dimanche 26 février 2012

À Chamouillac : un chêne vert
contemporain de Fortin de la Hoguette ?


Non loin du château de la Hoguette, ce chêne vert, répertorié parmi les arbres remarquables de Charente-Maritime, frappe par sa « majesté ». Il serait contemporain d’un personnage, Fortin de La Hoguette, qui habitait Chamouillac au XVIIe siècle. Retour sur ce militaire philosophe qui a retenu l’attention des historiens.


Il y a quelques années, Jonzac et sa région ont accueilli un important colloque consacré à un homme que Jean Glénisson, alors président de l’Université d’Été de Jonzac, avait tiré de l’oubli : Fortin de la Hoguette. Ce « militaire philosophe » a vécu une grande partie de sa vie à Chamouillac, près de Montendre. Giuliano Ferreti, professeur à l’université de Grenoble, a consacré un important travail à la correspondance qu’il a entretenue avec le cabinet parisien des frères Dupuy, dont l’un fut bibliothécaire du roi. Ces échanges épistolaires éclairent la France du XVIIe siècle.

L’honnête homme

Gentilhomme de petite noblesse, Fortin de la Hoguette est né en Normandie en 1585. Il est le témoin d’une longue suite d’événements : la régence de Marie de Médicis, le règne de Louis XIII, la domination de Richelieu, la régence d’Anne d’Autriche, le pouvoir de Mazarin, la fronde des Princes et une partie du règne de Louis XIV.
Intelligent, doté d’un esprit curieux, Fortin commence sa carrière dans les armes sous Henri IV. Il sert comme officier, commande Brouage, puis la citadelle de Blaye. Il participe au siège de La Rochelle. Son existence ne se limite pas à l’art militaire. Cette réflexion, écrite en 1631, est révélatrice de sa quête intellectuelle : « Je vous avoue que je vis en un lieu où je ne puis trouver satisfaction en dehors de moi-même tant les esprits semblent éloignés. Je ne vois que la pauvreté ». Pour faire circuler des idées, il faut être plus d’un, d’où la nécessité d’établir des correspondances !
Par son mariage avec la sœur de l’Archevêque de Paris, Beaumont de Peréfixe, en 1650, Fortin conforte ses « positions » dans le monde. Son beau-frère n’a-t-il pas été le précepteur du jeune Louis XIV ?

L’entrée de l’église de Chamouillac où se trouvent les bustes de Fortin de la Hoguette et de son épouse. L’auvent en bois, qui semble victime d’une gouttière, aurait besoin d’une restauration.

Depuis 1637, Fortin vit à Chamouillac, près de Montendre où se trouve sa propriété tandis qu’il exerce les fonctions de sergent-major à Blaye. Si la province est commandée de Paris, il y a des autorités locales. Dans la région, citons le Duc d’Epernon, dont la résidence saintongeaise est Plassac, près de Saint-Genis ; le duc de Montausier, originaire de la région de Baignes ; le marquis des Salles à Saint-Fort ; le Marquis de Saint-Maigrin ou le Maréchal d’Albret à Pons. La grande famille reste celle des La Rochefoucauld. S’y ajoutent des personnalités religieuses, Louis de Bassompierre et l’Abbesse de l’Abbaye aux Dames à Saintes.

Dans ce milieu d’érudits, il y a des écrivains, dont Guez de Balzac, Burgaud des Marets, et des esprits éclairés, M. de Saint-Seurin, Henri de la Motte Fouqué (dont le château est toujours visible à Saint-Seurin d’Uzet), « homme plein de naturel et de simplicité », et Mme d’Anguitard, l’épouse de Jean Poussard, seigneur de Moings, « un peu extravagante, mais fort appréciée ».
Fortin de la Hoguette est catholique. Il est opposé au désordre et se rallie à l’absolutisme. Il ne conteste pas Richelieu et incarne ce qu’il convient d’appeler « l’honnête homme ». En voici la description : « cultivé sans être pédant, distingué sans être précieux, réfléchi, mesuré, discret, galant sans fadeur, brave sans forfanterie, l’honnête homme se caractérise par une élégance à la fois extérieure et morale qui ne se conçoit que dans une société civilisée et disciplinée ».
Il a écrit plusieurs livres dont le plus célèbre est son « testament ou conseils fidèles d’un bon père à ses enfants » (il en existe vingt éditions). Pour Fortin, « un père doit faire éclore ses enfants comme une tortue ses œufs ». En matière d’éducation, il exorcise les passions nuisibles à l’épanouissement. Pour les « maîtriser », il conseille d’en abuser et de les transformer en vertus thérapeutiques.

Le chêne vert de Chamouillac est âgé de plusieurs siècles. Son houppier, compact et équilibré, mesure une vingtaine de mètres de diamètre. Son tronc approche les 6 mètres de circonférence. Bien qu’en bordure de route, il est situé sur le domaine privé de la Hoguette.

Correspondance avec les frères Dupuy


La rencontre de Fortin de la Hoguette avec les frères Dupuy a lieu en 1622. Un lien durable va se créer. Durant de nombreuses années, ils échangent leurs impressions sur le monde qui les entoure en privilégiant les faits marquants. Érudits, Jacques et Pierre Dupuy ont regroupé autour d’eux écrivains et gens bien pensants.
Fortin est enthousiasmé par ces hommes de talent qui portent un regard nouveau sur la littérature, la science, la psychologie, l’histoire. « La correspondance des frères Dupuy est l’un des principaux réseaux de la République des lettres » estime Jérôme Delatour, archiviste paléographe. Figure majeure de la fin de la Renaissance, leur père, Claude, était avocat. Il avait épousé Mademoiselle de Thou. Sa bibliothèque abritait une collection de livres rares dont le premier manuscrit de Tite-Live !

En héritant du cabinet, ses fils lui donnent une orientation nouvelle : Information est le maître mot. Jacques et Pierre veulent être les premiers à savoir. Pour cela, ils s’entourent de puissants relais, dont le Nonce de Rome. Devenir correspondant des frères Dupuy est une marque d’honorabilité.

L’inventaire fait apparaître 6 200 lettres. Dans la majorité des cas, elles viennent de France, des Pays-Bas (université de Leyde), d’Italie, de Belgique ou d’Allemagne. En France, les principaux correspondants habitent Toulouse, Sens, Angers, Fontenay, Aix-en-Provence où vit Peiresc, parlementaire et protecteur de gens de lettres. À Chamouillac, demeure l’ami Fortin. Les plus assidus écrivent une trentaine des lettres par an.
Isolé en Saintonge, Fortin attend avec impatience les missives qui rompent son isolement. Ces écrits du « simple quotidien » constituent un éclairage tant sur les affaires nationales qu’européennes.
Voltaire avait pressenti la grande richesse de la vie intellectuelle française du XVIIe siècle : « Ce temps ne se retrouvera plus où un duc de la Rochefoucault, l’auteur des Maximes, au sortir de la conversation d’un Pascal ou d’un Arnauld, allait au théâtre avec Corneille ».

Le chêne vert de Chamouillac se souvient-il de Fortin de la Hoguette ? Ah, s’il pouvait parler…

Le château de la Hoguette rendu célèbre par Fortin. Au fil des siècles, les occupants s’y sont succédé. Après avoir appartenu à M. Lechâtre qui possédait des élevages de gibier, il est actuellement la propriété de la famille Lorin. La demeure a été mise en vente. Avis aux acquéreurs !

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