Depuis quelques semaines, une véritable guerre oppose Saintongeais et Poitevins quant au patois. En effet, certains responsables habitant la région de Poitiers veulent associer les parlers poitevin et saintongeais tandis que les Saintongeais, par la voie de Maryse Guédeau entre autres, crient leur indépendance. Dans le commentaire qui suit, James Poirier apporte un témoignage fort intéressant :
• Jh'avons nout' parlouère, jh'zou disons coum' ol est.
Le mal court depuis quelques décennies, par épisodes, façon grippe aviaire.
Déjà, dans les mêmes colonnes du journal la Haute Saintonge, en 1997 et en 2004, je stigmatisais l'inconsistance des tentatives de quelques prétendus spécialistes pour amalgamer deux parlers (le saintongeais, d'une part, et le poitevin d'autre part) en une sorte d'esperanto du Poitou artificiellement baptisé « poitevin-saintongeais ».
Parmi ces esprits besogneux, ardents édificateurs d'un volapük du bocage, on trouvait une association (l'UPCP) et les auteurs d'une Grammaire du poitevin-saintongeais (Michel Gautier - Geste Editions, 1993), d'un Dictionnaire de poitevin-saintongeais (Vianney Piveteau, Geste Editions 1996) et d'un Parlanjhe de Poitou-Charentes-Vendée en 30 questions (Liliane Jagueneau, Geste Editions 1999).
Ce que je conteste dans ces ouvrages c'est moins le contenu que l'étiquette mensongère. En effet, ces documents rassemblent des connaissances propres à leurs auteurs, et donc décrivent une réalité linguistique qui est surtout poitevine, le vocable « saintongeais » n'étant qu'artificiellement rajouté sur le titre pour faire vendre du papier.
Comme le « poitevin-saintongeais » n'a jamais existé en tant que langue parlée, les auteurs -apparemment avides d'une diffusion plus large que leur canton de naissance - ont essayé, sur le modèle de l'espéranto, de rassembler une sorte de pot-pourri linguistique, selon la recette du pâté d'alouette et de cheval : 95% de poitevin et 5% de saintongeais. Cette proportion n'étonnera personne car chacun ne peut parler que de ce qu'il connaît. Peu glorieuse, l'affaire aurait pu en rester là, cantonnée dans le microcosme d'un éditeur plus attentif à ses ventes qu'à la promotion du parler saintongeais. Mais, en devenant nationale, l'affaire nous porte directement atteinte.
La négation concertée d'une identité linguistique
En effet, non contents de propager une idée fausse sous un vocable racoleur, les tenants du « poitevin-saintongeais » n'ont rien trouvé de mieux que de jouer des coudes jusqu'à faire radier le saintongeais de la liste des « langues de France » périodiquement publiée par la Délégation Générale de Langue Française (la DGLF) pour lui substituer, en janvier 2010, une langue qui n'a jamais existé : le poitevin-saintongeais.
On s'éloigne ici du bidouillage ordinaire d'un éditeur du Gâtinais ; nous sommes maintenant dans l'usurpation et dans la négation d'une identité linguistique.
La langue saintongeaise vient de si loin, et elle nous est si proche, que nul ne peut, du jour au lendemain, l'affubler de sobriquets sans que nous ne réagissions.
Et l'un des sobriquets les plus ridicules qu'on ait pu lui trouver est bien celui de « poitevin-saintongeais » ! A en croire les auteurs de ce pâle néologisme prétendument universitaire, notre parler aurait donc un frère siamois, un double indissociable, une sorte de cousin pot-de-colle qui l'empêcherait d'exister par lui-même.
A son insu, le parler saintongeais aurait reçu une picto-transfusion sans laquelle il n'aurait pas survécu aux yeux de la DGLF. Tout cela est à la fois dérisoire et consternant.
Déjà, l'invention du mot-valise « Poitou-Charentes » en 1969 n'allait pas de soi, d'autant que cette nouvelle entité politique excluait la Vendée, au moins aussi proche parente de la Saintonge que le Poitou. En quarante ans, nous nous sommes quelque peu habitués à cet assemblage lexical un peu boiteux. De là à vouloir distordre la réalité linguistique de chaque territoire en la calquant - j'allais dire bêtement - sur le nouveau vocable régional, il y avait un pas que seuls de petits jacobins de province, guidés par d'obscurs intérêts, ont osé franchir, aveuglément suivis dans cette erreur par la DGLF.
Quelqu'un en France parle-t-il le midi-pyrénéen ? ou le roussillo-languedocien ? A-t-on vu discourir en basco-béarnais ou en corso-ligure ? Et, plus près de nous, qui peut se vanter d'avoir un jour parlé ou entendu du « poitevin-saintongeais » ? Peursoune.
Cela fait penser au Piémont-Sardaigne, à la Tchéquo-Slovaquie, ou à l'Autriche-Hongrie dont l'existence éphémère, mais bien réelle, n'a jamais conduit un souverain ou un dictateur de ces contrées à décréter l'existence une langue sardo-piémontaise, tchéquo-slovaque ou austro-magyar. L'histoire nous montre que l'on peut à l'infini amalgamer des territoires, unifier des empires, débaptiser des provinces ou des villes : cela dure ce que durent les régimes politiques, c'est à dire un temps. En revanche, les langues réellement parlées par les gens ont toujours traversé à longueur de siècles ces péripéties, ignorant les étiquettes provisoires car, sur les langues elles-mêmes, la politique n'a guère de prise. Ce n'est donc pas une petite décision de fonctionnaires parisiens mal informés qui va changer, en Saintonge, le cours des choses.
Une atteinte à la dignité du parler poitevin autant que du saintongeais
La langue que chacun choisit pour s'exprimer ne se décrète pas, elle se constate.
(Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas des politiques linguistiques sur le long terme, mais nous parlons d'autre chose.) Nous parlons de ceux qui s'amusent dans leur coin à débaptiser une langue du jour au lendemain, en lui collant artificiellement un surnom de récréation. Débaptiser est le premier des outrages. Ce serait comique si ce n'était une atteinte à la dignité de deux groupes linguistiques : le saintongeais et le poitevin.
Car, bien évidemment, les locuteurs poitevins n'y sont pour rien. Eux-mêmes doivent trouver singulier d'avoir à traîner l'appendice « saintongeais » chaque fois qu'ils voudraient désigner leur propre parler. Par la vertu d'une manipulation de couloir, voilà que, eux aussi, perdraient le droit de parler poitevin tout court ? Laissez nous rire !
Le débat n'est même pas scientifique
La qualification de tel ou tel linguiste, par ailleurs spécialiste de langues orientales, n'est même pas en cause, car le débat n'est pas scientifique. On peut parfaitement mettre au service du saintongeais, du poitevin, et d'une série d'autres langues ou dialectes, une méthodologie rigoureuse, saussurienne ou chomskyenne, sans empiéter sur le domaine politique. Or, parler de « poitevin-saintongeais » c'est définir un objet d'étude sur la base d'une frontière politique (la région Poitou-Charentes) et non sur la base d'une unité linguistique objectivement constatée. Il y a donc ici, pour le moins, une faille déontologique suivie d'une sotte erreur administrative.
Rien n'interdit, en effet, de constituer de proche en proche des groupes de langues voisines partageant un certain nombre de traits communs (phonologiques, morphologiques, syntaxiques ou lexicaux). L'un de ces groupes pourrait effectivement englober les langues d'oïl atlantiques (vendéen, saintongeais, gâtinais, poitevin, québécois) en dégageant de manière synthétique leurs seuls traits communs. C'est un travail classique, bien que réducteur. Ce faisant, un linguiste honnête et rigoureux n'enlève rien au génie propre de chaque langue ou de chaque dialecte, et ne prétend pas davantage assimiler une langue à sa voisine. Il en retire le plaisir intellectuel d'une classification ordonnée qui ne peut qu'enrichir, par comparaison, la description de chaque système particulier.
Il est facile d'influencer des décideurs qui n'y connaissent rien
Telle n'a pas été l'option de cette poignée de soi disant linguistes introduits (ou égarés) dans les antichambres du Conseil Régional, de la DGLF, et de telle ou telle maison d'édition. Etudier est une chose, manipuler la connaissance en est une autre. Car il est facile d'apporter aux décideurs qui n'y connaissent rien une caution d'expert. Or, le propre de l'expert c'est d'être insoupçonnable, c'est à dire désintéressé. Et ce n'est pas à la DGLF de fixer par avance un nombre limité de « langues de France » à retenir. Ou bien, cette institution s'acquitte d'un recensement honnête et exhaustif, ou bien elle renonce purement et simplement à inventorier le patrimoine linguistique français. Dans ce patrimoine dont nous sommes à la fois les dépositaires et les témoins, il n'y a pas, il n'y a jamais eu, de « saintongeais-poitevin », ni de « poitevin-saintongeais ».
Nous sommes des locuteurs saintongeais et, pour certains d'entre nous, des linguistes avertis. Les errements de la DGLF inspirés par de faux experts ne nous intimident pas.
Nous les rejetons avec indignation et, en même temps, nous les considérons comme nuls et non avenus. Nous ne sommes pas et nous ne serons jamais des malgré-nous du poitevin-saintongeais. Ol est reun de zou dire.
On pardonnerait à l'ignorance, s'il ne s'agissait que de méconnaissance de notre parler de Saintonge. Après tout, il n'est pas si loin le temps où l'on considérait le charentais comme du français mal parlé, voire comme une langue mal décrottée. Et les mêmes ignorants mettaient bien le poitevin dans le même sac de leur mépris.
Mais que, parée de l'autorité d'une institution républicaine, la DGLF vienne nous octroyer du haut de la nation, et en des termes erronés, l'onction d'un classement au patrimoine culturel de la France sous le nom de « poitevin-saintongeais » , est pour nous la marque de l'impéritie drapée dans la pourpre de la sottise.
A ce niveau-là, on s'informe ; ou alors on court se cacher.
Dans un creux de gueurlet, de préférence.
James Poirier
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