mardi 18 juin 2019

Antoine de Saint-Exupéry, le père du "Petit Prince", est passé par Jonzac durant la Seconde Guerre Mondiale

Lundi 17 juin, les dix ans de la fondation Saint-Exupéry célébrés à l'aéroclub de Jonzac en présence d'Eric Moreau, ambassadeur régional de la Fondation Antoine de Saint-Exupéry pour la jeunesse, Claude Belot, maire de Jonzac et Daniel Roturier, responsable des BIA (représentant Pascal Roth, président de l'aéroclub de Haute-Saintonge), ont été l'occasion de rappeler le passage d'Antoine de Saint-Exupéry à Jonzac en juin 1940. Retour sur cet événement au cœur de l'une des périodes les plus difficiles de l'histoire contemporaine... 

Jonzac rend hommage à Antoine de Saint-Exupéry (sur cette photo, les BIA 
et les Petits Princes 2019)
Plaque posée par la Ville en 1994 à l'aérodrome de Jonzac à l'initiative 
d'Alain Perrier et ses amis pilotes
Jonzac : Antoine de Saint-Exupéry s'est-il arrêté au 29 de la rue Ruibet Gatineau chez M. Lefèvre ?

Lors de son passage à Jonzac en juin 1940 (deux nuits seulement), Antoine de Saint-Exupéry aurait été accueilli dans la maison d’Alma et Lucie Lefèvre, au 29 de la rue Ruibet Gatineau (ancienne rue de la Corderie). Aucun document officiel, ni coupure de presse ne mentionne toutefois cet événement. On a longtemps cru qu’il avait séjourné chez M. Baudoux. Située près du Pont de Pierre, l’actuelle propriété de M. et Mme  Pitaud aurait reçu en réalité des mécaniciens, accompagnant celui qui allait écrire "Le Petit Prince"…

Les faits remontent à la Seconde Guerre mondiale et le héros s’appelle Antoine de Saint-Exupéry, l’un des pionniers de l’Aéropostale, qui s’illustra dans la littérature. Hasard de l'histoire, il s'est arrêté à Jonzac en juin 1940. Où a-t-il été accueilli ? Voilà bien la question !

C'est dans cette maison de Jonzac que Saint Exupéry 
aurait passé deux nuits

Plusieurs Jonzacais "passionnés" ont travaillé sur le sujet, dont Raymond Ravet, le père de Pierre-Jean, Alain Perrier, pilote averti de l’aéro-club, et l'historien James Pitaud.
Ce chercheur a abandonné sa période préférée (le XIXe  siècle) pour se pencher sur le XXe. Et pour cause, la maison où il habite (qui était celle de la famille de sa femme, Mlle  Baudoux) aurait reçu des techniciens qui accompagnaient Saint-Exupéry. « Nous sommes le 17 juin 1940. Pétain vient de demander l’armistice. C’est la capitulation. Certains Français réagissent et veulent organiser une résistance à partir de l’Afrique du Nord  » explique James Pitaud. C’est dans ce sombre contexte qu’arrivent à Jonzac militaires et pilotes : «  Nous avons la preuve que Saint-Exupéry a dormi deux nuits en ville. Les responsables communaux cherchaient une maison confortable dotée d’une salle de bains. Le choix s’est porté sur celle de M. Lefèvre, au 29 de la rue Ruibert Gatineau, qu’occupe actuellement Mireille Debriat. M.  Lefèvre possédait le garage Ford, non loin de l’actuel magasin Chartier ».

Le glorieux temps d l'Aéropostale !

Dans un courrier, le général Gavoille mentionne avoir reçu le 17 juin, de la mairie, des billets de logement : « Le soir, Alias, Gelée et Saint-Exupéry furent accompagnés chez leurs logeurs ». Le maire de la ville était alors James Sclafer (qui fut ensuite "remercié" par Pétain).

Saint-Exupéry n'a fait que passer par Jonzac «  une ville sympathique qu’il aurait préféré visiter dans d’autres conditions  ». Quelques mécaniciens déjeunèrent, quant à eux, dans le jardin de la famille Baudoux : «  je les revois assis autour d’une table, en bord de Seugne. Ils sont restés peu de temps. L’un d’eux, qui travaillait dans le civil chez Renault, avait une cousine à Jonzac. C’est pourquoi il s’y était arrêté. Je me rappelle aussi des soldats qui lavaient leur linge dans le lavoir, en contrebas. Il a été détruit depuis. Le portail était toujours ouvert ! Des réfugiés français et belges affluaient de toutes parts  » se souvient Mme  Pitaud. En effet, c’était la débâcle et les gens fuyaient sur les routes, ne sachant où aller…

Parmi les témoignages, Louis Pariès, de Saint-Martial de Vitaterne, a évoqué le jour où les équipages, venant de Châteauroux, sont arrivés à Jonzac, avant de rejoindre Bordeaux : « Il y avait beaucoup de bruit sur l’aérodrome de la Grand Vau. Je suis allé voir. L’armée avait réquisitionné 150 hectares et le terrain servait de base et de secours  ».

Curtis Cate confirme la venue de Saint-Exupéry à Jonzac

Dans la biographie qu’il a consacrée à Saint-Exupéry, publiée en 1973, Curtis Cate, journaliste et écrivain d’origine américaine, évoque son passage à Jonzac. Face à l’occupant, les patriotes (les vrais, pas ceux de la dernière heure !) s’organisaient avec les moyens du bord.

• Extraits : «  En tant que commandant de groupement, Alias était le plus élevé en grade de tous les officiers commandant une unité opérationnelle, ce qui voulait dire qu’en temps de crise, il était l’autorité suprême à Châteauroux. Le 16  juin, on rechargea les camions, qui partirent pour Bordeaux. Ils devaient, de là, s’embarquer pour Casablanca. Les avions avaient ordre de décoller le lendemain matin pour le terrain de Jonzac. Un dernier vol rasant fut effectué le 18  juin, et quand le Potez troué de toutes parts atterrit à Royan après s’être perdu en route, le pilote et l’observateur informèrent les gros bonnets et les “feuilles de chêne“, installés confortablement à Bordeaux, que les Allemands avaient atteint la Loire. La vraie guerre se déroulait d’une façon plus macabre, mais tout aussi absurde que la drôle de guerre qui l’avait précédée !

Nombreux s'interrogent, dans la presse, sur cette guerre sanglante, 
dont Saint-Exupéry

Après son arrivée à Jonzac, Alias envoya Saint-Exupéry et une demi-douzaine d’autres pilotes jusqu’à Bordeaux pour y faire réparer plusieurs Bloch à l’usine de construction de l’appareil, près de l’aérodrome de Mérignac. Bien que n’ayant subi aucun bombardement, la confusion qui régnait sur ce terrain surpassait la pagaille de Châteauroux. 
Le général Spears, que Saint-Exupéry avait souvent rencontré à Chitré, chez sa cousine Yvonne de Lestrange et qui s’était envolé, la veille, avec de Gaulle à bord, racontera : «  L’aérodrome était couvert d’appareils, plus qu’il ne m’a jamais été donné d’en voir réunis. Ils attendaient aile contre aile, à perte de vue  ». Romain Gary, qui faillit y trouver la mort, décrivit ce chaos dans "la Promesse de l'Aube". C’était, disait-il, chacun pour soi. Sans attendre qu’on le leur propose, les aviateurs du groupe 11/33 s’emparèrent d’un bimoteur Goéland et d’un quadrimoteur de Havilland, qui avait perdu son équipage anglais… 
Après avoir chargé l’avion de toutes les pièces détachées qu’ils purent trouver, Hochedé décolla à bord du Goéland, tandis que Pierre Lacordaire, le partenaire favori de Saint-Exupéry aux échecs, repartait vers Jonzac avec le Havilland, dont les commandes lui étaient mal connues. Entre-temps, le sort du groupe de reconnaissance 11/33 avait été décidé. Il devait gagner l’Afrique du Nord. 
Résolu à partir avec le maximum d’avions, Alias divisa son groupe en deux sections. La plus importante, dont il prit lui-même la tête, s’envola de Jonzac le 19  juin à l’aube, se dirigeant d’abord sur Perpignan, puis sur Alger. Tous les appareils étaient bourrés de pièces de rechange. Le Goéland de Hochedé était tellement surchargé qu’il lui fallut faire appel à toute sa maîtrise pour l’arracher du sol.
L’autre section, sous les ordres du commandant en second, le capitaine Olivier Pénicault, comprenait Saint-Exupéry et trois autres pilotes, un certain nombre d’observateurs, d’opérateurs radio, de mitrailleurs et de mécaniciens. Ils se rendirent à Bordeaux par la route pour prendre livraison des Bloch en réparation et de tous ceux qu’ils pourraient sortir de l’usine  »… 

Antoine de Saint-Exupéry, talentueux et courageux (© archives)

On proposa à Saint-Exupéry un quadrimoteur Farman, capable de transporter quarante passagers. C’est à son bord qu’il rejoignit Alger, via Perpignan, transportant matériel, personnel et des civils, dont Suzanne Torrès, l’épouse du député. En Afrique du Nord, la déconvenue fit place à l’espérance : «  nous nous trouvons gardés par des sentinelles, nos réservistes de l’Armée de l’Air démobilisés ». Saint-Exupéry repartit en France avant de gagner les États-Unis…

En 1994, l’aéroclub de Jonzac, présidé par M. Vivier, a rendu hommage à Saint-Exupery, disparu trop tôt au large de la Corse le 31  juillet 1944.
Alain Perrier se souvient de l’instant émouvant où la plaque a été dévoilée. Le Colonel Bernard Vezinhet rappela «  l’attachement de l’Armée de l’Air au modèle que représente Saint-Exupéry » tandis que Claude Belot se projeta dans le temps, imaginant « Saint-Exupéry errant dans les rues de Jonzac et pensant au devenir de la France »…

Photo d'archives. La famille de Saint-Exupéry était apparentée aux Lestrange, comme le soulignait Raymond de Lestrange, demeurant à Bois, près de Saint-Genis (Charente-Maritime) : «  La mère d’Antoine était la nièce de Gabrielle de Lestrange, épouse du Comte de Tricaud. Mon père et Antoine se connaissaient bien  ». Antoine de Saint-Exupéry a passé une partie de sa jeunesse au château de la Môle, près de Saint-Tropez, propriété des Fonscolombe.


• À Jonzac avant le départ pour l’Afrique du Nord, le 17 juin 1940. De gauche à droite : Hochedé, Lacordaire, Alias, Pénicaut, Chéry, Cazenave, Gavoille, Gelée, Coulomb. Cette photo est la seule que l’on possède sur le passage des militaires proches de Saint-Exupéry à Jonzac. Malheureusement, lui-même n’est pas sur le cliché. 

L’un des écrits du Général Gavoille rend compte de la venue de Saint-Exupéry à Jonzac : 

« Venant de Châteauroux, nous atterrissons le 17 juin dans l’après-midi à Jonzac. Le 18, je m’occupe du premier échelon roulant à bord du Massilia. Récupérons à Bordeaux un Goéland et deux quadrimoteurs. Le 19, nous décollons de Jonzac pour Perpignan. Le deuxième échelon volant partira avec Saint-Exupéry pour rejoindre Alger le 22  juin ».

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