On connaît surtout Madeleine, l’écrivain, mais avant elle, toute une lignée de Chapsal a porté ce nom, dont Fernand qui fut ministre et maire de Saintes pendant vingt ans.
Vendredi. L’été indien darde ses rayons sur la Saintonge. Invitée par le club Saint-Georges que préside Pierre Pereira, Madeleine Chapsal s’apprête à donner une conférence sur un sujet qui lui tient à cœur. « Les Chapsal et la ville de Saintes : une longue et belle histoire d’amour ».
Pas besoin de consulter ses notes, cette famille, elle la porte dans son sang. Elle irrigue ses veines et les personnages qui l’ont précédée ont laissé en elle une empreinte indélébile.
Installée devant la piscine, un endroit calme et lumineux, elle parle « au nom de tous les siens ». Évoquer sa famille l’amuse, tout d’abord parce qu’elle est une femme. S’exprimer librement, quand on porte jupon, n’a pas toujours été chose aisée. « Longtemps, les femmes ont été dans l’ombre. Si mon arrière-grand-père me voyait, il en ferait une maladie ». Le ton est donné. L’un des charmes de Madeleine Chapsal est d’avoir banni la langue de bois de son vocabulaire !
Cyprien, l’arrière-grand-père en question est originaire d’Aurillac dans le Cantal où son père est coutelier. Professeur de lettres, il a exercé à Limoges, avant d’être nommé au collège de garçons de Saintes dont il est devenu Principal. « Avec Sophie, son épouse, ils ont acheté la maison de la rue Saint-Maur que j’habite actuellement. Ils n’y sont venus qu’à la retraite. Auparavant, ils occupaient le logement de fonction de l’établissement ». Après une vie bien remplie, Fernand s’est éteint à Saintes à l’âge de 73 ans. Son épouse lui a survécu vingt ans…
Fernand ou la renaissance de Saintes
Parmi leurs enfants, se trouve Fernand, né en mars 1862 : « C’était un bon élève. Il avait une puissance de travail et une clarté d’esprit remarquable » souligne Madeleine Chapsal.
Il fait ses études à Paris où il devient docteur en droit. D’abord inscrit au barreau, il entre au Conseil d’État dont il a réussi le concours d’entrée (il s’est classé deuxième). Il a 25 ans et sa carrière sera exemplaire. « Je sais beaucoup de choses à son sujet car il a laissé une correspondance abondante. De nos jours, on croit communiquer efficacement grâce à Facebook ou Twitter, mais ces lettres sont plus riches en information que tous nos vecteurs habituels ».
Quels postes a-t-il occupés ? La liste est longue. Membre du Radical Socialiste, il a été sénateur de la Charente-Maritime de 1921 à 1939 et vice-président de cette docte assemblée. Maire de Saintes de 1919 à 1939, il a laissé son nom au jardin public et à une rue de la ville.
Il s’est largement investi dans les chemins de fer, l’adduction d’eau, l’électrification rurale et a fondé, dans le département, l’une des premières caisses régionales de Crédit Agricole Mutuel. « Toutefois, malgré les actions qu’il a conduites, les municipalités qui se sont succédé à Saintes n’ont pas eu la réelle volonté d’honorer sa mémoire » regrette sa petite-fille.
Il a par ailleurs occupé de multiples fonctions dans la haute administration de la Troisième République, notamment directeur du Service du Ravitaillement Civil pendant la Première Guerre Mondiale. S’y ajoutent trois ministères, le Commerce et l’Industrie en 1926 dans le gouvernement d’Aristide Briand, le Commerce de juin 1937 à janvier 1938, puis l’Agriculture de janvier à mars 1938 sous Camille Chautemps.
Par son parcours politique, Fernand a incontestablement marqué la famille Chapsal. « Mon grand-père était l’homme, non des promesses fumeuses, mais du réalisme fécond. Et si ses grandes connaissances lui permettaient de se pencher sur tous les problèmes, son bon sens voyait immédiatement la forme dans laquelle ils pouvaient être réalisables, aux moindres frais. Il a contribué à la renaissance de Saintes ».
Madeleine garde de son illustre aïeul un souvenir ému et nuancé : « Je crois que les enfants ne l’intéressaient pas. Il ne m’a jamais vraiment adressé la parole ». Cette génération d’hommes, il est vrai, a souvent été qualifiée de machiste !
Tel père, telle fille !
L’un des fils de Fernand, Robert, né en 1895, n’est autre que le père de Madeleine Chapsal. « Lui et son frère étaient un peu complexés face à leur père. À peine revenus de la guerre où ils avaient combattu courageusement, il leur a dit qu’il fallait commencer à travailler ».
Robert est le contraire de Fernand : il aime la douceur de vivre et les femmes ! Après avoir été attaché d’ambassade, il rejoint la Cour des Comptes. « Quand ma mère est tombée enceinte, il l’a épousée. Elle appartenait à la maison de couture de Madeleine Vionnet ».
Pour des raisons faciles à deviner, le couple divorce : « Papa nous prenait tous les quinze jours et l’été, ma sœur Simone et moi passions un mois à ses côtés dans la maison de Pontaillac. Souvenirs merveilleux ! C’est là que j’ai appris à nager. Quand j’étais à Paris, j’étais le plus souvent avec ma nurse. Heureusement, grand-mère vivait à la maison ».
Madeleine voue une belle admiration à son père : « il était beau, soucieux de sa personne, soigné, élégant ». À la fin de son existence, qui fut très longue, il déclarait : « Plus rien ne m’étonne car j’ai vu tout et son contraire. À mon âge, il ne reste que l’émerveillement ». Il avait dansé dans les boîtes de nuit de Buenos Aires, porté le fez à Istanbul, représenté la France à l’enterrement de l’impératrice Eugénie, emprunté le premier métro à Paris et failli mourir dans la boue d’une tranchée à Verdun. Ces moments sont relatés dans le livre « Cent ans de ma vie » que Madeleine a préfacé. Seul bémol, il n’est jamais parvenu à se faire élire maire de Saintes, contrairement à son père !
Son frère Pierre, qui avait fait Centrale, a été directeur chez Saint-Gobain.
Nous arrivons tout naturellement à Madeleine Chapsal. La présenter serait lui faire offense. En effet, sa notoriété est grande, de son métier de journaliste à l’Express à la publication de romans. Jean-Jacques Servan-Schreiber, avec qui elle a été mariée quinze ans, est resté dans son cœur : « Il a lancé Michèle Cotta, Catherine Nay, Françoise Giroud. Il ne faisait pas de distinction entre les hommes et les femmes ; seuls comptaient le talent, la force de travail. Il donnait des conseils. Quand il avait repéré une bonne plume, il la recrutait. Au journal, personne ne se plaignait. Nous étions tous honorés d’appartenir à l’Express qui s’était taillé une belle réputation depuis sa création en 1953 ».
Madeleine réalise moult interviews dont celles de Saint-John Perse et Jacques Lacan. « J’ai toujours préféré la littérature et la psychanalyse à la politique » explique-t-elle. Et d’ajouter : « J’avais la fâcheuse tendance à dire ouvertement ce que je pensais. En politique, cette attitude n’est pas forcément appréciée ».
Peuplée de beaux moments et de situations difficiles, la vie de Madeleine Chapsal s’est écoulée entre Paris, les maisons du Limousin, de Saintes, l’Île de Ré… et bien sûr dans les salons littéraires et sur les plateaux de télé. Elle a pansé ses plaies, son divorce parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant et l’incompréhension qui l’oppose à sa sœur. Elle en a fait des livres où de nombreuses femmes se sont reconnues. Et puis est arrivée la disparition tragique de David, « son fils adoptif », l’un des quatre enfants de Sabine et Jean-Jacques Servan-Schreiber. Une épreuve douloureuse qu’elle a exorcisée en lui dédiant un ouvrage publié en avril dernier.
Devant un auditoire attentif, Madeleine Chapsal a raconté cette longue histoire qui gravite autour de la ville de Saintes. Peut-être la croiserez-vous du côté de la rue Saint-Maur : c’est là qu’est située la maison de famille dont elle est la première femme propriétaire !
La maison de la rue Saint-Maur à Saintes |
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