De l'enlèvement d'Isabelle d'Angoulême devenue reine d'Angleterre aux projets de Grand Cognac, huit siècles d'histoire en terre charentaise !
Une imposante construction (@CA Grand Cognac) |
La nouvelle aile vitrée |
La région possède de nombreux monuments, témoins des générations qui nous ont précédés et porteurs d’une histoire que le visiteur aime à découvrir. Car le passé est aussi riche que le présent ! Ainsi, les propriétaires des châteaux qui, tout au long des siècles, ont laissé leurs empreintes et connu des fortunes diverses.
Histoire de ce château par Jean-Paul Gaillard, membre de la société des Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis :
Le premier texte faisant référence à Bouteville date de 866. Il y a quelques années, avant que ne commence le chantier de restauration, un diagnostic a été effectué par l'INRAP à la demande de Grand Cognac qui voulait en savoir davantage sur la qualité archéologique du site. Des sondages ont eu lieu notamment à l'entrée : on a trouvé des silos, des fosses aménagées dans le rocher et de la céramique datant de l'époque carolingienne. La légende prétend que sur le site, se trouvait une villa gallo-romaine. « Cette hypothèse paraît improbable car ces grandes exploitations agricoles étaient plutôt situées dans la plaine » remarquent des spécialistes. D'après les dernières recherches au niveau toponymique, une zone aurait été occupée par les Wisigoths après la conquête romaine : « on a relevé l'implantation d'une habitation d'un nommé Boto ».
Au XIe siècle, il est fait mention de Bouteville : « Il est apporté en dot lors du mariage de Geoffroy Taillefer, le fils du comte d'Angoulême Guillaume IV, avec Pétronille, fille du seigneur d'Archiac ». L’histoire commence réellement quand il est question d’Isabelle Taillefer, fille du comte Aymar, et de Jean sans Terre, fils d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II d’Angleterre. La chronique raconte qu’alors promise à Hugues IX le Brun, elle a été enlevée par Jean sans Terre qui l’a épousée. Elle n’y perd pas au change puisqu’elle devient reine d’Angleterre. Simple question de pouvoir et de stratégie quant aux possessions des terres ! A la mort de son mari, elle convole en justes noces avec Hugues X de Lusignan, comte de la Marche… et fils de son ancien prétendant. De sa première union, elle a cinq enfants, neuf de la seconde.
Durant de nombreuses années, Bouteville a donc été une possession anglaise des Plantagenêt et le célèbre Richard Cœur de Lion (frère de Jean sans Terre) y serait passé : « on n'en a pas la preuve. Il guerroyait dans la région et il est mort à Châlus en Haute Vienne, ce qui n'est pas très loin. On évoque aussi la venue du Prince Noir. Cela n’a rien d’impossible. Lors des fouilles au château de Merpins, on a retrouvé de nombreuses monnaies du Prince Noir précisément » souligne Jean-Paul Gaillard. Et d’ajouter : « Sur notre territoire, la guerre de Cent Ans a débuté bien avant 1337 en raison de l'enlèvement d'Isabelle Taillefer. Les hostilités entre Anglais et Français ont commencé dès cette époque, les Lusignan se sentant humiliés tant dans leur honneur que leurs projets matrimoniaux ».
Par la suite, les textes sont plus fournis. Lors du traité de Brétigny en 1360, des places-fortes françaises sont cédées au Roi d'Angleterre. Le château de Bouteville est remis à son représentant, Jean Chandos en 1361. Dans les comptes conservés à Londres aux Archives Nationales, il existe des traces des réparations faites à Bouteville pendant trois ans. De grosses sommes d'argent sont dépensées pour rétablir la forteresse. « De ce château médiéval qui a été tantôt sous contrôle anglais, tantôt français, on ne savait pas grand-chose jusqu'au récent sondage archéologique. Au moment des diagnostics, les chercheurs sont tombés sur un reste de pont levis, un double fossé, vraisemblablement des aménagements du XIVe siècle faits par les Anglais. La base de la petite tour serait du XIIIe siècle. Dans les salles basses, les fenêtres ont été creusées dans l'épaisseur de la maçonnerie du mur du Moyen-Age. On a donc utilisé une partie de la forteresse médiévale pour installer le château Renaissance qui a suivi. Dans l'intérieur de la cour, un sondage a révélé les fondations de l'aile qui a été remplacée par l'actuelle verrière. Un peu plus loin, on a retrouvé la base du donjon recherché pendant des lustres ! Il devait ressembler à celui de Pons avec des contreforts plats, des murs de deux mètres d'épaisseur, dix mètres de côté sur 14 mètres. Sur ce site, il faut imaginer un gros donjon de 30 mètres de hauteur ! Une fouille est programmée sur les abords et en contre-bas pour rechercher des traces de fortifications et d'éventuels autres habitats du haut Moyen Age. En fonction des résultats, on s'intéressera à l'intérieur de la cour. D'après l'archéologue, près du donjon, pourraient se trouver les bases d’une habitation et une chapelle castrale » explique l’historien.Les ancêtres de François 1er réalisent des travaux à Bouteville pour le consolider. Devenu Roi de France, François 1er donne en jouissance la seigneurie de Bouteville à Claude de Montmorency qui le garde vingt ans, de 1530 à 1550. Ensuite, il revient à Pic de la Mirande, famille de banquiers. « Il y a quelques années aux archives d'Angoulême, j'ai trouvé un bail à ferme signé Pic de la Mirande, preuve que cet homme a séjourné ici ».
Lors des guerres de religion, le château de Bouteville, comme ceux de Châteauneuf et Merpins, sert de repaire aux troupes protestantes jusqu'à l'avènement d'Henri IV. En 1577, leurs démolitions sont ordonnées par arrêtés. « Ces lettres patentes d'Henri III sont conservées à Angoulême. Pour Bouteville, on dispose de l'arrêté, de la mise aux enchères de la démolition et celle des matériaux. Lors de la vente des pierres, se manifeste une descendante de Pic de la Mirande. Ayant aménagé un logis et engagé des frais, elle souhaite être dédommagée des travaux qu'elle a effectués dans le château ». Le pouvoir royal répond négativement.
Cour intérieure du château. Entièrement refaite, la verrière accueille désormais des manifestations |
Béon de Massès décède en 1607 à Paris. Enterré dans l'église des Cordeliers qui n'existe plus, il a donné son cœur de la ville de Saintes. Il se trouve dans la cathédrale de Saint-Pierre accompagné d’une plaque d'ardoise avec une épitaphe. Il était lieutenant général du Roi des provinces d'Angoumois, Saintonge, Aunis, Périgord et Limousin.
En 1624, le château est achevé. Toutefois, le programme de sculptures a été arrêté faute de moyens (ainsi que les écoulements pluviaux). Selon Paul de Lacroix, « Bernard de Béon du Massès et Louise de Luxembourg firent bâtir le château de Bouteville sur une vaste plateforme quadrangulaire. La façade principale, qui a vue au levant, était flanquée de deux énormes tours. Un crénellement continu, surmontant les toits de tout l’édifice, lui donnait de loin l’aspect d’une forteresse, mais on s’apercevait bien vite que ces créneaux n’étaient qu’un ornement gracieux ».
Le domaine reste dans la maison de Béon de Massès jusqu'en 1726, puis il est occupé par Henri de Bruzac-Hautefort qui fait procéder à des transformations. En 1788, le comte d'Artois commence sa rénovation. À la Révolution, le château est vendu comme bien national à la suite de l'émigration de son propriétaire. Il est acheté par un marchand de Bouteville, Antoine Marcombe. Ses descendants finissent par vendre, entre 1892 et 1895, la cheminée monumentale de la grande salle, des sculptures de la grosse tour, les merlons décoratifs de l’aile principale.
Dans les années 1930, suivent Richard de Segonzac et, à partir de 1935, la famille Joyet. Livré à lui-même, le château est vandalisé et pillé. Préoccupées par le devenir de ce fleuron, plusieurs associations de sauvegarde se succèdent et tirent la sonnette d'alarme. En 1984, le château est classé monument historique. En 1994, il devient propriété de la commune pour le franc symbolique avant d’être confié à la Communauté de Communes de Châteauneuf (qui sauve l’aile Est, la petite tour et le pont). Depuis 2017, la Communauté d’Agglomération de Grand Cognac y a mené un projet ambitieux de préservation et de valorisation. Le montant de l’ensemble des travaux et études est estimé à 4,7 millions d’euros.
La 3ème phase des travaux est maintenant terminée. Elle concernait le porche, la grande salle, la verrière, etc. Une 4ème phase est prévue prochainement.
Magnifique ! |
Un détail de la cheminée |
• A voir sur les murs du château des graffiti de bateaux réalisés par des prisonniers espagnols détenus à Bouteville au XVIIIe siècle (1794), capturés sur le bateau de guerre Alcudia durant la guerre franco-espagnole. Mis à la disposition de la population pour travailler dans les champs, ils sont restés trois à quatre mois. Par la suite, certains se sont mariés dans la région.
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