samedi 2 octobre 2010

Éric Fottorino : «  Écrire,
c’est comme crier en silence  »


Son prochain roman se déroulera près de Royan...

Éric Fottorino porte un regard particulier sur les choses que seuls possèdent les êtres doués d’une grande sensibilité. Journaliste, ancien rédacteur en chef du Monde dont il préside le directoire, il suit l’actualité à la façon d’un voyageur qui verrait, sous ses yeux, défiler les facettes du temps. Il les commente sans complaisance, mais toujours avec réalisme. Et quand il ouvre sa plume, il devient cet écrivain attachant qui raconte l’histoire de son père adoptif, lui que le “socialement correct“ avait placé au rang d’enfant naturel. C’est en Charente-Maritime, à l’âge de 9 ans, qu’il a étrenné son nouveau nom, Fottorino. Quand cet être généreux a tiré un trait sur son existence, le fils n’a pu refouler les sentiments qui brûlaient son cœur. Un livre est né de cette reconnaissance publique, “l’homme qui m’aimait tout bas“ paru chez Gallimard. Il sera distingué par le grand prix de l’Académie de Saintonge dimanche 3 octobre.

L’œuvre d’Éric Fottorino est fournie. Il a publié plusieurs romans auxquels s’ajoutera, l’an prochain, une intrigue se déroulant du côté de Royan. Avec la précision d’un scanner, il analyse les sentiments du silence et les exhume au grand jour. Il habille les secrets de famille de feuilles délicatement tranchantes. Ils deviennent alors des miroirs sur lesquels les flèches de l’omerta se brisent. Mise au jour, cette sorte d’archéologie introspective suscite la réflexion et bouleverse ceux que la vie a placés dans une situation identique. En sort-on jamais indemne ?
Dans “Questions à mon père“, Éric Fottorino suit la route de vérité qu‘il a tracée, racontant ses retrouvailles avec son père biologique, l’obstétricien marocain Maurice Maman.
Cinq de ses ouvrages ont été distingués par des prix littéraires : Cœur d’Afrique, prix Americo Vespucci en 1998, Un territoire fragile, prix Europe 1 et prix des bibliothécaires en 2001, Caresse de rouge, Prix François Mauriac de l’Académie française en 2004, Korsakov, prix des libraires et prix France-télévision en 2004, Baisers de Cinéma, prix Femina en 2007. À cet éventail, il convient ajouter une ode inattendue au vélo "Petit éloge de la bicyclette".

Dimanche prochain, à Saintes, l’historien Jean Combes présentera Éric Fottorino lors de la cérémonie des prix : « Nous saluerons la qualité d’un livre qui illustre d’une manière si humaine les thèmes universels de la filiation et de l’adoption » souligne-t-il avec justesse.


Éric Fottorino a fait des études de droit et de sciences politiques. Entré au Monde en 1986, il en est devenu le directeur en mars 2006. Il préside actuellement le directoire du groupe La Vie-Le Monde après les démissions, en 2008, de Pierre Jeantet (dont le nom est intimement lié au groupe Sud Ouest) et Bruno Patino.

• Éric Fottorino répond à nos questions :


Dimanche, l’Académie de Saintonge vous décernera son grand prix pour “L’homme qui m’aimait tout bas“. Ce livre rend hommage à votre père. L’écriture de cette histoire, qui est d’abord la vôtre, découle-t-elle d’un projet longuement mûri ou, au contraire, est-ce une volonté spontanée de faire exister, aux yeux des lecteurs, cet être qui vous a tendu la main ?

J’ai écrit ce livre dans l’urgence causée par une douleur indicible, autrement que par l’écriture. Écrire, c’est comme crier en silence. Ce livre est un cri muet, des mots apprivoisés pour dire au mieux ce qui me reste de mon père au moment où sa réalité si présente est brutalement devenue du passé, plus rien que des souvenirs. J’ai voulu qu’il revive sous ma plume, le faire exister aux yeux de ceux qui l’avaient connu et aussi de tous ceux qui ne le connaissaient pas. Il n’avait rien d’académique, mais je suis certain qu’il aurait été ému de voir son histoire distinguée par des gens de lettres. Il avait un esprit aiguisé, incroyable de densité. Il savait trouver les mots et aussi les silences.

Vous avez passé une partie de votre jeunesse à La Rochelle. Y revenez-vous souvent ?

J’habite une maison à Esnandes, au Nord de La Rochelle, où je reviens le plus souvent possible en vacances. J’aime La Rochelle car c’est ici que j’ai éprouvé la plus forte sensation de liberté. C’est ici aussi que j’ai étrenné mon nom, Fottorino.

Dans ce livre, vous citez Emmanuel de Roux, journaliste au Monde, dont la famille est originaire de Chaniers, près de Saintes. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?

Emmanuel était un formidable compagnon, d’une culture étourdissante qu’il savait communiquer simplement, avec chaleur et générosité. J’avais encouragé sa traversée de la France le long de la Méridienne. Il en avait ramené de magnifiques reportages. Il était intarissable sur le sens des masques africains, sur l’architecture industrielle… et sur la folie française des ronds-points. Il avait aussi satisfait ma curiosité à propos de son grand frère, Dominique de Roux, une sorte de Tintin moderne qui avait créé les Cahiers de l’Herne.

Vous êtes à la fois journaliste et écrivain. Quand le journaliste est-il devenu écrivain ?

J’étais sans doute écrivain sans le savoir quand j’étais enfant et que je ressentais le temps passer sur moi, l’ennui, l’envie d’une autre vie. Cette sensation que le réel n’existait pas vraiment, ou qu’il ne suffisait pas, et que les histoires pouvaient me sauver.

Quels sont vos nouveaux projets littéraires ?

Avant la mort brutale de mon père, j’avais écrit un roman qui se passe vers Pontaillac et ses plages pendant l’été caniculaire de 1976. Deux enfants livrés à eux-mêmes et qui, presque malgré eux, pourraient devenir des enfants meurtriers… C’est une histoire racontée par un enfant de douze ans, avec ses mots à lui et ses révoltes face aux petites ou grandes lâchetés des adultes. Le roman s’appelle “Le dos crawlé“, référence à cette nage dont on ne sait jamais bien où elle nous mène, mais qui permet de regarder le ciel. Je le publierai probablement à l’automne 2011.

Propos recueillis par Nicole Bertin

Photo Gallimard

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