mardi 2 septembre 2025

Jean-Jacques Millet, artiste : « A plus de 90 ans, l’envie de peindre est toujours la même »

Jean-Jacques Millet est un voyageur. Il a vogué sur les mers du monde, inspiré par les flots qui l‘ont porté et transporté. Au cœur de son atelier saintongeais, il a fait vivre des bateaux sur la toile, des cargos, des embarcations plus légères, des phares, des traits d’union entre la terre et la mer. Ambiance d’un ailleurs prometteur. De fortes et contrastées, les lignes sont devenues plus secrètes, offrant au visiteur une palette d’interprétations. Voire d’abstractions. Les lisières littorales ont rejoint l’univers sincère d’un homme chérissant la mer. Ces peintures, Jean-Jacques Millet les a exposées dans de nombreuses galeries. 

Et puis les ans ont passé. L’usure du temps est arrivée et avec elle, une difficulté à voir les détails et les couleurs en raison d’une dégénérescence maculaire. Mais loin de poser ses pinceaux, Jean-Jacques Millet a réagi. Il ne s’est pas découragé, développant de nouveaux sens qui lui permettent de poursuivre son œuvre. Avec détermination et générosité.

Jean-Jacques Millet : « Le matin, quand j'arrive dans mon atelier,
je ne sais pas si j'aurai la force de travailler longtemps un quart d'heure, une demi-heure
ou une heure et demie. Je suis content de venir, simplement ». 

Il répond à nos questions :

• Jean-Jacques Millet, vous peignez et exposez depuis des années. Des problèmes de vue sont apparus modifiant votre perception de la peinture. Quelles sensibilités avez-vous développées ? 

J’ai développé des surprises ! En voyant moins, le trait devient très relatif et pour les couleurs, c'est un peu la même chose. Je les distingue mais quand je crois en avoir travaillé une, à la sortie, ce n’est pas tout à fait la même ! Dès lors que j’ai admis la maladie dont je souffre, je ne me pose aucune question. Je laisse venir l’inspiration librement. L'important, c'est d'agir, de profiter du temps dont on dispose, de créer quelque chose qui me plaît et qui plaira au public. 

• Vous préparez-vous à une prochaine exposition ?

Si on m’aide à la mettre en place, à transporter et suspendre les toiles, je suis partant bien sûr. Pour moi, tous les efforts sont pénibles. Le mal est là et je fatigue, c’est pourquoi je peins assis. 

• Souffrez-vous parfois d'isolement ?

Pas du tout. J’ai des visites et mon épouse Jacotte est à mes côtés. Elle m’encourage. C’est une chance énorme. Les créations en céramique nous sont communes. 

• Aujourd'hui, vous privilégiez l'abstrait, les bleus, mais pas seulement. Dans certaines œuvres, surgissent de nouvelles teintes : orange, vert, rose…

Je n’ai pas la sensation de faire un choix. Je le fais tout de même et je m'amuse avec le hasard. Il compte aussi. C'est un sujet dont les peintres ont longuement parlé ! Le résultat n’est pas forcément ce que j'aurais voulu. Un tableau bouge constamment parce que, d’un quart d'heure sur l'autre, tout change autour de nous, nos sentiments, nos impressions, nos souvenirs, nos pensées. En vieillissant, la vitesse s'accélère. Il m'arrive de ressortir un tableau que j'ai fait la veille, l’avant-veille ou il y a 6 mois et je ne m'interdis pas de le retravailler. Parce qu’un tableau n’est pas toujours réellement terminé. Il peut revivre d’une façon ou d’une autre. Quand il me convient, je n'y touche pas ! J’en ai détruit quelques-uns parce qu'ils ne correspondaient plus à ce que je voulais transmettre. 

• Les artistes évoluent tout au long de leur carrière. Avez-vous changé par rapport à vos débuts ? Autrefois, vous avez peint beaucoup de bateaux…

L’âge est là. La période où je peignais des bateaux est importante dans ma vie. Ils sont toujours là. Leurs formes surgissent d'un tableau totalement abstrait. Je ne m'impose rien et mes pensées vont où elles le souhaitent. 

• Vous avez cessé la production de céramiques que vous réalisiez avec votre épouse ?

 Oui. Nous avons fait de la céramique pendant douze ans et nous avons beaucoup travaillé. Nous nous sommes arrêtés parce que cette activité devenait pénible physiquement. 

Des céramiques d'une grande délicatesse

• Au fil du temps, vous êtes devenu un peintre philosophe ? 

Je n'aurais pas cette prétention. J'ai ma petite philosophie à moi, mais je ne dirais pas "philosophe" ! Un sage non plus. En vieillissant, on devient peut-être un peu moins naïf ! Autour de nous, l’actualité nous inciterait à agir, mais nous n’avons plus l’âge. 

• Si vous aviez 40 ans aujourd’hui, comment réagiriez-vous face aux situations nationales et internationales actuelles qui sont préoccupantes ? 

L’homme dispose aujourd’hui de tous les moyens pour se détruire. Dès qu'il est question d'argent, tout devient difficile, ce qui explique pourquoi tant de gens se sentent mal à l’aise. Je comprends que certains choisissent la nature, l’éloignement. 

• Votre équilibre, vous le trouvez dans la peinture au cœur de la campagne saintongeaise… 

Quand je me lève le matin, j'ai envie de faire quelque chose. A plus de 90 ans, l’envie est toujours là. Je vois la vie d'une autre manière. Il y a une espèce de libération et une envie de rattrapage. Avant que tout ne se termine, je fais le maximum pour essayer de transmettre le fruit de mon travail à la postérité avec la satisfaction de laisser un ensemble cohérent comprenant différentes périodes et une continuité.

Quelles sont ces périodes ? 

J'ai eu la période des bateaux, précédée par les paysages qui touchaient davantage de public. J’ai évolué au fil des ans. Les bateaux étaient plus abstraits, ils intéressaient moins de monde. Mais j’ai tenu la barre ! Mes bateaux sont toujours là. Peu à peu, l’abstrait s’est imposé. J’ai fait de nombreuses expositions. Ensuite, nous sommes passés à la céramique et puis je suis revenu à la peinture. 

La mer, un thème cher à l'artiste

• Avec Jacotte, vous êtes un couple d’artistes !

Nous sommes complémentaires. Ajoutons notre fils Laurent. Il vient d’être recruté par le Ministère de la Culture pour fêter, avec une dizaine de photographes, le deuxième centenaire de la photographie. Il continue à enseigner à Angers. 

• Une devise pour conclure ? 

Vivons l'instant présent. Plus le temps passe, plus cet instant est précieux. Les bons moments, il faut les privilégier et surtout ne pas les gâcher ! 

• Il y a quelques années, Jean-Jacques Millet a été distingué par l’Académie de Saintonge pour son œuvre picturale. A cette occasion, le regretté Michel Danglade avait écrit à son sujet :  

« Certains disent que si on retire l’air du ciel, les oiseaux tombent. Heureusement, ne connaissant pas Jean-Jacques Millet, ils ne viennent pas lui pomper l’air ! Car l’air de Jean-Jacques Millet, c’est le grand air marin qui court sur des ciels immenses. On y entend le cri des mouettes. La maison du peintre annonce tout de suite la couleur. Les volets sont du bleu des mers du sud. Avant d’avoir mis là son sac à terre, vieux matelot, il a débuté comme pompon rouge dans la Royale, puis marin au commerce, il a bourlingué des années entre calmasses des tropiques et froides colères atlantiques. Comme dans la chanson, il est allé à Valparaiso. Il en est revenu peintre d’aventures, avec des océans plein la tête. Son dessin, à la précision élégante, raconte ses songes. Les vagues éclaboussent leurs bleus sur les jaunes éclatants des plages, les rouges et les noirs de ses cargos illuminent la grisaille des ports de commerce. Il est de ces peintres indispensables. Le format n’existe pas. Même enfermé dans la plus petite toile, le motif s’en moque, il envahit tout l’espace, il est l’espace. L’atelier de Jean-Jacques Millet sent la mer. On y respire à pleins poumons, on en prend plein la gueule. Prenez le large, allez-y voir, c’est à Champagnolles ! "L’aventure est dans l’homme, elle est illimitée" disait Mac Orlan. Merci à Jean-Jacques Millet de nous le rappeler ».

Il y a quelques années, Jean-Jacques Millet a créé des "Crazannes"

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Nicole pour ce bel échange
Ça donne très envie de rencontrer ce couple d’artistes
J’espère que nous pourrons aller les voir ensemble
Très amicalement
Stéphanie