Gilles Merlet répond à nos questions :
• Votre entreprise a été créée à la fin du XIXe siècle. Quel est le secret de sa longévité ?
Effectivement, un certain nombre de personnes se sont succédé, de mon arrière grand-père Firmin qui a installé son premier alambic en 1850 à mon grand père, moi-même, puis mes deux fils Pierre et Luc. Distillateurs de cognac, nous avons fourni de grandes maisons comme Hennessy en produisant des eaux de vie, uniques et caractéristiques du terroir, avant de nous diversifier.
• Quels sont les produits qui ont permis à la société Merlet d'évoluer ?
Le cassis. Après 73, la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier ont entraîné la baisse des ventes de cognac à un moment où les superficies de vignobles avaient été agrandies dans de fortes proportions. En 1975, la région produisait plus qu’elle n’avait de débouchés. C’était une situation difficile à gérer. Sur un plan personnel, sur la propriété, j’ai essayé de trouver de nouvelles diversifications. Après quelques essais infructueux, je suis tombé sur le cassis. J’y ai vu une opportunité car les industriels étaient obligés d’acheter à l’étranger. C’était également le tout début de la machine à vendanger. En y regardant de plus près, il était possible de récolter le cassis avec ce type de matériel. Nous avions un terrain qui se prêtait à cette culture. Avec un groupe de viticulteurs, nous nous sommes lancés dans l’aventure. Entre 1979 et 1982, nous avons planté une centaine d’hectares de cassis, une variété qui est la meilleure sur le plan aromatique bien qu’elle produise peu. Toutefois, mon expérience du cognac me faisait dire que même quand il y a surproduction, les bons produits se vendent. Nous avons acheté notre première machine à vendanger en 1982 : il s’est avéré qu’elle marchait mieux avec la collecte du cassis que des raisins ! Nous avons alors élaboré d’excellentes crèmes de fruits, ce qui nous a permis de nous faire connaître sur le marché.
• C’est alors qu’est arrivé un Américain, ancien joueur de tennis !
Effectivement, en 2000, un Américain est arrivé dans la région. Il cherchait un viticulteur qui pouvait lui fabriquer une liqueur de cognac. Il est venu chez moi et m’a décrit ce qu’il voulait, un produit jaune. Je lui ai dit que ce produit existait déjà : il s‘appelait Alizé et je ne souhaitais pas en faire une copie. Il a réfléchi et opté pour une création. Je lui ai fait parvenir des échantillons. Après plusieurs essais qui ne l’ont pas convaincu, j’ai fini par mettre les points sur les i en lui demandant ce qu’il voulait vraiment : « quelque chose qui soit décalé, qui décoiffe ». C’est alors que je lui ai présenté Hypnotic, un produit à base de cognac, de vodka et de plusieurs fruits différents. J’ai travaillé une semaine dessus. A la fin, je me disais : « ils ne vont tout de même pas boire ça !». Au contraire, l’Américain m’a rappelé en me disant que c’était parfait.
Morale de l’histoire : il faut toujours être attentif au souhait du client et ne pas se baser sur ses goûts personnels. Hypnotic a fait un tabac sur le marché américain. Je me suis rendu compte que mon cocktail avait le même rapport sucre-acidité que celui du Coca-Cola. Ceci explique peut-être cela. Au bout de dix ans, il y avait besoin d‘un renouvellement. Il fallait donc ouvrir la gamme.
• Vous savez donc réaliser des assemblages…
Il faut savoir créer, faire preuve d’imagination. En me rendant à New York, j’ai assisté à un office du côté de Harlem. En voyant les femmes vêtues de mauve, j’ai aussitôt été inspiré : ce serait la nouvelle couleur d’Hypnotic ! Qui dit mauve, dit violette. J’ai donc assemblé une base de fruits rouges avec des violettes et d‘autres ingrédients. Le produit s’appelle Hypnotic Harmony et il marche.
• Vous avez également acheté une distillerie au Brésil ?
En effet, j’ai développé d’autres projets comme celui de la cachaça au Brésil. Je suis allé dans ce pays rencontrer et sélectionner des producteurs. J’ai fait appel à des investisseurs dont le groupe Bacardi qui m’a conseillé de traiter sur place. J’ai donc acheté une distillerie au Brésil qui produit ce rhum obtenu à partir de la canne à sucre. Il vieillit dans des vieux fûts de cognac. Début 2012, on m’a demandé de fabriquer une liqueur à partir d’un fruit, l’açai. Les Brésiliens en raffolent car il est bourré d’antioxydants. Nous venons de sortir une liqueur baptisée Cedilla. Elle est en vente aux USA et le sera plus tard en Europe. Les idées ne manquent pas.
• Que pensez-vous de l’opération Sidecar by Merlet ?
Pour se faire connaître dans le monde des spiritueux, il faut organiser des événementiels. Cette compétition réalisée autour du Sidecar, cocktail fait à partir de jus de citron, de triple sec et de cognac, permet de montrer et valoriser nos produits. Aujourd’hui, nous surfons sur la vague des cocktails. Mon fils Luc a vécu plus de deux ans à Londres après ses études d’agro. Il y a côtoyé beaucoup de barmen dont l’un a été élu meilleur barman du monde en 2009. Il s’agit de Tony Conigliaro qui présidait le jury mardi pour la finale. C’est le barman français qui a gagné, Mathieu Chapazian.
Gilles Merlet, un homme qui voit plus loin que le bout de son nez ! Astucieusement lancé dans le milieu du show-biz new-yorkais grâce à la complicité d’un rappeur et d’un disc-jockey, le cocktail Hypnotic a fait fureur dans les années 2000 aux USA. Ses fils Luc et Pierre sont à l'origine de la compétition de cocktails Sidecar by Merlet.
Reportage Nicole Bertin
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