mardi 18 avril 2023

Espace culturel Jean Glénisson : Il a réussi l’exploit de faire venir à Jonzac les grands noms de l'Université française

Jeudi dernier, Sylvie Marcilly, présidente du Conseil Départemental, Claude Belot, président de la CDCHS, Christophe Cabri, maire de Jonzac, Dominique Bussereau, ancien ministre, Catherine Desprez, première vice-présidente du Département, Estelle Leprêtre, sous-préfète, Stéphanie Dargaud, directrice des Archives départementales, ont rendu hommage à Jean Glénisson, qui a donné son nom à l'espace culturel des Archives Départementales (rue Sadi Carnot). Une plaque a été dévoilée, reconnaissance qui a suscité une belle émotion dans l'assistance et le cœur de ses proches amis, Marc Seguin, Pascal Even et Philippe Gautret en particulier. Après la visite de la nouvelle exposition que propose le site sur "Les empreintes citoyennes", des discours ont été prononcés rappelant la personnalité de Jean Glénisson, ses engagements de par le monde (Afrique, Brésil), sa volonté de partager la connaissance, ses implications dans l'Université d'été de Jonzac (conférences), à l'Académie de Saintonge dont il a été directeur, ou à la société des Archives historiques de l'Aunis et de la Saintonge à qui il a donné un renouveau. Jean Glénisson faisait partie de ces érudits qui ont apporté une manne intellectuelle au territoire. D'où l'importance de transmettre, rôle que remplissent les Archives et son équipe, où de nombreux documents sont consultables.

A noter que Christopher et Blake Jones ont réalisé un reportage de cette manifestation pour la chaîne YouTube de l'Académie de Saintonge. 

Dévoilement de la plaque par Sylvie Marcilly, présidente du Département, Catherine Desprez, première vice-présidente du Conseil départemental, Claude Belot, président de la CDCHS, Estelle Leprêtre, sous-préfète, Christophe Cabri, maire

• Marc Seguin, de l'Académie de Saintonge : « Jean Glénisson a réussi l’exploit de faire venir à Jonzac les grands noms de l'Université française »

« Jean Glénisson était un très grand érudit ; il lisait beaucoup, très vite, avec des facultés d’assimilation étonnantes. Il lui suffisait aussi d’écouter un exposé pour en tirer tout de suite l’essentiel, poser la question la plus pertinente, souligner le mérite du conférencier et l’encourager à publier son travail. Il tenait à ce que ses ouvrages et ceux de ses collaborateurs fussent écrits dans une langue claire, accessible à tous. Il avait en horreur le langage convenu de certains historiens contemporains, qu’il appelait leur « jargon » et qui tend à faire de l’histoire une discipline hermétique. Avec lui, l’Histoire n’était jamais rébarbative. Il nous est arrivé de nous amuser, mais discrètement comme il convient, dans le silence d’un service d’archives. Nous avons pris un certain plaisir, à Bordeaux, au moment de la très célèbre Affaire Grégory où il travaillait comme expert en écriture, à transcrire la confession d’un notaire du début du XVIIe siècle qu’on qualifiait de « faussaire ordinaire ». Il était enchanté et il a copié pendant une journée, avec l’objectif de faire sourire un jour ses auditeurs. 

Jean Glénisson avait vu le jour à Jonzac le 25 janvier 1921, dans la Rue Basse comme il le rappelait volontiers. Etudes à Jonzac, puis à Cognac où il vécut chez sa tante, une institutrice du temps de la IIIe République qui maniait à merveille les subtilités de la grammaire et contribua à lui léguer le goût de la rigueur. Après une licence d’histoire à Poitiers, il entra à l’Ecole des Chartes et en sortit major en 1946, l’année de son mariage avec Paulette Fortin, de Saint-Martial de Vitaterne. Ce rang flatteur lui valut de devenir élève de l’Ecole française de Rome, son titre le plus cher. De 1948 à 1952, il travailla aux Archives nationales et participa à l’inventaire du « trésor des chartes ». 

Il partit pour cinq ans à Brazzaville où il fut responsable des archives de l'Afrique équatoriale française. Ce continent lui plut beaucoup. Il aurait aimé couvrir l’Afrique francophone de bibliothèques. L’un de ses maîtres, Fernand Braudel, qui lui manifestait une amitié dont il se montrait très touché, lui demanda d'assurer pendant deux ans la chaire d'historiographie à l'université de Sao Paulo. 

De retour à Paris, en 1960, il vint enseigner à l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales. En 1967, il prit la direction de l'Institut de recherche et d'histoire des textes, enseigna à l’Ecole des Chartes, anima des séminaires à l’Ecole des Hautes Etudes, dirigea des thèses, et fut nommé membre correspondant de l'Institut. L’histoire ne lui suffisait pas ; sa passion pour la « Littérature de jeunesse » ne s’est jamais démentie ; il dirigea en 1994 Le livre d‘enfance et de jeunesse en France.

Il ne négligeait pas sa Saintonge natale. Dès les années 70, il devint le maître incontesté de l’érudition locale. Il savait susciter les enthousiasmes et fédérer les énergies. Avec son sourire si amical, il disait à un interlocuteur qui n’avait jamais envisagé de se mettre au travail : « Mon cher ami, il faut que vous m’aidiez. Il n’y a que vous qui puissiez écrire cet article ; et avec vous, je sais que ce sera parfait ». 

L’aventure commença à Jonzac, en 1973 avec le concours d’historiens et d’archéologues réunis dans une association archéologique et historique, Francette Joanne, Jacques Gaillard et Jean Tutard. Il en résulta une exposition exceptionnelle, avec des documents dont on n’autoriserait plus la sortie aujourd’hui. Le catalogue "Jonzac, un millénaire d'histoire" reste comme l’ébauche d’une possible histoire de la ville. « J’aurais dû, me répétait-il, être organisateur de colloques et d’expositions ».

1975. Dans le premier numéro de la Revue de la Saintonge et de l'Aunis de la toute nouvelle Fédération des sociétés savantes de la Charente-Maritime qu’il a créée avec Camille Gabet, il écrivit un article novateur, mille fois cité depuis : « La Reconstruction agraire en Saintonge méridionale au lendemain de la guerre de Cent Ans ».

L’année suivante, il entrait à l'Académie de Saintonge dont il devint ensuite le directeur  pendant dix ans, de 1982 à 1991. Un seul mot d’ordre : la culture, rien d’autre, sans sacrifice aux modes, et la plus grande rigueur dans l'établissement d’un palmarès réduit à l’essentiel.

En 1977, Claude Belot avait tout de suite réalisé de quel atout exceptionnel disposait sa ville. Avec Rémy Tessonneau, est fondée l'Université francophone d'été Jonzac-Québec, installée dans le centre culturel des Carmes. Jean Glénisson en devint le président. Bien épaulé par la ville et le département, il incarna cette Université dont la notoriété dépassa notre ville. Ce furent des années fécondes, avec beaucoup de travail et de soucis aussi. Deux ou trois conférences par semaine pendant tout l’été. Il réussit l’exploit de faire venir à Jonzac les grands noms de l'Université française. Je me suis efforcé de le seconder de mon mieux. Puis-je rappeler la mémoire de ceux qui ne nous ont pas ménagé leur appui, par exemple le doyen Jean Schneider, l’un des grands médiévistes de ce temps, qui nous est resté fidèle jusqu’à sa mort ? Des publications aussi : « ce sont les livres qui comptent, parce qu’ils resteront ».

1985 marque certainement un tournant avec l’exposition saintaise Agrippa d’Aubigné en son temps, inaugurée par le Président de la République François Mitterrand. Agrippa d’Aubigné, c’est le XVIe siècle, une écriture tenue pour détestable. Jean Glénisson était un excellent paléographe et il m’a fallu l’imiter et apprendre très vite. Nous avons vite constaté que cette époque n’avait jamais été sérieusement étudiée et je crois l’avoir entraîné sur cette voie lors d’un colloque à Agen et à Nérac, puis en 1994 à propos de la naissance de François Ier, enfin en 1998 avec la commémoration de l’Edit de Nantes. L’année suivante paraissait un très bel ouvrage, La Saintonge illustrée (1839-1843) René-Primevère Lesson composé avec l’aide de Pascal Even, Francette Joanne et Philippe Gautret. Il en était très fier.

Ce spécialiste de l’historiographie savait que l’histoire n’est pas une science et que chaque génération jette sur le passé un regard qui lui est propre. « Nous passons, disait-il, notre temps à modifier les jugements de nos prédécesseurs, et ceux qui viendront après nous souriront de nos certitudes ». Mais il savait aussi qu’il n’y a pas d’histoire sans documents parfaitement transcrits et qu’elle ne progresse qu’à partir de nouvelles découvertes. Naguère médiéviste, il s’intéressait maintenant au Grand Siècle. Il avait le plus grand respect pour Richelieu, à cause de la raison d’Etat et de ses chats ; il pardonnait volontiers ses écarts à Mazarin et manifestait la plus grande estime pour Colbert et le dirigisme. Son intérêt pour le Québec, où il s’est rendu à plusieurs reprises, était réel. En 1994, il a rédigé une magnifique biographie consacrée à Champlain : La France d'Amérique, voyages de Samuel Champlain. Sans doute devinait-il chez le Saintongeais une générosité comparable à la sienne ! Jamais Champlain n’a cherché à asservir « les Sauvages » ; il rêvait  d’en faire des sujets du Roi parmi les autres.

La dernière ambition de Jean Glénisson était de diriger une Histoire de l’Aunis et de la Saintonge en six volumes, l’équivalent local de l’Histoire de France d’Ernest Lavisse qu’il ne trouvait nullement démodée. Lui-même se réservait le XVIIe siècle. Trois volumes seulement sont parus à ce jour ; c’est un travail que nous avons le devoir de poursuivre, en même temps que les publications de documents, bien conscients pourtant du fait que les années qui viennent paraissent de moins en moins favorables à l’érudition, et que la notion de « culture » s’éloigne très vite des références qui étaient les siennes ».

Les allocutions dans la salle des conférences

• Pascal Even, président des Archives historiques de l'Aunis et de la Saintonge : « Assis sur l'estrade, il ressemblait à un petit Bouddha »...

« Je voudrais tout d'abord vous conter une anecdote : à l’Ecole de Chartes, j'ai eu Jean Glénisson comme professeur en historiographie qu'il nous expliquait sous l'aspect de la relativité. Je me souviens de la première fois que je l'ai vu. Assis à l’estrade, il ressemblait à un petit Bouddha avec des yeux qui pétillaient de malice ! Lorsque j'ai préparé une thèse sur La Rochelle, il a été bienveillant naturellement et je l'ai rassuré en lui disant que malgré mon nom de famille Even d'origine bretonne, ma mère était charentaise-maritime... 

En 1975, Jean Glénisson a créé la Fédération des sociétés savantes de Charente Maritime qui publiait la fameuse revue de La Saintonge et de l'Aunis. Il avait sollicité auprès de Claude Belot quelques subsides. C’est pour votre secte des érudits de la Saintonge et de l'Aunis ? avait plaisanté le président. Nous avons décidé de recréer la société des Archives historiques qui était en sommeil depuis des années. Jean Glénisson a eu une idée :  deux volumes étaient en cours d‘impression à Florence. Il s'agissait des correspondances de "Philippe Fortin de La Hoguette (seigneur de Chamouillac), Lettres aux frères Dupuy et à leur entourage (1623-1662)" par Giuliano Ferretti avec une préface de l'académicien Marc Fumaroli. La société a assuré la publication de ces tomes 51 et 52. Ils ont été le début du renouveau ! Nous en sommes maintenant au tome 72 et le 73 concernera le registre des Dames de la Foi de Pons par Francette Joanne ». 

• Claude Belot : « Disciple de l’historien Fernand Braudel, Jean Glénisson avait intégré la notion du temps long » 

L'analyse historique apporte en effet une dimension du monde et cette perception aide dans l’action publique. Jean Glénisson a fait une carrière universitaire fulgurante, restant avant tout un homme modeste. « Ce qui m’a frappé, c’est l’attachement à ses racines locales. Il était Jonzacais où son père était maître chai dans l'entreprise Gautret qui vendait du cognac. Il a vadrouillé dans le vaste monde, de l’Afrique au Brésil, mais il est toujours revenu à Jonzac. A l'Université d’été, il a réuni autour de lui les grands universitaires qu’il comptait parmi ses amis. La "secte" que mentionnait Pascal Even s'exprimait dans un langage accessible que parlaient Monsieur et Madame tout le monde et c’est important ! Nous sommes dans un milieu rural, mais pas incultes pour autant ! Cette université a survécu, elle continue et nous y veillons avec un soutien fort des Archives. Sur le territoire, nous comptons de grandes personnalités dont Jean Hyppolite qui a dirigé l'Ecole Normale Supérieure et l'écrivain académicien Pierre Henri Simon né à Saint-Fort sur Gironde à qui nous rendrons hommage en août prochain. Avant de clore ce propos, vous vous demandez pourquoi la Charente-Maritime compte deux sites d'Archives, La Rochelle et Jonzac. Je devais faire de la capitale de la Haute-Saintonge un centre intellectuel sur le plan des archives. Au temps béni du cumul des mandats, en relation avec Martine de Boisdeffre, alors directrice des Archives de France, nous avons sollicité une extension des archives dans le département. Comme elle était de la génération qui savait où étaient les sous-préfectures, elle est venue sur place et nous avons obtenu cette décentralisation à Jonzac ».

Deux anciens présidents du Conseil départemental Claude Belot et Dominique Bussereau, aux côtés de l'actuelle présidente Sylvie Marcilly

• Sylvie Marcilly, présidente du Conseil départemental : Vers la création d'un centre international de la généalogie à Brouage ?

« J'ai plaisir à venir dans le Sud pour saluer la mémoire de Jean Glénisson. En 2008, ont été créées les Archives à Jonzac avec pour objectif de valoriser la culture dans le département, dont Claude Belot a été l'initiateur. Je remercie l’équipe des Archives et Stéphanie qui vient de nous présenter la nouvelle exposition consacrée aux Empreintes citoyennes. 

Les Archives ont vu le jour sous la Révolution. Depuis les lois de décentralisation des années 80, on collecte, on valorise les archives, on organise des expositions. Sur les deux sites, 40 km linéaires de documents sont conservés et 35 agents travaillent à cette mission. Le plus vieux document dont nous disposons se trouve à La Rochelle, il date de 1140. Les Archives évoluent avec la numérisation, 6 millions d’images sont disponibles via internet sur la Charente-Maritime. En 2022, nous avons enregistré 39 millions de vues, sur les recherches en généalogie en particulier. C'est pourquoi est à l'étude la création d'un centre international de la généalogie à Brouage, berceau des Québécois entre autres. Cette structure nous permettrait de rayonner à travers le monde ». 

• Les Archives proposent des programmes culturels, expositions, conférences. A Jonzac, à destination de la  jeunesse, une expo sur Les empreintes citoyennes est proposée. 

Le site de Jonzac, un lieu à découvrir
Présentation de l'exposition consacrée aux Empreintes citoyennes par Stéphanie Dargaud,
directrice des Archives départementales
Un document vieux de plusieurs siècles

 •  L’exposition présente, à travers différents documents, en quoi les archives sont empreintes de citoyenneté. L’état civil, les délibérations des communes, les registres matricules, ou encore le cadastre, mais aussi les bulletins de vote et listes d’émargement, les jurys des tribunaux, sont quelques typologies d’archives où le citoyen, à travers le temps, se révèle à nous.

Jusqu'au 17 septembre du lundi au vendredi de 13 h 30 à 17 h. Entrée libre et gratuite (83 rue Sadi Carnot Jonzac).

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