lundi 1 juin 2009

Le dinosaure américain était aussi charentais ! Questions à Jean-Michel Mazin, paléontogue


À une époque reculée, l’actuelle carrière de Cherves (près de Cognac en Charente) était une vaste lagune tropicale où vivaient de nombreuses espèces. La plupart ont disparu et seule l’image de synthèse permet d’imaginer leurs apparences respectives. L’histoire remonte, il est vrai, à 135 millions d’années avant notre ère, à la jointure entre le Jurassique et le Crétacé...
De 2000 à 2007, des scientifiques ont fouillé ce site à la recherche d’une découverte, d’un “maillon“ qui apporterait un éclairage nouveau. L’une d’elles concerne la présence d’un dinosaure que l’on croyait uniquement américain. La découverte d’une vertèbre de camarasaure en atteste. Par ailleurs, dans ces couches du Crétacé, des restes de petits mammifères ont été trouvés. L’évolution était donc en marche.
Vendredi soir, Jean-Michel Mazin, directeur de recherches au CNRS de Lyon était au Paléosite de Saint-Césaire. Durant la conférence, il a fait le point sur les travaux conduits sur ce site, unique par l’abondance de ses témoignages fossiles.
Il répond à nos questions :


Jean-Michel Mazin, en quoi la carrière de Cherves est-elle unique ?

Nous sommes au Berrassien, c’est-à-dire au tout début du Crétacé, vers 135 millions d’années. La mer s’est retirée. Elle a laissé derrière elle une immense lagune d’eau salée, peu large mais très allongée, qui s’étend d’Angoulême à la Rochelle environ, soit une centaine de kilomètres. Sous l’effet du soleil, l’eau salée commence à s’évaporer, d’où la précipitation du gypse que la société Garandeau exploite dans la carrière de Cherves actuellement.
Peu à peu, cette lagune un peu desséchée, qu’on peut imaginer à mi-chemin entre la mer d’Aral et les chotts d’Afrique du Nord, commence à recevoir de l’eau douce continentale en provenance du Massif Vendéen et du Massif Central. Au fil du temps, nous assistons à un phénomène de dessalure.
Lors des fouilles que nous avons effectuées, les restes de fossiles, trouvés dans les niveaux salés, venaient de deux provenances : soit ils avaient été apportés par les rivières qui venaient s’y jeter, soit il s’agissait d’espèces qui vivaient en milieu aquatique, crustacés, mollusques, poissons ou requins.
Cette petite mer intérieure, qui s’est transformée progressivement, est un milieu unique à observer. L’un des épisodes à souligner correspond probablement à un lessivage continental. Il a dû pleuvoir énormément sur une longue période. Ce régime de pluies soutenues a tout entraîné sur son passage. La lagune est alors devenue une sorte de dépotoir biologique. Grâce à la carrière, nous avons eu la chance de tomber sur ce “gisement“.

Au départ, l’intérêt du lieu avait été signalé par Thierry Lenglet, un habitant de Mirambeau...

En effet, dès les années 80, le site est fouillé par des amateurs. A l’époque, aucun universitaire ne s’est vraiment intéressé à Cherves. Nommé à Poitiers en 1994, j’ai été contacté par Thierry Lenglet en 1999. Le premier chantier a eu lieu en 2000 avec des étudiants. Par la suite, des fouilles ont été régulièrement organisées, plusieurs fois par an, jusqu’en 2007.

Une première synthèse des découvertes a-t-elle été réalisée ?

Actuellement, la synthèse des recherches n’a pas été publiée car nous sommes une trentaine à travailler sur le site. Tout ce que nous avons extrait à Cherves a été réparti entre différents spécialistes, en Europe et dans le monde. Un collège américain travaille sur les œufs fossiles (nous avons retrouvé des fragments de coquilles), un Suédois et un Danois sur les requins, un Suisse sur les poissons. Personnellement, je me penche sur le cas des crocodiles et des dinosaures. C’est un travail d’équipe.


Ces fouilles ont révélé l’existence d’un dinosaure que l’on croyait uniquement américain...

Le résultat global de cette fouille est une grande trouvaille. Il s’agit d’une véritable pépinière. Nous avons identifié deux nouvelles espèces, de crocodile et dinosaure. Ce travail est en cours de publication.
La découverte du camarasaure a fait évoluer la connaissance. En effet, ce dinosaure, très présent en Amérique, vivait aussi en Europe. Nous étions nombreux à le pressentir, mais personne n’avait pu en apporter la preuve. Dans le cas de Cherves, la présence de ce spécimen de la famille des camarasauridés est pleinement démontrée. Il s’agit de grands dinosaures herbivores. Nous avons également retrouvé des dents de dinosaures carnivores.
Au total, nous avons récolté près de 2 000 macro-spécimens et environ 45 000 micro-restes, telles que de petites dents millimétriques. Et 30 tonnes de sédiments n’ont pas encore été fouillées !
En décidant de travailler très finement, nous avons privilégié l’exploitation des micro-restes qui, en général, n’est pas faite dans les gisements. Ces éléments ont servi de support à la thèse de doctorat que Joane Pouech a soutenue, il y a trois mois. Elle a fait une étude de biodiversité quantitative, une approche mathématique des similitudes de faune sur les 81 niveaux successifs qu’abrite la carrière de Cherves.
Ces 81 strates sont les pages d’un livre qui raconte l’histoire de cette lagune, d’abord salée pour devenir un lac d’eau douce. Entre ces deux moments, combien de temps s’écoule-t-il ? Il est difficile de faire des estimations précises. Des centaines de milliers d’années sans doute. Le “livre“ est forcément imprécis car il manque des pages ! Imaginez un delta. Dans ce delta, il y a de la boue qui se dépose et transporte des restes d’animaux. Dans cette série sédimentaire, nous avons plus d’informations sur le continent que sur la mer qui est à proximité ou sur la lagune elle-même.

Que peut-on dire de la flore ?

Deux chercheurs suisse et français travaillent sur les graines de pollen et les micro algues. On a également trouvé un tronc d’arbre qui est actuellement au musée d’Angoulême. Cet araucaria a été identifié par un paléo botaniste de Lyon. Les sept années de fouilles conduites à Cherves nous ont permis d’extraire, dans les meilleures conditions et avec des méthodes nouvelles, un gisement très important.

Avez-vous trouvé de l’ambre ?

Non. Il n’y a pas d’ambre car, à Cherves, nous ne sommes pas en présence de grandes forêts de conifères.

En dehors de Cherves, sur quels projets travaillez-vous ?

Avant Cherves, j’ai conduit un chantier de fouilles à Crayssac, dans le Lot. Un musée, en cours de construction, mettra en scène la fameuse plage des ptérosaures. Il s’agit d’un site exceptionnel datant du Jurassique - cinq millions d’années avant Cherves - où nous avons travaillé sur des empreintes d’animaux parfaitement conservées dans le calcaire. Une superficie de 1 500 m2 a été fouillée, mais l’ensemble est très vaste. L’ouverture au public devrait avoir lieu en septembre 2010.
Prochainement, je vais étudier des pistes laissées par de très gros dinosaures dans le Jura. Pour vous donner une idée, leurs pattes faisaient environ 1,60 m de diamètre ! Il y a d’autres sites en cours au Maroc et dans le Dakota avec les Américains, l’année prochaine. Mon emploi du temps est bien rempli...


Photo 1 : Jean Michel Mazin, directeur de recherches au CNRS de Lyon

Photo 2 : Des camarasaures de ce type vivaient du côté de Cognac. L’animal mesurait 18 mètres de long pour environ 6 à 8 m de haut et pesait 20 tonnes : charmant comme animal de compagnie…

Photo 3 : Ce que pouvait être la plage de Crayssac... sans êtres humains : ils n'existaient pas encore !

L’info en plus

• En France, neuf fois sur dix, les découvertes sont faites par des chercheurs amateurs. C’est le cas pour Cherves et Crayssac.

• A Crayssac, on a observé des ptérosaures (reptiles volants), des dinosaures, des crocodiles, des tortues, des poissons, des mollusques, des crustacés. Pendant que toutes ces espèces vivaient leur vie, l’homme n’existait pas. Pas plus qu’à Cherves d’ailleurs...

• Pendant l’ère secondaire, au Mésozoïque, certains poissons, comme les Lepidotes trouvés à Cherves, possédaient une forte écaillure. Ils étaient caparaçonnés en raison de leurs nombreux prédateurs. Les écailles des poissons actuels sont totalement différentes !

• La paléontolgie reste très attractive auprès des étudiants, même s’il y a peu de débouchés. 15 doctorats sont soutenus en France chaque année.

• Jean Michel Mazin était étudiant quand Bernard Vandermeersch a fouillé le site de Saint Césaire. A l’époque, on parlait de la découverte d’un homme et pas encore de Pierrette !

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