dimanche 17 décembre 2017

Jonzac : Que sont devenues les reliques d’Anthème massacré par les Sarrazins aux rochers de Cordie ?

Amusante coïncidence, Monseigneur Colomb, évêque de la Rochelle et Saintes est né à Saint-Anthème dans le Puy-de-Dôme. Samedi soir, lors de l’office célébré en l’église de Jonzac, l’abbé Jacques Genêt a rappelé l'importance de Saint-Anthème pour les Jonzacais…

L'église Saint Gervais où reposeraient les reliques de Saint-Anthème (© Nicole Bertin)
Une énigme subsiste dans la capitale de la Haute-Saintonge : nul ne sait ce qu’est devenu le sarcophage de Saint-Anthème qui se trouvait, disent les chroniques, derrière le maître-autel de l’église Saint Gervais...

Monseigneur Colomb est né à Saint-Anthème dans le Puy de Dôme. Coïncidence, Jonzac vénère également Saint-Anthème, évêque à l'époque de Charles Martel 
et tué aux Rochers de Cordie à Marignac
De nos jours, la disparition de reliques, datant d’une époque fort reculée, peut faire sourire. Pourtant, il semble intéressant de jouer les détectives ! Les études se rapportant à la région - dont l’excellent livre « Jonzac, un millénaire d’histoire » écrit entre autres par Jean Glénisson, Marc Seguin et Francette Joanne - mentionnent Anthème, saint protecteur de Jonzac depuis des siècles, qui aurait été massacré par les Musulmans à Marignac au VIIIe siècle. Marc Seguin souligne son évidente popularité : « dans des documents du XVe, XVIe siècles que j’étudie, de nombreux Jonzacais s’appellent Anthème. Ce prénom était très répandu dans la ville et seulement en ce lieu ». On prétend même qu’une personnalité fort appréciée a failli porter ce prénom. Ses parents préférèrent l’appeler Jean (Glénisson)…

Qui était donc ce fameux Anthème ? L’archiprêtre de Jonzac, Camille Fouché dans son étude « Jonzac, son église, son château » conte la vie de ce personnage, « victime de son zèle apostolique ».
Anthème, évêque de Poitiers, était le chapelain de Charles Martel. Lors de l’expédition contre les Sarrasins d’Espagne, celui-ci le prit dans son armée. Le but de la manœuvre était d’arrêter les hommes d’Abdérame qui se dirigeaient vers notre région « si fertile et si riche », après avoir envahi le Midi. Les déprédations commises sur leur passage laissaient dans les cœurs « une haine et une vengeance faciles à comprendre » .
Charles Martel et le duc Eudes qu’Aquitaine les arrêtèrent non loin de Poitiers, en 732. Vainqueur, Charles Martel retourna à Paris et demanda à Anthème de rester sur place. Son protégé, pensait-il, « apporterait une influence qui tournerait au profit de la politique franque ». L’homme avait le sens des réalités.
Or, tous les Maures n’avaient pas trouvé la mort dans la bataille. Certains s’étaient établis en France, d’autres s’étaient enfuis, avaient été faits prisonniers ou étaient devenus esclaves. Les Chrétiens, voulant les chasser, leur menèrent la vie dure. Anthème vit d’une mauvais œil cette répression excessive : « ils devaient, au contraire, montrer aux disciples de Mahomet toute la beauté et la grandeur du christianisme ». Pour l’Evêque, une solution s’imposait : se faire missionnaire et convertir les infidèles.
Avec quelques compagnons, il se mit en route pour la Saintonge. Les débuts furent « heureux », rapporte C. Fouché. Les auditeurs musulmans qui l’écoutaient avec attention lui firent croire que son message était entendu : « Ce n’était qu’un piège. Les perfides ennemis, le voyant sans défense, résolurent de le mettre à mort. Ils l’attirèrent, le saisirent et lui tranchèrent la tête. Ainsi, au cœur de la Saintonge, Anthème et ses amis cueillirent la palme du martyr ».
Anthème fut enterré sur le rocher de Cordie où, bientôt, s’opérèrent des miracles. La sépulture devint l’objet d‘une vénération telle que Charlemagne en personne décida, en 779, de placer les restes d’Anthème dans l’église de Jonzac. Avec la bénédiction d’une assemblée d’évêques réunis en concile. Ils furent déposés dans un « précieux sarcophage » installé derrière le maître autel, sur quatre colonnes.
Depuis, les reliques ont disparu... Sont-elles enfouies dans les profondeurs du sol (elles seraient alors sous l’édifice actuel) ? Ont-elles été la cible des Normands lors des invasions ? Ou bien dispersées par les Protestants durant les guerres de religion ? Des fidèles les auraient-ils protégées ? « Mystère » conclut C. Fouché, curé de Jonzac au début du XXe siècle. A ce jour, aucun éclaircissement n’a été apporté et le mystère demeure...


Bataille de Poitiers, tableau de Charles de Steuben (1837)
• Plusieurs versions

La légende de Saint-Anthème a été relatée dans la Chronique de Turpin, datée du xiie siècle, qui relate les hauts faits de guerre de Charlemagne en France et en Espagne. Charlemagne aurait fait à Anthème « une sépulture honorable taillée profondément dans le roc vif, derrière le maître-autel de l’église de Jonzac » (nul ne connaît l’emplacement de cet autel). Pour sa part, Saussay estime qu’Anthème a trouvé la mort en Espagne. Charlemagne aurait ramené son corps à Jonzac (pourquoi ce bourg plutôt qu’un autre ?). Un autre historien, Depoin, émet une troisième hypothèse : Anthème aurait résidé à Saintes où il aurait été tué par les Maures lors de l’attaque de la ville. Son corps et ceux de ses compagnons auraient été précipités dans le lac qui se serait trouvé sous l’actuelle église Saint-Pierre. Dans ce cas-là, pourquoi l’avoir ramené à Jonzac s’il n’avait aucun lien avec cette ville ?...

Sur le parvis de l'église de Jonzac, de nombreux sarcophages ont été trouvés datant de différentes époques (mais pas celui de Saint-Anthème !). Des versions racontent que Charlemagne serait venu à Jonzac lors de ses campagnes d’Aquitaine contre les Sarrazins vers l’an 812 : « ses hommes auraient tué de nombreux Sarrazins à Montguimar qui s’appelle aujourd’hui Jonzac, mais ils furent massacrés à Balaguier qui est de l’autre côté »
• Où est la vérité ?

“Le Pseudo Turpin“ sert de référence à la présence de Saint-Anthème à Jonzac. Or, il s’agirait d’une fausse chronique historique rédigée au XIIe siècle par l’évêque de Compostelle, le pape Calixte II, et l’abbé de Saint-Denis qui obéissaient aux ordres des rois de Castille et de France, Alphonse VII et Louis VI. De l’importance du récit historique, dépendait l’impact auprès des fidèles et des sujets. Pour donner une valeur à un lieu de culte, rien de mieux que de constituer une légende  ! Il est possible qu’au Moyen Âge, cette fameuse légende ait été exploitée afin d’implanter un lieu de pèlerinage fréquenté à Jonzac, en hommage au malheureux et finalement bienheureux Anthème. Crédules, les croyants n’ont jamais vérifié si les reliques étaient bien les siennes...

L'église telle que nous la connaissons aujourd'hui a été totalement restaurée au XIXe siècle
• Les transformations de l’église au XIXe siècle

D’après l’archiprêtre Fouché, les premiers habitants de Jonzac s’établirent sur la colline de Montguimar qui correspond à l’actuelle place de l’église (l’autre butte, Ballaguier, étant la place du château). « Ce lieu convenait à merveille pour une station militaire, un rocher facile à défendre et, en bas, un cours d’eau suffisant pour satisfaire aux besoins de la vie ». Selon toute vraisemblance, un temple, édifié par les Gallo-romains, précéda une chapelle construite quand le culte du christianisme s’étendit sur le territoire. Au VIIIe siècle, cet édifice devait offrir de belles proportions puisqu’on parle de « basilique ». C’est là que furent déposées les reliques de Saint-Anthème « massacré en haine de la foi à Cordie ». Jonzac appartenait alors à un fief donné par Charlemagne à l’Abbaye de Saint-Germain des Prés.

Sur les ruines de ce monument, une église romane fut bâtie au XIIe siècle. En raison du manque d’espace, elle fut agrandie au XVe siècle (bas-côtés). Les choses se compliquèrent avec les Guerres de Religion. C. Fouché s’en prend à Agrippa d’Aubigné, le réformé. Il se serait vanté « d’y avoir passé au fil de l’épée tous les habitants qui n’avaient pas pu se réfugier dans le château ». Ces écrits semblent erronés. Si combat il y a eu, il se serait déroulé en avril ou mai 1570 et n’aurait fait aucune victime. L’église, quant à elle, avait été saccagée deux ans plus tôt, à l’automne 1568. Les Protestants vainqueurs abattirent les voûtes, selon une technique décrite par l’historien Marc Seguin : le patrimoine religieux haut-saintongeais, à quelques exceptions près, a largement souffert de ces destructions. Dans les campagnes, certains édifices ne présentent plus aucun intérêt architectural en raison de ces “agressions” commises au nom de Dieu le père...

Plus tard, la Révolution poursuivit cette œuvre des destruction en décapitant les statues. A Jonzac, la pierre ne fut pas la seule à subir le courroux de certains « extrémistes » :  cinq habitants furent guillotinés dont le pauvre prieur, Simon Pierre de Ribeyreys « lâchement dénoncé par deux misérables, Messin, un des confrères de Ribeyreys et Pare nteau, son sacristain. Il faut les désigner à la réprobation publique » dénonce C. Fouché dont on sent l’indignation.
Successivement vicaire de Chaniers et de Jonzac, Messin était curé « intrus » de Réaux et Meux, au traitement de 1200 livres, quand éclatèrent les événements. Sa vie, pleine de rebondissements, fut un véritable « roman ». Il habita l’une des maisons de l’actuelle Place de la République (en cours de restauration, dans l’angle) et la Cheminaderie à Saint-Martial de Vitaterne, actuelle propriété du maire de Jonzac, Claude Belot.

Outre les offices, l'église Saint-Gervais accueille de nombreuses manifestations
 Revenons à notre église. Au début du XIXe siècle, les voûtes détruites furent remplacées par un tillis en bois qui menaçait ruine : « une réparation considérable s’imposait ». Le devis de l’architecte, présenté en 1817, s’élevait à 8.462 francs. La somme était importante pour l’époque. Rien ne bougea jusqu’en 1821 où un impôt extraordinaire fut voté pour le paiement de M. Rousselet, entrepreneur. En 1825, l’idée de la construction d’un clocher fut rejetée par le conseil municipal. En 1844 , la commune, héritant de 10.000 francs du legs Pelligneau, décida que le clocher serait bâti et l’édifice réparé. Enfin ! Les travaux furent confiés à M. Fontborde, architecte à Rochefort, qui présenta un devis de 59.150 francs. Les voies du Seigneur sont impénétrables et fort élevées en certaines occasions. Ennuyés, les élus lui demandèrent de baisser ses prix. Les deux parties parvinrent à un accord. La commune s’engagea : outre ses fonds propres, elle contracta un emprunt de 36.000 F, demanda 10.000 F à la Fabrique et 1000 F au Gouvernement. Au total, l’enveloppe atteignait 78.000 F. De quoi s’engager sans arrière pensée. En 1849, l’église retrouva une nouvelle apparence. Certes, elle conservait peu d’éléments de son architecture passée, mais elle ne présentait plus aucun danger pour les paroissiens.
Consciencieux, l’architecte respecta son devis et des travaux supplémentaires furent exécutés, dont la réparati on du chœur, du mur du fond et de la façade. Mieux : la commune restitua 1.000 F à la Fabrique et lui demanda de l’aider à acheter un maître-autel.
Les patrons de l’église de Jonzac sont Saint-Gervais et Saint-Protais, martyrs du 1er siècle à Milan, en Italie, ville où ils sont très vénérés par les croyants.

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