des animaux préhistoriques (au sens large) de notre région.
Le calcaire du Crétacé apparaît dans de nombreuses constructions, dont l'arc romain de Germanicus à Saintes (dessin de Mazan) |
L’histoire géologique des Charentes, comme celle de bien d’autres régions, n’est qu’une succession de périodes où la mer a recouvert une partie des terres antérieurement émergées (phases de transgression marines) et de périodes où la mer s’est retirée, mettant à nu ce qu’elle avait précédemment recouvert (phases de régression marine). Par conséquent, à de multiples reprises, la mer a recouvert le Centre-Ouest de la France et notamment les Charentes, plus de 100 ou 150 m de tranche d’eau ayant parfois recouvert la frange occidentale, notamment vers la fin du Crétacé. C’est ainsi que s’est déposée la craie blanche des falaises de Meschers, Talmont ou Mortagne, alors que ce n’était qu’une boue marine déposée à plusieurs kilomètres de la côte de l’époque, fortement décalée vers l’Est et le Poitou. Inversement, la mer s’est parfois retirée plus à l’ouest que le littoral actuel, et des zones de delta, de marécages, voire de mangroves s’étendaient alors à l’emplacement actuel de la mer côtière.
Sorte de coquille Saint-Jacques fossile (Neitheia sexcostata ; collection Néraudeau) du Crétacé supérieur des falaises de Barzan (17), largeur 57 mm. |
Il n’y a pas de réponse unique à cette question, car cela dépend des époques. Pour simplifier, on peut opposer les écosystèmes forestiers de l’ère secondaire (Jurassique, Crétacé), riches en dinosaures de toutes sortes (herbivores géants sauropodes, grands herbivores « à bec de canard », carnivores théropodes de tailles variées, avec ou sans plumes) et les forêts des ères tertiaires et quaternaires, dépourvues de dinosaures (hormis les oiseaux !). À l’intérieur de l’ère secondaire, on peut également opposer le Jurassique, aux forêts de conifères et de fougères, et le Crétacé, période d’apparition et de diversification des premières plantes à fleurs. Quant aux milieux marins, ceux de l’ère secondaire étaient parsemés d’ammonites (cousins des calmars, à coquille spiralée) et de rudistes (bivalves géants de forme cylindroconique), tandis que ceux des ères tertiaire et quaternaire en sont dépourvus.
• On trouve aussi des plantes. Certaines d’entre elles existent-elles encore aujourd’hui ?
Là encore, les points communs entre la flore fossile et la flore actuelle diffèrent selon les époques géologiques. À partir du milieu du Crétacé, beaucoup d’arbres modernes sont déjà apparus, notamment les lauriers, les eucalyptus, les platanes et bien d’autres arbres à fleurs. Hérités d’époques plus anciennes, on trouve dans nos paysages actuels des Araucarias, qui étaient abondants dès le Jurassique, et des Ginkgos, présents dès la fin de l’ère primaire.
• Il est difficile de ne pas parler des dinosaures. Qui étaient ces monstres qui nous ont précédés, dont vous avez démontré dans vos travaux que certains avaient un duvet ?
Dinosaures vivant en Charentes (dessin de Mazan) |
• Il y a aussi l’ambre et des insectes pris au piège pour des siècles de la résine. Qu’apportent ces découvertes à la connaissance scientifique ?
Courtilière fossile (Marchandia magnifica ; collection Néraudeau-Perrichot) de l’ambre crétacé d’Archingeay-Les Nouillers ; longueur : 7 mm |
• Surprise, nous avions également des coraux. Cela veut-il dire que le climat y était plus chaud que de nos jours ?
À certaines époques, le climat fut beaucoup plus chaud qu’aujourd’hui. Ce fut notamment le cas à la fin du Jurassique (période propice aux récifs coralliens), puis surtout au début et au milieu du Crétacé supérieur, il y a environ 95 millions d’années, puis il y a 75 millions d’années. On estime, via la mesure du rapport des isotopes de l’oxygène présents dans les coquilles de mollusques de l’époque, que la température moyenne mondiale des océans était alors de 5 °C supérieure à celle d’aujourd’hui. Les glaces polaires étaient alors fondues et 100 à 150 m d’eau recouvraient l’Ouest des Charentes.
Il y a 75 millions d'années, les Charentes étaient sous l'eau ! (dessin de Mazan) |
Les plus anciens ancêtres de l’homme, appelés pré-humains et australopithèques, sont apparus en Afrique respectivement il y a 7 et 3,5 millions d’années à la fin de l’ère tertiaire. L’arrivée des hommes primitifs les plus anciens en Europe (Homo erectus au sens large) s’est faite il y a environ 1,8 million d’années et leur installation en France est encore plus récente, il y a environ 1 million d’années, à l’ère quaternaire. Donc, la totalité des fossiles représentés dans notre livre est antérieure à l’existence de l’homme.
Dent de requin fossile (Cretolamna sp.; collection R. Vullo) du Crétacé supérieur des falaises de Barzan, hauteur de la dent : 23 mm. |
Comme je l’expliquais précédemment, la Terre a connu de nombreuses variations du niveau des océans. À quelques exceptions près, ces variations du niveau marin étaient consécutives et associées à des variations climatiques majeures, alternativement vers une tendance froide (eau congelée aux pôles, donc baisse du biveau des océans) et vers une tendance chaude (eau fondue et hausse du niveau des océans). Ces variations répondent à différents types de cycles qui modifient régulièrement la position de la Terre sur son axe ou la position de la Terre sur son orbite ou autour du Soleil (que les puristes me pardonnent ce raccourci simpliste !). Ces différents types de modifications interviennent selon des cycles de plusieurs milliers, dizaines de milliers ou millions d’années, selon les cas. Lors de certains cycles, des climats extrêmes ont entraîné de nombreuses extinctions d’espèces (phases appelées « crises biologiques »). Ces phénomènes sont connus et bien repérés dans le temps car la fréquence des différents types de cycles est identifiée. Or, le réchauffement actuel n’est pas calé sur l’une de ces phases naturelles de réchauffement et il échappe aux cycles précités. En revanche, il s’est développé en même temps que l’industrialisation, la déforestation et la pollution croissante amorcée au XXe siècle. Donc, il est clair que les activités humaines ont « court-circuité » le cycle naturel des variations climatiques terrestres. Seul l’homme pourra ainsi défaire, peut-être, ce qu’il a fait. Mais il faudra beaucoup de temps, de prise de conscience et de bonne volonté. Les paléontologues du futur s’amuseront à décrypter tout cela à partir de nos squelettes fossiles…
Propos recueillis par Nicole Bertin
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