Bienvenue dans le monde d’en bas !
Chez les carriers, tout le monde connaît le site de Thénac qui s’étend sur près de quarante hectares. Le banc le plus ancien, d’époque romaine, était utilisé quand l’amphithéâtre de Mediolanum (Saintes) a été édifié. Les entrées, encore visibles, mériteraient d'être valorisées. A quelques encablures, la plus récente date du XVIIe siècle. Toujours empruntée, la partie ombragée qui la précède, bordée d'une "muraille", la rend secrète. Bienvenue dans le monde d’en bas avec le maître des lieux, Bertrand Arcadias ! Son projet ? Proposer une modélisation de la carrière en 3D afin que le public ait accès à cet « étrange labyrinthe souterrain » grâce à l’informatique. Il a confié cette étude à Vincent Miailhe, archéologue à l’INRAP.
Blocs de calcaire en attente de livraison (particuliers, entreprises du bâtiment, architectes, artisans, sculpteurs, etc) |
Au cœur de la carrière, voyage au temps du Turonien (Crétacé) |
L'entrée actuelle de la carrière remonte au XVIIe siècle |
Il y a 35 ans que Bertrand Arcadias a repris les rênes de ces immenses carrières dont la pierre entre dans la construction d'édifices renommés dont la Sagrada Familia à Barcelone. A l’époque, elles appartenaient à la famille Magnani-Mercier. Parmi les principaux débouchés, figure le bâtiment. La pierre pérenne de Thénac est utilisée pour les revêtements, en France et à l’étranger (Europe, USA, Asie). Bertrand Arcadias se souvient du grand chantier d’une "petite" maison de 124 chambres à Moscou et d’une précédente restauration de Fort Boyard dont la livraison s’était déroulée en hélicoptère. Un petit regret au passage, que sa société n’ait pas été sollicitée pour la récente restauration de l’amphithéâtre de Saintes !
Dans la région, les carriers extraient la pierre de Thénac de générations en générations. Comme chez les mineurs, la tradition se perpétue. Une douzaine de salariés travaillent à l’extraction du calcaire, à la coupe et la sculpture dans l’atelier.
Une modélisation des carrières en 3D
Lundi dernier. Bertrand Arcadias a sorti le grand jeu pour conduire un petit groupe dans son « antre ». Bien sûr, les bottes sont nécessaires car le mocassin, voyez-vous, ferait figure d’intrus au milieu d’une gadoue bien collante et glissante de surcroît ! Parés d’un casque, nous descendons dans le ventre de la terre, transformés en spéléologues pour l’occasion. Les galeries se succèdent et inconsciemment, certains se demandent s’ils retrouveraient leur chemin au cas où l’éclairage électrique viendrait à décliner. Il y a des lustres que les lampes à pétrole ont disparu du paysage ! « Les allées sont fléchées et elles portent des nombres pour se repérer aisément » souligne le guide. Sinon, il reste le fil d’Ariane ! Des poches d’eau surgissent de-ci de-là. Les marcheurs les affrontent avec détermination, se croyant dans une émission style « Thénac Express » dont ils seraient les héros, prêts à surmonter les difficultés du terrain.
Ce monde souterrain, mystérieux, ressemble à une grande chapelle avec ses colonnes et ses allées taillées. On pourrait s’y perdre tant la superficie est vaste. Les lumières artificielles, qui viennent rompre l’obscurité ambiante, ajoutent à cette part d’interrogation. Des gouttes d’eau, tombant inlassablement du plafond, rappellent la position de l'équipage : nous sommes en dessous de la nappe phréatique. Un pompage est donc nécessaire pour éviter les inondations.
Nous voici arrivés. Le silence qui régnait jusqu’alors est rompu par le bruit des machines d’extraction. Des améliorations ont été apportées au fil du temps. Des haveuses rouilleuses, aux chaînes au carbure de tungstène, coupent méthodiquement les blocs.
Sur les parois, apparaissent de savants calculs au crayon, réalisés par les carriers afin de respecter la dimension des piliers (selon la technique des chambres et piliers). Géométrie et équilibre... Les entrailles s’activent, invisibles du monde d’en haut ! Le ventre raisonne, les vibrations emplissent cet espace inconnu maîtrisé par quelques initiés. Curieux et intimidés, les invités découvrent et s’informent…
Dans les galeries souterraines... |
Bertrand Arcadias (à gauche) apporte des explications |
A droite du carrier, Vincent Miailhe, archéologue à l'Inrap |
Un fois extrait, le bloc est dégagé puis il est stocké à l'extérieur et expédié, répondant aux commandes. La société propose divers produits : enduit à la chaux, badigeon, mortier ainsi que panneaux en pierre naturelle.
La visite se termine. Circuit retour. C'est dans la pénombre qu'il est beau de croire à la lumière ! Une fois revenu dans le monde d’en haut, Bertrand Arcadias nous conduit dans l'entreprise. Des éléments à remplacer d’une église romane sont en cours d’achèvement à l'atelier. Anthony présente les différents outils employés, lesquels n’ont pas beaucoup changé depuis les compagnons.
L'atelier |
Anthony à l'œuvre |
« L’avenir est à la qualité des constructions, donc à une pierre belle et solide. Nous avons trois bancs différents, pierre fine, pierre ferme et banc romain. Nous ne faisons pas de commercial ici, les gens viennent parce qu’ils recherchent une qualité de pierre. L’exportation varie selon les années, elle peut atteindre de 20 à 30%. Le gisement est immense et la réserve dépasse plusieurs siècles ! » remarque Bertrand Arcadias. Dernier projet en date, il envisage de créer une modélisation de la carrière en 3D afin que le public ait un accès direct de leur ordinateur à cet « étrange labyrinthe souterrain ». L'étude a été confiée à Vincent Miailhe, archéologue à l’Inrap, spécialisé dans la cartographie des relevés topographiques. On lui doit entre autres la galerie de l’aqueduc romain près du golf de Saintes, l’arc de Germanicus et les Thermes de Saint-Saloine.
• Le banc de calcaire de Thénac date du Turonien (deuxième étage du Crétacé supérieur), il y a 60 millions d’années. Il résulte d’un amas de fossiles très fins, la sédimentation s’étant opérée au fond d’eaux calmes, un golfe vraisemblablement.
• La pierre de Thénac connaît un destin international puisqu’on la retrouve aux USA, en Corée, Afrique, Bénélux et même à la Sagrada Familia de Barcelone.
• Le Sas, chantier d’insertion basé à Saintes, réalise de la chaux selon une méthode traditionnelle grâce au four construit à Thénac avec l'appui de Bertrand Arcadias.
• La carrière de Thénac a participé à l’édification de nombreux monuments. Les plus connus sont l'Arc de Germanicus, l’amphithéâtre, les thermes, l’aqueduc, les arènes, les remparts du Bas-empire, la ville portuaire du Fâ à Barzan. Elle a également été utilisée dans les édifices religieux, basilique Sainte Eutrope, abbaye aux Dames et cathédrale Saint Pierre de Saintes ainsi que pour la construction d'églises romanes d’Aunis et de Saintonge, châteaux, logis et bâtiments. L’archéologue Jacques Gaillard, auteur des fouilles de la carrière gallo-romaine de l’Ile Sèche à Thenac, décrit le travail des carriers dans un ouvrage qui leur est consacré.
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