dimanche 22 mars 2009

Aurore Buil : « Certains commentaires d’internet m’ont profondément choquée »…


Le 8 mai prochain, à Saint-Aigulin, Hervé Morin, Ministre de la Défense, rendra hommage à Damien Buil, soldat mort pour la France en Afghanistan. Huit mois après le drame, nous avons rencontré ses parents et son épouse Aurore. Un petit garçon, Ethan, est né en décembre dernier. La vie a repris son cours, mais leur vie ne sera jamais plus comme avant...

Au détour d’un sentier, la maison se dresse au milieu des pinèdes. A la Genétouze, vingt kilomètres séparent les hameaux les plus éloignés, dit-on. C’est dans cet environnement boisé qu’a grandi Damien Buil, dont le nom a fait tristement la une de l’actualité, en août dernier.
Avec neuf camarades, il a été tué en Afghanistan, cible des Talibans qui les attendaient en haut d’un col. Si loin de la mère patrie. Une fin qu’on prend en pleine figure, en pleine jeunesse alors que le livre de la vie n’en est qu’à ses premiers chapitres...

Brutale, la mort des militaires du 8e RPIMa de Castres a immédiatement soulevé la question de l’engagement des forces françaises dans ces contrées lointaines que les Français découvrent par la télévision. Dans la région, bien peu connaissent l’Afghanistan, si ce n’est le député Jean-Claude Beaulieu, colonel de réserve, qui accomplit chaque année des missions humanitaires.

Par la force des événements, Chantal et Jean-François Buil, les parents de Damien, y ont accompagné Hervé Morin, ministre de la Défense. Aux Invalides, lors des funérailles, Nicolas Sarkozy avait proposé aux familles de se rendre là où leurs enfants étaient tombés au champ d’honneur. Ils sont restés deux jours « dans cet autre monde », la peine au cœur, les idées en lambeaux.

Ils se souviennent des moindres détails de ce voyage : « Est-ce qu’on peut parler de champ d’honneur quand on est victime d’un traquenard au bout d’une piste sinueuse ? » s’interroge Jean-François qui se demande pourquoi les éclaireurs ont continué à monter cette route escarpée alors que leur objectif était de récupérer un interprète. De là à penser qu’on les a envoyés au casse-pipe, il n’y a qu’un silence : « Mon fils a été touché au ventre. S’il avait été protégé, il aurait peut-être survécu. Après cet accident, les autres militaires ont reçu du matériel. Je pense qu’il faudrait améliorer les moyens dont ils disposent. A quoi sert d’envoyer des missions si les hommes ne sont pas assez équipés ? ».

En Afghanistan, Chantal et Jean-François ont pris conscience de la guerre. Ils étaient munis d’un gilet pare-balles et les déplacements du groupe étaient fractionnés afin de ne pas attirer l’attention : « Nous étions perdus. En France, on a du mal à imaginer la situation. Damien me disait toujours qu’il fallait composer avec la population afghane, contrairement aux Américains qui bombardent d’abord et discutent ensuite... Nous sommes heureux d’avoir été là-bas, de voir ce qu’a vu notre fils ».

S’ils ont reçu des réponses à leurs questions, la blessure ne s’effacera jamais. Le couple a d’ailleurs déchiré sa carte d’électeur et espère que « Nicolas Sarkozy sortira les troupes tricolores de ce bourbier ».

Quelles que soient les guerres, les deuils se ressemblent

Enceinte, Aurore, l’épouse de Damien, n’est pas allée en Afghanistan. « Damien savait qu’il y avait de risques, mais il ne pensait pas y laisser la vie. Qu’il serait blessé, peut-être. Il avait confiance en l’armée » dit-elle avec émotion.
Elle l’a rencontré à Angoulême, quand ils faisaient leurs études. Attirés l’un par l’autre, ils ne se sont plus quittés.

Sportif, volontaire (il pratiquait le football), Damien est entré dans l’armée. Cet engagement l’a conduit dans de nombreux pays dont le Gabon, la Nouvelle-Calédonie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire. « Il partait cinq ou six mois par an. Notre union a été célébrée en juin 2003, avant notre départ à la Réunion » remarque Aurore qui ne dormait pas toujours sur ses deux oreilles. Elle a vraiment eu peur quand il était au Kosovo : « avant notre mariage, j’ai été sans nouvelles de lui pendant un mois. J’en étais malade ».

Au fil du temps, la famille s’est agrandie avec l’arrivée de la petite Lilou, bientôt suivie par un garçon. Damien voulait l’appeler Ethan, comme l’acteur américain. Aurore aurait préféré un autre prénom !

Les dieux sont-ils jaloux du bonheur des hommes ? Damien s’en est allé avant la naissance de son fils, « victime d’un conflit qui n’est pas sans rappeler l’Algérie » souligne son père.
Aurore a beaucoup pleuré cette absence si lourde à porter. Parmi les lettres qu’elle a reçues, une femme de 86 ans a vécu la perte de son conjoint, comme elle. Quelles que soient les guerres, les deuils se ressemblent et la perte d’un être cher est douloureuse. Un grand-père de 82 ans l’a pareillement réconfortée et soutenue.

Malgré ces nombreux courriers, Aurore reste blessée par les critiques qu’elle a pu lire sur internet à son sujet. « C’est vrai, je me suis exprimée devant les médias. J’étais fière que mon mari reçoive la Légion d’Honneur à titre posthume, pour moi, pour mes enfants. On m’a alors comparée à une veuve joyeuse. Je suis profondément choquée par ces propos. Que savent ces personnes de mon chagrin ? ».

Elle fait une pause et baisse ses grands yeux clairs : « la vie ne m’a pas épargnée. Mon cousin Philippe est mort dans un accident de voiture. Maintenant, je suis veuve. Je suis devenue athée, mais je souffre autant que ceux qui croient en Dieu »...

Ethan a vu le jour en décembre dernier. Ce petit garçon est un cadeau du ciel, celui qui panse les plaies de l’âme. Aurore a décidé de faire face et de se battre pour ses deux enfants, comme elle l’a toujours fait. En mémoire de Damien.

Elle devrait s’installer prochainement dans les environs de Saintes où elle cherchera du travail. Ses parents, ses beaux-parents veillent sur elle, mais Damien qu’elle aimait est parti. « J’essaie de me raisonner. Il n’y a pas une journée où Lilou ne réclame pas son père. Parfois, je me dis : pourquoi nous ? ». Avec Damien, elle était bien : « Nous faisions tout ensemble. Quand nous étions à la Réunion, il m’a emmenée à l’Ile Maurice. C’était magnifique. Quel merveilleux souvenir ».

Les images du temps d’avant surgissent, comme dans un rêve. Chantal regarde tendrement Ethan tandis que Lilou se réveille doucement dans les bras d’Aurore. La vie reprend son cours...

Le 8 mai prochain, la commune de Saint-Aigulin rendra hommage à Damien Buil. La venue du Ministre de la Défense, Hervé Morin, est annoncée. Une plaque sera dévoilée. Durant l’été, une cérémonie commémorative aura lieu à Castres, en souvenir des soldats du “8“. Aurore et ses enfants seront là.
« Les morts n’ont pas de voix, heureusement. Si les morts pouvaient se plaindre, quel cri, quelle clameur. On ne s’entendrait plus vivre » écrivait Georges Duhamel...

Photo 1 : Damien Buil, près d’un champ de pavot en Afghanistan, pays où il a trouvé la mort. Un de ses collègues témoigne : « Je l’ai vu de loin monter au carton. Il s’est battu comme un lion et il a fini à la grenade à fusil ». On sait que la mission française, ce jour-là, était de s’assurer de l’ouverture d’une route dans une zone montagneuse, sous l’influence d’un chef de guerre important, Hekmatiar, qui s’illustra dans la guerre contre les Russes. En bas du col, une section fut envoyée à pied pour éclairer le trajet. Avant d’atteindre leur but, elle fut prise dans une embuscade et dégagée un peu plus tard par l’intervention d’éléments français et américains. Malheureusement, dix soldats étaient tombés...

Photo 2 : Damien Buil et ses camarades du RPIMa de Castres.

Photo 3 : Aurore et son beau-père, Jean François Buil, sous le « regard » de Damien qui restera à jamais dans leurs cœurs. Appartenant au régiment de parachutistes du 8e RPIMa de Castres, il est mort à l’âge de 31 ans.

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