jeudi 31 juillet 2025

L’artiste Jean-Michel Bénier nous a quittés : Pour lui, peindre était un acte de liberté

La mort l’a emporté dans la nuit, sans faire de bruit. Il a laissé ses toiles et ses pinceaux pour rejoindre ses chers maîtres flamands. Le Viking de la Massonne, comme on l’appelait parfois, a quitté cette Terre qui fut pour lui source d’inspiration et d’éternelle interrogation. Artiste peintre et écrivain, il nous laisse son œuvre, riche et puissante. Un hommage émouvant lui a été rendu mardi dernier en l’église de La Gripperie Saint-Symporien. Nous adressons nos sincères condoléances à son épouse, Roselyne, à ses enfants et à leurs familles.

Jean-Michel Bénier dans l'église de La Gripperie Saint-Symphorien
où il a peint plusieurs grandes scènes

Comment oublier notre première rencontre il y a plusieurs décennies à la Massonne ? On m’avait décrit, sans doute hâtivement, un homme qui n’aimait guère se livrer aux journalistes. J’ai rencontré un artiste discret et sensible, prêt à ouvrir les portes de son atelier, décrire son travail, sa quête de vérité. Car Jean-Michel Bénier peignait et racontait un chemin, celui qui conduit là où les autres craignent de s’égarer. Il voulait comprendre et pour y parvenir, il a voyagé, amoureux d’une nature authentique, emplie d’une ambiance mystique et du secret des anciens. Sa peinture était précise, lumineuse, envoûtante parfois. Il la voulait parlante, éloquente. Elle racontait une histoire, à la fois par ses personnages, dont les regards ne laissaient jamais indifférents, et dans ses paysages. L’eau, la terre, les éléments, l’humanité. Aux feux de la rampe, il préférait la douce chaleur des étoiles et l’harmonie. Avec son épouse Roselyne, dont la famille est intimement liée à l’Aquarium de La Rochelle, il partageait la même conviction : « se mobiliser pour l’environnement et veiller sur la beauté du monde ».

Lors de sa cérémonie annuelle, l’Académie de Saintonge l’a distingué en 2012 pour son œuvre. Ses expositions se sont succédé tant en France qu’à l’étranger. En 2011, moment phare, il a présenté une exposition au Logis de la Massonne qui a marqué les esprits : L’art contre la mort. Magnifique ! D’Anvers à Venise, l’artiste conduisait le visiteur dans un voyage initiatique aux côtés de Pieter Bruegel…

A Venise
Portraits
Nature et musique

Retour sur cet événement dans cet article publié à l'occasion du vernissage : 

« Devant l'œuvre de Pieter Bruegel, je suis en pays d'amour »

« Qu’allons-nous chercher par-delà l’horizon sinon la guérison d’être vivant ? Natif du Jura, il y a longtemps que Jean-Michel Bénier se pose cette question. Au delà des cimes, des vertes vallées, quel est ce monde qui grouille ? Par la peinture, art où il excelle, Jean-Michel Bénier essuie la buée qui envahit les grandes baies de l’existence. Appuyant fortement sa paume contre le verre froid, il fait jaillir les couleurs de sa palette. 

En 2007, il s’est lancé un défi : entreprendre un voyage à travers l’Europe sur les pas de Bruegel l’ancien, peintre flamand qu’il admire. 

Il prend alors son bâton d’humaniste, d’Anvers à Venise. Ce défi, il le relève avec patience et détermination. Jean-Michel Bénier sait donner du temps au temps, tout en combinant les époques. Avec son guide spirituel, il imagine un dialogue entre Bruegel, peintre du XVIe siècle dont le talent est universellement reconnu et lui, l’homme du XXIe siècle. « Devant son œuvre, je suis en pays d‘amour, la mer, la neige, les saisons, les paysans, le paysage. Il est le premier peintre avec Dürer et Vinci à avoir peint la montagne. Il a surtout ce regard lumineux posé sur les vanités humaines ». 

Chaque jour, dans son journal, Jean-Michel Bénier note ses rencontres et ses émotions. L’Europe défile sous ses yeux et la montagne l’appelle : « quand j’ai songé à ce projet, je l’ai appelé Ascensions poétiques, sans laisser de traces, juste pour voir un instant le monde d’en haut ». Puis viennent la plaine, les villes belges, la Suisse, le col du Saint-Bernard, le Val d’Aoste, et bientôt l’Italie, Mantoue, Vérone, Padoue, Venise. Venezia se dessine. Un bonheur que cette ville où chaque ruelle est un décor de théâtre.

« Tu as appris à danser parmi les anges. Maintenant, il va te falloir apprendre à danser parmi les serpents »

Ce voyage initiatique a inspiré à Jean-Michel Bénier une nouvelle exposition « L’arte contro la morte, l’art contre la mort ». Il témoigne ainsi de sa trace, de sa vie face à la mort. L’œuvre, forte et habitée, conjugue paysages, figurations, collages, abstractions et une fresque magistrale. En effet, après la visite de la Brera à Milan et le choc de la Sainte Félicité de Mantegna, l’artiste a éprouvé la nécessité de peindre a fresco. Un exercice difficile s’il en est ! « L’art est né le premier jour où l’homme primitif a gravé la paroi. Il a eu conscience de sa fragilité et du mystère qui entourent son existence »  explique-t-iI.


Dans chaque toile, le sacré apparaît en filigrane. La première salle, consacrée aux étapes nordiques, offre une peinture réaliste. Parmi les tableaux, « les songeries érotiques d’une religieuse flamande » est l’un des clins d’œil qu’offre Jean-Michel Bénier à la galerie. Dans le second espace, le grand polyptique, inspiré de « La pauvreté et de la mort » de Rainer Mara Rilke, s’impose. Le regard s’arrête, frappé par ces femmes de noir drapées dont les yeux apeurés crient l’incompréhension. Abandonnées à leur sort terrestre, elles semblent implorer le visiteur qui tend la main vers elles. La complicité entre ces deux mondes est presque instinctive. « L’artiste revisite La descente de croix de Rubens. L’effet est fulgurant » souligne la critique. 


La dernière étape est un havre de paix où la pensée se libère en musique.

Assortie d’un livre de souvenirs, « L’Arte contre la Morte » est une œuvre importante que Jean-Michel Bénier a mis plusieurs années à réaliser. Pour lui, peindre est un acte de liberté : «  je continuerai à faire de la peinture si j’en ressens la nécessité. Je ferai de l’abstraction si l’instant, la lisière entre deux couleurs, l’alliance ennemie de deux surfaces engendrent l’harmonie et si la note, justement pour finir, donne au tableau toute sa picturalité ». 

Pieter Bruegel continuera-t-il à l’inspirer ? Jean-Michel Bénier imagine un dernier échange avec lui sous le ciel de Toscane : « Tu as appris à danser parmi les anges. Maintenant, il va te falloir apprendre à danser parmi les serpents ». Et d’ajouter : « on n‘apprend rien de l’avenir. C’est pourquoi, il faut vivre le moment présent ! ».

En 2017, Jean-Michel Bénier a réalisé plusieurs grandes scènes sur l’un des murs intérieurs de l’église de la Gripperie Saint-Symphorien (œuvres qu’il a offertes à la municipalité). Pour modèles, il a choisi des habitants de la commune et de la région. Un ensemble exceptionnel et inattendu dans cet édifice !

Jean-Michel Bénier était propriétaire de la réserve naturelle de la Massonne, gérée par Nature Environnement 17. Une vaste étendue boisée et de lacs d’une centaine d’hectares où la faune et la flore évoluent en toute liberté. Il avait également créé l’association des Veilleurs de Vents qui accueille en résidence artistes, écrivains, plasticiens, architectes et musiciens « dans le but de sensibiliser le public à la beauté de la nature et à sa nécessaire préservation ».

Que Jean-Michel Bénier repose en paix aux côtés de ses chers maîtres. Si Dieu existe, mourir devient un voyage et la vie une étape…

Nicole Bertin

Jean-Michel Bénier est né dans le Haut Jura. Après des études aux Écoles Normales
de Lons-le-Saunier et Besançon, il quitte l’Éducation nationale
pour se consacrer à la peinture

Dialogue avec Pieter Bruegel

• Hommage de Gildas Flahault, marin, peintre et écrivain, ami de Jean-Michel Bénier :  

« La nouvelle de la mort de Jean-Michel nous a cueillis brutalement comme une rafale subite couche un voilier. Alors que j’écris ces lignes face à la mer Bretonne, avec l’envie de dire sans savoir comment, un extraordinaire nuage aux formes fantastiques et saturé de lumière traverse le ciel intranquille de ce jour. Survient une nappe au front large, sombre comme l’ardoise, s’avançant du galop et envahissant le paysage céleste. Déjà le tonnerre gronde et des trombes s’abattent sur les flots. Entre la masse furieuse d'orage et l’océan griffé, il reste un peu de bleu où flotte le nuage, devenu encore plus fantastique et plus étincelant.

Une fois encore, une fois de plus, la beauté du monde s'impose au-dessus de tout. Si Jean-Michel avait assisté à ce miracle, son esprit l'aurait immédiatement transposé en peinture. Il aurait voulu le rendre au monde entier, restituer la même dose d’émotion.

C'est le rôle du peintre de se mettre au service du miracle et c'est le rôle du peintre d'habiter dans le seul véritable temple, celui de la nature infiniment puissante. Les êtres qui s‘éteignent partent se dissoudre dans l’absolue beauté du vivant. Ainsi que la mer qui se retire, les artistes émerveillés nous laissent en héritage les traces de leur profond amour du monde. Chaque champ de blé contient une larme de Van Gogh et au long de tous les chemins creux, au bord de chaque rivière, on peut glaner les infimes traces laissées là par Vermeer, Turner, Gauguin ou Monet. A partir de ce jour, observons bien les tendres bleus lointains des lignes de crêtes et les taches rousses des lichens car des milliers de particules d'amour pur se sont envolées des poches de la veste de velours de Jean-Michel pour compenser les laideurs du monde

Demain, je serai sur les côtes irlandaises et je parlerai aux nuages, au vert des collines et aux vieux murs tordus. Je les prierai de lui faire une place où il puisse boire chaque pluie et recevoir chaque soleil ».

• Dans l’un de ses ouvrages, Jean-Michel Bénier décrivait sa région natale, le Jura : 

« Je suis né dans un creux tout en longueur, bordé de barres calcaires et de sapins. Sombre et industrieux, sur les revers desquels s’étagent aujourd’hui des barres de H.L.M. Morez, Jura, on y fabrique encore des lunettes.

Comtois, mon appellation d’origine. Ma constitution. L’homme en devenir, fabriqué à partir de forêts et de tourbières, de neiges et de grands froids. Le massif forestier de la Joux devant borde le plateau du Grandvaux à l’est. Au cœur de ces profondeurs vertes gît une clairière, on appelle cela des « prés », difficile à trouver souvent. On peut s’y perdre, ce qui signifie que l’on peut y passer une nuit imprévue et inconfortable parmi les grands ducs et les grands tétras. Tout est grand ici, à la mesure des épicéas élevés comme les piliers d’une cathédrale sur un désordre de combes et de roches, où vont en trébuchant des sentiers encombrés d’arbres renversés. Creux et bosses se ressemblent et se confondent. L’esprit s’affole à la vue du morceau de calcaire lessivé devant lequel on est passé une demi-heure plus tôt. Toutes les pierres se ressemblent. On prend des repères, un pâle soleil pour amer, dernier recours avant la mousse sur les arbres pour retrouver un nord devenu inutile. Encore un peu de temps avant la nuit, avant le feulement doux du lynx en chasse, avant les bruits de bêtes oubliés depuis la nuit des origines.

Recroquevillé sous des branches de sapin, il faut attendre l’aube. Puis marcher droit, jusqu’à une route inconnue vers un village où on n’est jamais allé, de l’autre côté de la montagne.

Ce jour-là, je voulais m’immerger quelques heures dans le silence des Près Maréchets. Je passai à côté sans les voir. Au terme d’inconscientes circonvolutions, le hasard me permit de retrouver mon chemin, et la route de la maison ».

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