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dimanche 3 avril 2011
Quand la lèpre sévissait à Jonzac
Situés à la sortie de Jonzac, sur la route de Montendre, les vestiges de la chapelle de l’ancienne Maladrerie, lieu où l’on recueillait les lépreux dans les siècles passés, retiennent l’attention. Sensible à son patrimoine, la municipalité envisage de valoriser ce bâtiment quand elle en aura fait l’acquisition.
Tous les édifices anciens ont une histoire. À Jonzac, celle de la Maladrerie possède une dimension qui va au-delà de l’architecture ou d’éminents personnages qui seraient associés à son “destin“. La petite chapelle est bien modeste. On l’aperçoit à peine quand on quitte Jonzac, en direction de la route de Montendre. L’œil averti repère une maçonnerie ancienne ainsi qu’une sorte de blason situé au-dessus de la porte. L’investigation ne va guère plus loin. Et pourtant, comme ce lieu est intéressant et émouvant à la fois ! Autrefois, il accueillait les lépreux, ces autres “pestiférés“ que la société rejetait car leur maladie était transmissible. Ils étaient parqués, à l’abri des regards.
La lèpre est une vieille affaire et les civilisations antiques étaient déjà victimes de ses ravages. En effet, elle a la particularité de ronger les extrémités des membres, voire le nez. En France, comme dans toute l’Europe et l’Orient, les lépreux étaient logés à la même enseigne. Comme il n’existait pas de médicament - on disait “des médecines“ à l’époque - pour soulager les malheureux, ils étaient bannis, rejetés par leurs familles et ne devaient leur survie qu’à la charité d’honnêtes gens, émus par leur sort dramatique.
La lutte contre la lèpre ne s’est vraiment organisée que dans les années 1930. Auparavant, rien n’avait changé par rapport au Moyen Âge. En 1909 par exemple, la Société de Pathologie Exotique de Paris recommandait « l’exclusion systématique des lépreux » et le code de l’indigénat « la ségrégation coercitive ».
Ces vingt dernières années, la découverte d’un traitement adapté (sulfones), a permis à plus de 12 millions d’individus de guérir de la lèpre. Elle a été éradiquée dans 108 des 122 pays encore touchés. Elle demeure toutefois un problème dans une quinzaine de pays d’Afrique et d’Asie, dont l’Inde en particulier.
Une chapelle à sauver
Conscient que la Maladrerie est à valoriser par la Ville de Jonzac, un groupe d‘historiens et de médecins s’est mobilisé pour attirer l’attention des élus. À Jonzac, personne ne conteste le bien-fondé de cette action, mais elle se heurte à un problème matériel. La chapelle jouxte une maison qui est louée. Le propriétaire de cet ensemble est Raoul Dagnaud qui fut instructeur à l’Aéroclub de Jonzac et dont le père possédait un garage.
« Mon grand-père, agriculteur à Agudelle, a cherché à se rapprocher de ses enfants quand il a été retraité. Il est alors venu dans cette maison. La chapelle a été transformée en étable où il a installé deux vaches dont le lait était livré à la laiterie de Saint-Hilaire » se souvient-il. Il est évident qu’à cette époque, tout le monde avait oublié que le lieu avait un passé particulier. D’ailleurs, des livres anciens, retrouvés dans la chapelle, auraient disparu en fumée : « mon grand-père n’avait pas conscience de la valeur de ces archives. Tout au long de l’histoire, de nombreux documents ont été brûlés par méconnaissance » estime R. Dagnaud qui regrette leur disparition. Étaient-ils relatifs au fonctionnement de la Maladrerie ? Ou peut-être s’agissait-il de livres de messe en latin ? Une version à retenir puisque R. Dagnaud se souvient de lettres gothiques.
La mairie intéressée
Au conseil municipal, Jean-Claude Arrivé est chargé du dossier de rachat de la Maladrerie. Pourquoi le maire l’a-t-il choisi ? Parce qu’il s’agit d’un historien qui s’implique pleinement dans la vie de la région et y fait des découvertes intéressantes.
Pour l’instant, le seul hic est que la Maladrerie est habitée et même si le locataire doit partir prochainement, il faudra attendre l’estimation des Domaines. Raoul Dagnaud est tout prêt à vendre, si un accord est trouvé. « Cette maison m’a été léguée par mes parents » explique-t-il. Il aimerait bien, comme tous ceux que le patrimoine intéresse, qu’elle puisse retrouver une place dans la mémoire des Jonzacais.
Souhaitons donc que cette Maladrerie - et les mânes qui lui sont attachées - puisse raconter l’histoire de Jonzac à partir d’un éclairage que pourraient mettre en scène l’annexe des Archives et sa directrice Hélène Taillemite. Que des lépreux aient trouvé refuge à Jonzac dans les siècles passés (on leur donnait des crécelles pour avertir de leur passage, une sorte d’étoile jaune avant l’heure ?), est émouvant et mérite qu’on s’y penche avec intérêt et affection. Quand on est victime d’une maladie dont on est nullement responsable, l’exclusion est sans doute le pire des bannissements…
• UN PEU D’HISTOIRE
« Un témoignage unique » estime le professeur Favreau
Selon Rainguet, Renaud de Sainte Maure (famille importante de Jonzac) avait récupéré ses biens après la Guerre de Cent ans. Il avait alors fait une donation, par lettres du 8 janvier 1497, en faveur de la chapelle de la Maladrerie de Jonzac, sur le chemin de Montendre. Le petit édifice y est décrit : « sa longueur est de 8,40 mètres sur une largeur de 6,50 mètres. Il a des fenêtres étroites au midi et au nord et possède une petite porte sans ornements. La fenêtre du levant est plus large que les autres, elle éclaire l’abside ». L’hospice, ouvert aux lépreux, existait déjà quand Renaud de Sainte Maure dota la chapelle.
À l’époque de Rainguet (XIXe), on pouvait encore lire l’inscription qui se trouvait au-dessus de la porte. Hommage y était rendu aux bienfaiteurs de l’établissement : « Par Bertrand Vilot, Jeanne Bellonne et Jean Jasmain, fut faite cette maladrerie en l’an de grâce 1481 ». D’après l’auteur, cette inscription, formée de lettres ayant à peu près 4 centimètres de longueur, avait été relevée par M. Laferrière, élève du Petit Séminaire de Montlieu. La Maladrerie proprement dite (le bâtiment où les lépreux trouvaient refuge) était située de l’autre côté de la route. Aujourd’hui, seule subsiste la chapelle.
Selon le professeur Favreau, éminent spécialiste de l’époque médiévale : « cette maladrerie médiévale de taille modeste et dont la façade est aujourd’hui défigurée, est un vestige qui s’inscrit pleinement dans l’histoire de Jonzac ». L’inscription en particulier retient l’attention : « on en connaît fort peu sur les lépreux, une demi-douzaine d’épitaphes de la fin du XVe venant de la Maladière, maladrerie près de Dijon et aucune, à ma connaissance, sur les maladreries en dehors de celle de Jonzac. Tous les centres médiévaux avaient leur léproserie, La Rochelle, Saint-Jean d’Angély, Pons. La Maladrerie de Jonzac est un témoignage précieux sur une maladie qui a été omniprésente durant des siècles. C’est sous cet aspect un rare témoin de notre patrimoine ».
• Une maladie affreuse
La lèpre touche des sites anatomiques précis avec la mutilation des extrémités des mains et des pieds, l’effondrement de l’arête nasale, la chute des incisives supérieures, des ulcérations oculaires. On décrit les lépreux comme « des êtres effrayants et repoussants, défigurés et infirmes, éliminant en permanence des sécrétions nasales et parlant d’une voix rauque ». Une des premières descriptions de la maladie date du VIe siècle avant J.-C. En Inde, un écrit de cette époque se passe de commentaires : « il outrage la lumière, qu’on le chasse des villages à coups de pierre et qu’on le couvre d‘ordures, lui, vivante ordure ». En 2003, 500.000 cas ont été recensés en Inde.
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