De tous les peuples qu’il a rencontrés en Afrique, Claude Caillé, créateur du zoo de la Palmyre, près de Royan, a été marqué les Pygmées. Et pourtant, ils sont à mille lieues de notre matérialiste triomphant ! Isolés au milieu d’immenses forêts, ils vivent de chasse et de cueillette, se nourrissant de serpents, de chenilles et de termites. « Quel choc quand on entre dans leur monde » admet-il. Il les a connus par hasard, grâce à un Frère blanc.
L’histoire mérite d’être contée. « En 1974, je me trouvais dans le sud du Cameroun où je devais rejoindre des Boulous dans la région de Djoum. Soudain, je tombe en panne de voiture. Sur cette piste, la circulation n’était pas dense. Que faire sinon attendre ? Le lendemain, dans un nuage de poussière, j’ai vu arriver un 4 X 4 qui était celui du père Dhellemme. Il m’a demandé ce que je faisais là. Nous avons sympathisé et il a proposé de m’emmener chez les Pygmées. Il avait soigné l’un d’entre eux à l’hôpital de Djoum et lui avait appris des mots de français. Il a été pour moi un précieux interprète ».
Les Pygmées évoluent par groupes de trente à cinquante individus. Ces “petits hommes“ au grand cœur intriguent Claude Caillé. Ils lui rappellent nos ancêtres, avant que ne survienne l’évolution : « Ils ont l'esprit pratique. Quand ils tuent un éléphant, ils démontent carrément leurs cases pour les installer à proximité de ce garde-manger. Dans la nature, ils prennent ce qui est nécessaire à leur quotidien. Je pourrais écrire longuement sur eux. La première fois que les enfants m’ont vu, ils avaient peur parce que j’étais blanc. Ils ont mis huit jours avant de m’approcher. Vers l’âge de 10-12 ans, les aînés leur liment les dents en pointe, à l’aide d’une lame tranchante martelée à petits coups par un morceau de métal ou une pierre, afin qu’ils puissent manger de la viande crue. Cet acte douloureux faisait de la peine à voir. J’ai appris à les comprendre, à me placer dans leur contexte et à ne plus raisonner d’après mes propres critères. D’ailleurs, j’enrageais quand j’entendais des personnes extérieures lancer à leur sujet : ce sont des sauvages, nous sommes contents qu’ils disparaissent… Avant qu’ils m’admettent parmi eux, je crois qu’ils se sont un peu amusés à mes dépens. C’était une sorte de baptême ! J’ai dû affronter les fourmis Magnan, de grande taille. Je les croyais inoffensives, elles sont carnivores. Bref, je me suis remis de leurs attaques grâce un bon badigeonnage “maison“ qu’ils avaient préparé à mon intention ! Une autre fois, j’ai été attaqué par des taons énormes. Paniqué, j’ai fini dans un marigot. Sous l’eau, je ne risquais plus rien. Je respirais à l’aide d’une tige de bambou. Quand le soir est tombé, les Pygmées sont arrivés et ils ne regardaient avec un sourire complice : Djenghi, le Dieu de la Forêt, t’as mis le feu dans le sang ! disaient-ils. J’étais couvert de sangsues qui me provoquèrent une forte fièvre. Ils ont allumé un feu, fait bouillir des racines et des plantes. J’ai pris ce breuvage. Le lendemain, j’étais remis. Ils détiennent des secrets médicaux qui nous seraient utiles ».
Les souvenirs hauts en couleurs ne manquent pas. Claude Caillé les a racontés dans un bel ouvrage intitulé « mon zoo, ma vie ».
Cannibalisme ?
Une autre histoire a de quoi interloquer. Le cannibalisme a-t-il complètement disparu ? On peut se poser la question. Alors qu’il se baigne dans la rivière Ogoué, un Africain, ami des Pygmées, est entraîné par un crocodile. Ses proches, effrayés, le croît mort. Or, le malheureux réapparaît quelques jours plus tard. Bien qu’effrayant, ce retour chez les vivants a tout de même une explication. Il faut savoir que la mâchoire du reptile est surtout faite pour happer. Les chairs doivent se putréfier pour que le reptile puisse les déchiqueter. Il place alors sa proie sous une souche et attend. Parfois le rescapé, s’il dispose d’une poche d’air, arrive à s’échapper et regagner la rive. Dans le cas qui nous intéresse, l’homme y parvient, mais il court un grave danger. Vu qu’il est passablement sonné - on le serait à moins - son clan estime qu’il est possédé par un mauvais esprit. En conséquence, il le tue et le mange. Autres lieux, autres mœurs !!!
Il ne faut pas juger l’Afrique selon son éducation, sinon le fossé devient infranchissable. Contrairement à ceux qui estiment que les Blancs sont des êtres supérieurs, Claude Caillé a essayé de pénétrer la civilisation des Pygmées et d’en saisir les subtilités : « ils sont plus attachants que les Masaïs qui n’attendent que le profit, comme les autres ethnies d’ailleurs. Les Masaïs ont une coutume particulière. Chaque matin, ils prélèvent du sang frais sur la jugulaire d‘une vache, puis ils colmatent l’entaille. J’ai essayé d’en boire une seule fois. Je n’ai pas pu, c’est totalement écœurant ! ».
y a plus de trente ans que Claude Caillé n’a pas revu les Pygmées. Des problèmes de santé l’ont empêché de les retrouver : « Je pense à eux souvent. Ils m’ont enseigné l’humilité. Ils sont généreux et ne sont pas des primitifs, terme dont on les qualifie habituellement. Ils réalisent des instruments de musique avec des lianes, des fibres. Ils vivent dans des conditions très précaires et cela m’attriste. Leur espérance de vie ne dépasse pas cinquante ans ». Claude Caillé est subitement nostalgique : il est des périodes de son existence qu’il n’oubliera jamais…
S’il est fier de la réussite du zoo de la Palmyre, il garde les pieds sur terre : « quelquefois, quand je suis à l’entrée, j’ai du mal à croire que je l’ai bâti avec ma famille. Je n’en tire pas de vanité, je suis simplement heureux ». Et d’ajouter : « mon vœu serait que toutes les bonnes volontés se rejoignent et fassent de la nature toute entière un zoo sans frontières »…
Propos recueillis en 2004 par Nicole Bertin
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