Samedi dernier, une foule immense et recueillie a dit adieu à Jean Glénisson, homme de lettres et historien. Né à Jonzac, en Charente-Maritime, ce grand érudit laissera le souvenir d’un homme simple et généreux. Dans leurs éloges funèbres, Marc Seguin, l'abbé Blomme et Claude Belot, sénateur-maire de Jonzac, ont rappelé combien les actions brillantes qu’il a conduites ont contribué au rayonnement de la connaissance.
Quand il voit le jour, en janvier 1921, Marcel et Henriette Glénisson donnent trois prénoms à leur fils Jean, Alexandre comme son parrain et Henri en souvenir d’un grand-père. Devant cet enfant qui comble leurs attentes, ils s’interrogent comme tous les parents. Quel sera son avenir ? Aimera-t-il la terre comme son père ou choisira-t-il un autre horizon ? Ils ignorent que des fées sont penchées sur son berceau.
Dès l’école primaire, le jeune garçon est remarqué pour ses brillantes aptitudes. Ses instituteurs l’encouragent. À l’époque, Jonzac n’a pas de cours complémentaire. C’est donc à Cognac qu’il fait son entrée en sixième et poursuit des études secondaires. Il habite chez sa tante Alice, enseignante dans la capitale charentaise.
À l’heure des grandes orientations, il prépare le concours d’entrée à l’école des Chartes. Il sort major de sa promotion. Sa carrière est désormais tracée. Diplôme d’archiviste paléographe en poche, il convole en justes noces avec Paulette Fortin, une charmante “voisine“ de Saint-Martial de Vitaterne. En 1946, les jeunes gens n’ont guère voyagé et c’est avec joie qu’ils apprennent leur départ pour l’Italie.
Membre de l’École Française de Rome, de 1946 à 1948, Jean Glénisson s’installe avec son épouse dans la ville éternelle. Ils gardent de ce séjour un souvenir inoubliable. Quel merveilleux pays et quel bel édifice que le palais Farnèse où ils ont la chance de résider ! Ils y rencontrent le professeur Étienne avec qui ils nouent des liens.
Esprit en mouvement, Jean Glénisson ne s’arrête pas en si bon chemin. Les Archives Nationales le chargent de faire l’inventaire du “trésor des chartes“ qui réunit les archives de la chancellerie des Rois de France. Dans les années 1950, il devient chef du service des Archives de l’Afrique équatoriale française à Brazzaville. Il aimait à rappeler le grand moment que fut la visite du Général de Gaulle.
Par la suite, il assure la chaire d’historiographie à l’université de Sao Paulo au Brésil. Avec l’Amérique du Sud, s’ouvre une nouvelle expérience !
De retour en France, il rejoint l’École des Hautes Études en sciences sociales avant de prendre, en octobre 1964, la direction de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes au CNRS.
Recommandé par deux éminentes personnalités, Fernand Braudel et Charles Edmond Perrin, il succède à Mlle Vieillard à qui il vouait une grande affection.
Archives historiques, Université d’été, Académie de Saintonge
Après une carrière bien remplie, Jean Glénisson revient à Jonzac, sa ville natale, près de la Seugne qui chante en son cœur. Avec Paulette, il aurait pu couler des heures tranquilles à s’interroger sur la couleur du ciel ou les yeux clairs de Timmy, son chat préféré qui l’accompagnait dans ses écritures.
Jean Glénisson avec son chat valletais Timmy. Quand il souriait, les yeux de Jean Glénisson se plissaient pour ne former qu’un seul trait. Il ressemblait alors à un sage dans l’Empire du Milieu !
Au contraire, il poursuit son travail d’érudit et réunit autour de lui des “disciples“. En créant un véritable cercle d‘historiens, il fait naître “l’école de Jonzac“. La première pierre de ce groupe est posée en 1973 avec une étude consacrée à "Jonzac, un millénaire d’histoire". L’épais document, publié par l’Association Archéologique et Historique que préside Jacques Gaillard, devrait d’ailleurs être réactualisé et édité.
D’autres expositions suivent. L’une d’elles, à Saintes, reçoit la visite de François Mitterrand. Le Président de la République salue l’excellence de ce rendez-vous qui éclaire une période importante : Agrippa d'Aubigné en son temps et la révocation de l’Édit de Nantes. Une autre, riche en portraits de famille, est consacrée aux seigneurs de Jonzac.
François Mitterrand découvre avec Jean Glénisson l’exposition consacrée, à Saintes, à la révocation de l’Edit de Nantes.
À la fin des années 1980, Jean Glénisson prend les rênes de l’Université francophone d’été Saintonge Québec. Il lui insuffle un chaleureux dynamisme intellectuel. Tous les ans, en juillet et août, des conférences abordent des sujets variés qui attirent un large public, désireux de s’instruire quel que soit son âge. L’un des moments forts est la venue de Jean Favier qui conduit l’assistance dans l’univers mystérieux des Templiers. Le patois, l’une des facettes de l’identité saintongeaise, est toujours présent. Nombreux se souviennent de la représentation de la Mérine à Nastasie par les Buzotias au théâtre du château.
Grâce à un carnet d’adresses fourni, des personnalités renommées se retrouvent au cloître des Carmes de Jonzac, dont Étienne Taillemite, Yves-Marie Bercé, Bernard Barbiche, Louis Maurin, Roger Bonniot ou encore Robert Étienne.
Jean Glénisson s’implique également dans l’Académie de Saintonge, dont il est directeur avant Madeleine Chapsal, et la société des Archives Historiques de l’Aunis et de la Saintonge que préside actuellement Marc Seguin.
Membre correspondant de l’Institut, il apporte sa contribution à de nombreuses publications. Certaines sont en relation avec la Charente-Maritime : “La France d’Amérique, les voyages de Samuel Champlain“ ou encore “la Saintonge illustrée, René Primevère Lesson“. On lui doit aussi “Jonzac, ma ville sous Louis XVI“, “la reconstruction agraire dans le Sud Saintonge après la Guerre de Cent ans“, une étude détaillée sur le Comte de Soissons à La Rochelle, sans oublier l’aide apportée à la publication du livre d’Alain Braastad à partir des lettres de Jean Henry Brunet, négociant à Cognac. La liste est longue.
Simple et généreux
« Il pouvait lire de nombreux ouvrages et en retenir l’essentiel avec une facilité déconcertante » souligne Philippe Gautret. « Son style clair et précis faisait notre admiration. Il avait une mémoire formidable » ajoute Guiliano Ferretti.
Professeur à l’université de Grenoble, il se souvient du colloque que Jean Glénisson avait organisé à Jonzac sur Fortin de la Hoguette. Au XVIIe siècle, le seigneur de Chamouillac correspondait, en effet, avec les frères Dupuy, bibliothécaires du Roi. Les plus grands spécialistes étaient réunis, dont Marc Fumaroli, de l’Académie française, et Tullio Grégory, professeur et directeur de l'Institut de l'Enciclopedia Italiana Giovanni Treccani. Un événement pour une ville de moins de 4000 habitants !
Jean Glénisson aux côtés du professeur Tullio Gregory et Bruno Neveu qui a présidé l'École pratique des Hautes Etudes de 1994 à 1998.
Dans sa bibliothèque avec Marc Fumaroli, de l'Académie Française, lors de sa venue au colloque consacré à Fortin de la Hoguette
Enfin, comment ne pas mentionner les conférences se rapportant aux livres de jeunesse (Jean Glénisson possédait une très belle collection qu’il a léguée à l’Heure Joyeuse) et la présentation des dessins de l’illustratrice Maggie Salcedo au cloître des Carmes.
Ces responsabilités, que Jean Glénisson assuma avec professionnalisme et talent, ne lui ont jamais fait perdre de vue la simplicité et la générosité de la vie. Il était toujours accessible et ouvert à ceux qui le sollicitaient pour leurs travaux et recherches.
Il a été notre “maître“, dans le sens antique du terme. Qu’il repose en paix dans une immense bibliothèque composée de livres où la connaissance, si précieuse à ses yeux, régnera en divine souveraine.
Nicole Bertin
• L’hommage d’Yves-Marie Bercé, directeur honoraire de l’Ecole des Chartes :
« Plusieurs communautés éminentes ont envers Jean Glénisson des dettes de reconnaissance dont il a toujours caché les créances sous le boisseau. Ces débiteurs, ce sont les larges cercles d’historiens médiévistes et modernistes, présents et à venir, qui lui sont redevables de tant de généreuses provendes. Ce sont les chartistes, conservateurs et chercheurs dont il a su promouvoir les travaux et puis, plus intimement, les heureux habitants de l’Aunis et de la Saintonge, entre Sèvre et Gironde, qui ont la chance insigne de l’avoir parmi eux » écrit avec justesse Yves Marie Bercé, directeur honoraire de l’école des Chartes.
• « Qu’un ami véritable est une douce chose »
En 2007, aux Archives de Jonzac, un livre de mélanges, réunis et présentés par Giuliano Ferretti et Marc Seguin, est remis à Jean Glénisson. En recevant publiquement cet ouvrage, l’historien réalise – mais il le sait déjà ! – qu’il compte beaucoup d’amis. Pas seulement en Saintonge mais à Paris, Grenoble et à l’étranger, Italie, Allemagne, Brésil en particulier !
Les auteurs en sont : Christian Amalvi , Bernard Barbiche, Yves-Marie Bercé, Jacques Daniel, Pascal Even, Robert Favreau, Guiliano Ferretti, Jean Flouret, Philippe Gautret, Nicole le Pottier, Jean Mesnard, Bruno Neveu, Rainer Riemenschnieder et Marc Seguin. Différents thèmes y sont abordés : le mythe de Richard Cœur de Lion, le diocèse de Saintes à la fin des premières Guerres de Religion, la Cour des Salins du Pinant, l’Aunis et la Saintonge au milieu du XVIIe siècle, l’enfermement des pauvres à la Rochelle au XVIIe siècle, le Centre ouest entre Plantagenêt et Capétiens, Le testament de Fortin de la Hoguette, la bibliothèque d’un médecin rochelais Daniel Guillotin, l’insurrection du Texas d’après les Archives françaises, les livres de prix au XVIIIe siècle, les lettres inédites de Louis Machon, les mésaventures du dictionnaire de Bouillet, l’institut Georg Eckert à Braunschweig, un semestre d’épouvante en Pays jonzacais.
• Expert dans l’affaire Villemin
Jean Glénisson appartenait à l’équipe d’experts chargée d’analyser l’écriture du corbeau dans la triste affaire Villemin. Pour lui, il ne faisait aucun doute que cette écriture était celle de la mère du petit Grégory…
Plus anecdotique, Jean Glénisson écrivait toujours à la main. Il n’était jamais parvenu à se familiariser avec l’ordinateur !
• A l’Académie de Saintonge avec son ami Marc Seguin qu’il a encouragé à décrypter la difficile écriture du XVIe siècle. Jean Glénisson était un témoin de la connaissance, toujours prêt à transmettre la flamme à qui la cherchait sincèrement.
• L’histoire de l’Aunis et de la Saintonge :
Jean Glénisson avait pour objectif de réactualiser cette histoire, le célèbre Massiou commençant à dater ! La tâche, qui était immense, avait été répartie entre plusieurs historiens renommés, selon leurs spécialités. Lui-même avait à traiter l’époque médiévale.
Deux volumes ont été publiés chez Gestes Editions. Le premier, relatif au XVIeme siècle, a été écrit par Marc Seguin. Le second, dirigé par Louis Maurin, couvre la préhistoire et l’époque gallo-romaine. « Nous allons continuer ce travail. Jean Glénisson y tenait tant. Le Moyen-Age confié au professeur Robert Favreau » souligne Marc Seguin. Désormais, il veillera aux destinées de cette superbe collection.
• Un quart de siècle d’Université d’été :
S’il est un domaine où la Haute-Saintonge doit beaucoup à Jean Glénisson, c’est celui de la culture. En effet, durant 25 ans, il a animé l’Université francophone d’été en invitant des conférenciers de talent.
Il aimait à rappeler comment cette « mission » lui avait été confiée par Claude Belot : « j’accompagnais ma belle-mère au marché de Jonzac quand Claude Belot m’a abordé. Il m’a demandé si j’accepterais d’animer cette université naissante. Séduit, j’ai accepté l’idée. Je venais de prendre ma retraite, j’avais du temps libre ».
Chaque été, le public était convié à une session dont les sujets avaient un rapport avec la région. Au cloître des Carmes, les grands noms se succédaient devant un public de plus en plus fourni.
Jean et Paulette Glénisson recevaient, à leur domicile, ces personnalités avec gentillesse et convivialité. En parfaite maîtresse de maison, Paulette veillait au bien-être de ses invités. Par la qualité de cet accueil, le couple a contribué à valoriser la ville de Jonzac.
Au départ, les réunions de l’U.E. avaient lieu dans la petite salle Goulebenèze. Un jour, ô miracle, l’un des murs fut abattu et nous découvrîmes l’immense espace qui se trouvait à côté. Restauré, il offrit une place supplémentaire appréciable !
Succédant à Jean Glénisson, Pierre Nivet assura la présidence de l’Université d’été, puis Philippe Gautret contribua à la bonne marche de l’association. Cette dernière est aujourd’hui en sommeil, aucun nouveau bureau n’ayant pu être constitué. Les Archives de Jonzac ont repris le principe et proposent, chaque été, des conférences au cloître des Carmes.
Jean Glénisson à l’Université d’Eté avec une ancienne élève de l’université de Sao Paulo, Pierre Nivet et Guiliano Ferretti, professeur à l'université de Grenoble, avec qui il avait organisé à Jonzac un colloque sur Fortin de la Hoguette, seigneur de Chamouillac.
• Avec Philippe Gautret et Jacques Daniel, son ami de l’Eguille, qui possédait une superbe bibliothèque. Jean Glénisson s’y rendait régulièrement pour y consulter des ouvrages. C’est d’ailleurs Jacques Daniel qui avait déniché, à Grenoble, des documents inédits sur Louis de Bourbon, comte de Soissons et le siège de la Rochelle au XVIIe siècle. Intéressé par cet aspect « militaire » qui n’avait jamais été traité, Jean Glénisson se mit au travail et publia sur le sujet deux tomes détaillés aux Archives Historiques de la Saintonge et de l’Aunis. Un colloque fut également organisé à la Rochelle.
• Avec Jean Yves Grenon, ancien ambassadeur du Canada en France, grand défenseur de Dugua de Pons (qui finança les premières expéditions de Samuel de Champlain en Nouvelle France), et le professeur québécois Christian Morissonneau, avec qui il avait animé des colloques sur Samuel de Champlain, à Brouage en particulier.
Devant une maquette de la première habitation de Champlain en Nouvelle France exposée au musée de Royan avec Marie Claude Boucher et Jean Yves Grenon
Jack Bouyer, le vitisculpteur de Biron, a réalisé le buste de Jean Glénisson, travail qu’il découvre sur cette photo…
Jacques Tourneur, qui restaure la commanderie des Epeaux de Meursac lui avait offert son portrait. Jean Glénisson était ravi !
Jean Glénisson s'investissait dans la vie associative locale. Il est ici avec Humour et Vigne lors du concours de dessins annuel qui réunit des caricaturistes du monde entier
Avec Francette Joanne, historienne et épouse de l'ancien député Louis Joanne, à qui il avait remis la médaille de l'Ordre national du Mérite
Pour vous, Jean, ces lignes pleines de gratitude pour l'aimable et constant soutien apporté durant toutes ces années.
Vos amis ne vous oublieront pas
Pour vous, Jean, ces lignes pleines de gratitude pour l'aimable et constant soutien apporté durant toutes ces années.
Vos amis ne vous oublieront pas
(photo Jacques Dassié)
2 commentaires:
Je suis très émue car j'apprends seulement maintenant sa disparition et pour moi il est toujours vivant.
Je l'avais rencontré lors d'un université d'été à laquelle il avait invité Pierre Dubourg-Noves, historien d'art et spécialiste de l'art roman en saintonge avec lequel il avait des relations suivies, amis tous deux de R. Favreau.
Un grand homme est avec nous.
Marina Dubourg
J'AI CONNU LE PROFESSUER JEAN GLÉSNISSON À L'UNIVERSITÉ DE SAO PAULO, BRÉSIL, LE GRAND MAITRE DE METHODOLOGIE DE L'HISTOIRE. PUIS, QUAND J'ÉTAIS ÉLÈVE À L'INSTITUT D'IRBANISME DE PARIS, J'AI SOUVENT DINER CHEZ LUI ET SA CHARMANTE EÉPOUSE PAULETTE, DANS LEURS MAISON À RUE DU BOURG NOUVEAU À JONZAC. DANS MA MEMOIRE, IL ÉTAIT GRAND MAITRE INOUBLIABLE, TRÈS INTELLIGENTE ET SURTOUT GÉNEREUX. PLUS ANNÉES APRÉS SON DÉCÈS JE REGRET DE NE PLUS LE REVOIR - AU MOINS DANS CE MONDE. LA PLACE DE QUELQU'UN COMME GJEAN GLÉNISSON EST À COTÉ DE DIEU.
EDUARDO YÁZIGI, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE SÃO PAULO, BRÉSIL. edyaz@usp.br
São Paulo, le 3 Avril 2006.
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