samedi 14 juin 2008

Champlain ou l’Eldorado poilu : Quand le castor rendait “toqué“ !

Samedi dernier, le professeur québécois Christian Morissoneau présentait à Brouage une conférence sur Champlain, fondateur de la ville de Québec. Ce rendez-vous, proposé dans le cadre des cérémonies du 400ème anniversaire, avait attiré un nombreux public, curieux de mieux connaître le parcours de cet aventurier né en Saintonge. Un livre est à paraître vers la fin août aux Éditions Hurtubise HMH.


Christian Morissonneau pourrait faire sienne la devise de la Haute Saintonge. Comme ce territoire, il est haut en couleurs tant par sa verve que ses connaissances historiques et géographiques. Qu’il soit face à des étudiants ou un public soucieux de se « déniaiser », il enseigne avec le même humour ! Samedi dernier, il était l’invité de la CDC du bassin de Marennes-Oléron qui organisait une journée d’animation à Brouage en l’honneur de Champlain.
À cette occasion, la citadelle prisonnière des terres, gardée fidèlement par ses échauguettes, a révélé son passé avec fierté. Il fut un temps où cette ville prospère attirait moult nationalités et faisait des envieux. On y armait les bateaux partant pêcher la morue à Terre Neuve. Grâce à l’or salant, son gouverneur, le cardinal de Richelieu en fit un port de commerce renommé ainsi qu’un lieu stratégique capable de contrer la rebelle Rochelle. En vain, cette dernière finit par “ l’ensevelir“. Après ses riches heures, l’eau, qui léchait ses remparts, l’abandonna et Brouage devint un repère fantôme, engoncé dans le marais.
Quand on découvre ce lieu fortifié par Vauban et restauré par le Conseil Général au siècle dernier, on a du mal à imaginer l’activité qui régnait entre ses murs quand il portait le joli nom de Jacopolis (de son créateur, Jacques de Pons qui le fonda en 1555). Le gros bourg entouré de murailles est devenu une étape touristique, fière de son escalier que descendit l’amour de Louis XIV, Marie Mancini.

Diplomate et courageux


Dans les rues de Brouage, Christian Morissonneau se sent comme chez lui. Il vient parler de Champlain à qui il a consacré un bel ouvrage.
Champlain, qui serait né dans cette région vers 1575, est son éminence grise. Mieux, il “occupe“ son esprit : « Il est bien présent dans ma tête. J’imagine la façon dont il vivait et les lieux tels qu’ils devaient être à l’époque où il est arrivé en Nouvelle France » avoue-t-il avec un sourire malicieux. Québec, la capitale, n’était pas son premier choix. Il aurait préféré les Trois Rivières, un endroit propice au commerce des fourrures puisque l’enjeu de la présence française gravitait autour de ces échanges. À cette époque, en effet, les gentilshommes arboraient fièrement des chapeaux en castor. C’était chic et troc ! Or, pour être élégant à la cour, il fallait acheminer en France ces pelages venant d’animaux qui n’y vivaient pas.
En s’embarquant pour ces terres inconnues (ou presque), Samuel Champlain (ne pas dire « de Champlain » car il n’a jamais été anobli) a deux objectifs : les affaires et, qui sait, découvrir une route vers la Chine. Outre la fabuleuse épopée de Marco Polo, gravée dans les mémoires, le souvenir de Jacques Cartier, découvreur du Canada, est récent.
En 1603, année de son premier séjour en Nouvelle-France, Champlain est envoyé comme observateur par le gouverneur de Dieppe à la tête d’une association de marchands, avec l’assentiment du roi Henri IV. Ce militaire ne part pas par hasard.
Le royannais Pierre Dugua de Mons (1) a obtenu le monopole du commerce des fourrures en Nouvelle-France dont il est lieutenant général et créé une compagnie. En 1604, une première habitation voit le jour en Acadie, sur l’île de Sainte-Croix (aujourd’hui dans le Maine) avant Port-Royal.
Sur place, la vie n’est guère réjouissante : il fait froid et la première année, vingt personnes trouvent la mort. On comprend pourquoi Gilles Vignaud chante « mon pays, c’est l’hiver ! » Dugua lui-même tombe malade à Tadoussac et à sa mort, en 1628, il ne sera jamais revenu en ce lieu inhospitalier. Pour point d’ancrage, il boude Québec, dont le climat est trop rude, et préférerait des cieux plus cléments.
Champlain est donc un cartographe avisé, doublé d’un homme de terrain et d’action. Partir à l’aventure, marcher sur de longues distances, faire du bateau, chasser, entrer en contact avec les peuples autochtones, faire des alliances, cela ne lui fait pas peur. Le but est de créer une colonie qui fera souche, mission qu’il remplira.
Il marche dans les pas maritimes de son oncle, Guillaume Allène, baptisé le “corsaire provençal“. Avec lui, il a rapatrié les Espagnols dans leur pays après la paix de Vervins, signée entre Henri IV et Philippe II d’Espagne. « Son oncle a été successivement catholique et protestant, sans état d’âme » souligne Christian Morissonneau qui voit en ce comportement une souplesse liée aux circonstances.


Champlain a sans doute admiré cet homme qui l’épaule, mais en possède-t-il l’audace ? Il aime la navigation puisqu’il est allé au Mexique et aux Antilles. Braver la « peau du diable » ne l’inquiète pas. Il ne cherche pas non plus à se donner bonne conscience en brandissant le prétexte religieux de l’évangélisation. Si l’esprit d’entreprise de Champlain rappelle celui de Cortès, on ne trouve en lui aucune violence, mais stratégie et diplomatie. N’oublions pas que Cortès, qui s’empara de l’empire aztèque pour le compte de Charles Quint, roi de Castille et empereur romain germanique, détruisit purement et simplement cette civilisation. Pizarro en fit autant au Pérou avec les Incas. Dans sa grande mansuétude, Jésus avait bon dos et ces conquistadors, cupides, avaient oublié l’un des commandements « tu ne tueras point ».
Champlain, quant à lui, n’est pas une brute. Nullement empreint de bigoterie hypocrite, il préfère composer avec les Indiens pour organiser la fameuse traite des fourrures qui succède au juteux commerce de la morue. « Au début, il y a la morue » clame l’orateur en riant !
Après ce poisson qu’on peut conserver avec le sel de Brouage, entre en scène le castor, cet « eldorado poilu » qui fait le bonheur et la coquetterie des Occidentaux. S’y ajoutent le lynx et la loutre.
Se crée alors une véritable filière : les Indiens ont des peaux, du maïs (blé d’Inde), du tabac ; les Blancs possèdent des marmites et des tas d’objets qui simplifient la vie.
Ils sont faits pour se rencontrer !

Il rêve de la Chine

Le lieu propice au commerce des peaux est Tadoussac. Une alliance se crée d’ailleurs avec les Montagnais, grands fournisseurs de fourrures. L’accord est de défendre Montagnais, Hurons et Algonquins contre les Iroquois, avec la bénédiction du roi, s’entend. Champlain respecte les alliances avec les Amérindiens. Durant de nombreuses années, il fait des allers et retours entre la France et la Nouvelle France, 23 au total. La traversée dure deux mois environ. La plupart du temps, il part de Dieppe, Honfleur, le Havre ou Saint Malo.


La Rochelle ne le voit qu’une seule fois. De retour à son “domicile“, il se livre à des repérages, explore les fleuves, fait des relevés. Il ignore la réalité des grands lacs et se met à rêver d’un passage vers la Chine et ses trésors...
Au fil du temps, le site de Québec « signature des Français dans la vallée du Saint Laurent » a fini par s’imposer. Les textes sont révélateurs : « Cependant Champlain, après avoir soigneusement examiné en quel lieu l’on pouvait fixer l’établissement que la Cour désirait sur le Fleuve, se détermina pour celui où l’on a bâti la Ville de Québec ; nom formé ou corrompu de celui de Quebeio, ou Quelibec, que les Sauvages donnaient déjà au même canton, qui signifie dans leur langue, rétrécissement, parce que le Fleuve s’y rétrécit jusqu’à n’avoir plus qu’un mille de large ; quoique dix lieues au dessous, il reprenne encore quatre ou cinq lieues de largeur. On compte, de là, vingt lieues jusqu’à la mer. Champlain y étant arrivé le 3 Juillet 1608, y construisit quelques baraques et s’attacha aussitôt à faire défricher les terres. Ainsi, c’est à cette année qu’on peut rapporter la première fondation de Québec ».
Champlain y pousse son dernier soupir en 1635, sans avoir trouvé de réponses à ses questions. Les habitants n’y sont pas bien nombreux, moins de 300, dit-on. Quelques années auparavant, en 1629, Québec a été prise par des corsaires anglais avant de revenir dans le giron français...
Dans son prochain ouvrage, Christian Morissonneau vous livrera le fruit ses nouvelles recherches. Un livre à ne pas manquer !

Dis-le-moi dans l'oreille :

• 30 % de Saintongeais

Au XVIIe siècle, la colonisation de la vallée du Saint Laurent fut lente. Parmi les 7000 Français immigrés, les Saintongeais partis de La Rochelle sont les plus nombreux. Ils représentant près de 30 % de la totalité, suivis des Normands, 25 %, et des colons provenant de l’Ile-de-France, de la Normandie et du Perche (un peu plus de 15 %). Une majorité était des paysans ou artisans. Dans son ouvrage intitulé « La population du Canada en 1663 », l’historien Marcel Trudel (1973) démontre que le clergé formait à peine 2,5 % de la population, la noblesse 3,2 % et le tiers état 94, 3%. Dans ce dernier ordre, la bourgeoisie comptait pour 26,3 % de l’effectif avec un taux d’analphabétisme aux environs de 20%, tandis que les « petites gens» constituaient 60 % du même effectif avec un taux d’analphabétisme de presque 53 %. « Voici donc une population où 30 % sont des ruraux analphabètes et 56 % sont dialectophones » ajoute le professeur Gauthier.

• 600 mots du patois saintongeais survivent au Québec

Christian Morissoneau évoque des mots du vocabulaire québécois issus tout droit du patois : “voyagerie“ pour décrire l’état de voyage, la “découverture“ pour parler de découverte en incluant l’action.
A-t-on déjà comparé les mots du parler québécois actuel et ceux de notre patois ? Nous avons posé la question à James Poirier qui écrivait, voici quelques années dans ce journal , l’excellente chronique “les mots pour zou dire“ : « Les Saintongeais n’ont pas été les seuls à peupler le Canada français mais, majoritaires parmi les émigrants de l’Ouest de la France, ils ont laissé un héritage aisément reconnaissable que l’on retrouve aussi bien dans la phonologie, les intonations et l’esprit gaulois pince-sans-rire des Québécois que dans leur vocabulaire ordinaire, à commencer par notre emblématique «chéti», exactement conservé dans le sens que nous lui connaissons. On pourrait aussi bien citer des mots comme «asteure, dret, fret, âchet, mouiller, siler « toujours utilisés par nos cousins d’outre-Atlantique pour dire «maintenant, droit, froid, ver de terre, pleuvoir, bourdonner». La seule étude systématique de comparaison linguistique que je connaisse est celle du Professeur Gauthier qui, en 1994, estimait à 600 le nombre de mots saintongeais conservés dans les parlers québécois et acadiens. Ol est pas reun ! Rappelons enfin que le «jh» bien de chez nous, signature indiscutable de l’origine proprement saintongeaise, est toujours vivant dans le parler acadien de Nouvelle-Ecosse ».


• Mais où se trouve la tombe de Champlain ?

À Québec, personne ne l’a jamais localisée. Certains “accros“ ont passé plus de quarante ans à chercher celui qui mourut le jour de Noël, le 25 décembre 1635. Christian Morissonneau pense que ses ossements auraient été dispersés à la suite de travaux. En effet, lors de la construction d’un bâtiment fédéral, des tombes auraient été mises à jour. Et s’il avait reposé là ? Sa naissance, quant à elle, a sûrement eu lieu à Brouage où cet homme de la mer venait prier, peut-on lire dans l’église. Mercredi dernier, un vitrail de l’artiste Nicolas Sollogoud y a été inauguré par l’Ambassadeur de France au Canada.

• Saintes : Si on jumelait les rivières Charente et Richelieu ?

Mardi soir, à l’Abbaye aux Dames, Christian Morissonneau était l’invité de l’Institution pour l’aménagement du fleuve Charente et de la mairie de Saintes. L’objectif est de jumeler, via le Covabar - Comité de concertation et de la valorisation de la rivière Richelieu - ces deux fleuves emblématiques de régions amies. Plusieurs échanges ont déjà eu lieu et l’historien géographe s’est fait un plaisir de rappeler la vie de Champlain, le Saintongeais, dont la mission était d’installer un comptoir dans la vallée du Saint Laurent. Québec fut fondée en 1608. Depuis l’eau a coulé sous les ponts, mais des liens subsistent..
Durant cette réunion, de nombreux partenariats ont été évoqués. Des activités autour des gabares (Saintes, Saint Simon en Charente) sont envisagées ainsi que des échanges en des domaines variés. Nous en reparlerons.

Infos en plus : La rivière Richelieu possède 124 km de voies navigables dont 83 km en Acadie. Elle arrose un territoire composé à 71 % de terres agricoles, 18 % de forêts, 6 % de zones urbaines et 5 % de zones humides. On y remarque des forts (dont Chambly qui permettait de contrôler les Iroquois, puis les Anglais des États-uniens). Il est à noter que lors d’une bataille dont il sortit vainqueur contre les Iroquois, Champlain reçut une flèche qui lui coupa l’oreille et perça le cou à l’embouchure de la rivière Richelieu... Autrefois, les villages jumeaux situés de chaque côté des rives communiquaient, les gens traversant sur la glace solide en hiver. De nombreux mariages étaient ainsi célébrés. Désormais, en raison des brise-glace, fini l’amour du voisin d’en face !


Photo 1 : Christian Morissonneau, dans les rues de Brouage.

Photos 2 et 5 : Un public soucieux de se "déniaiser".

Photo 3 : Gravure de St Malo, l’un des ports d’où partit Champlain vers la Nouvelle France.
Mariant l’histoire à la géographie, Christian Morissonneau a rappelé que Champlain avait toute sa place à côté de Jacques Cartier, le fameux marin de Saint-Malo qui remonta la Grande Rivière du Saint-Laurent dans la première moitié du XVIe siècle. Si Champlain a laissé moult notes, cartes et croquis, on ne possède aucun portrait de lui. De plus, on ignore sa date exacte de naissance (1570 ?) et où se trouve sa sépulture.

Photo 4 : Christian Morissonneau lors de la conférence

1 - Marié à Judith Chesnel, dame de Meux, Dugua de Mons repose sous un if au château d’Ardennes, à Fléac sur Seugne

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