Il y a quelque chose de Robin de Bois chez Benoît Biteau. Cette volonté de faire entendre la voix du bon sens, d’aider les paysans à résister aux grandes sociétés qui régentent la planète. Car le monde est ainsi fait, on spécule sur le prix des céréales alors que les blés sont en herbe et surtout, certains groupes ont mis les semences sous contrôle. Aujourd’hui, l’heure est grave puisque de nombreux agriculteurs sont pieds et mains liés : chaque année, ils doivent obligatoirement acheter leurs céréales, figurant au catalogue officiel, à des structures agréées. Si leur venait l’idée de replanter leurs propres productions, les graines (modifiées à la base) offriraient des rendements ridicules.
Benoît Biteau fait fi de cette législation : il sème son maïs « maison », se rendant ainsi hors la loi. Il s’indigne publiquement quand d’autres préfèrent jouer les moutons de Panurge au prétexte qu’ils ne peuvent pas faire autrement.
Rencontre avec cet élu, vice-président du conseil régional aux côtés de Segolène Royal, qui ne pratique pas la langue de bois.
• Benoît Biteau, vous avez été élu conseiller régional en 2010 sur la liste de Ségolène Royal. Quelles actions avez-vous concrétisées ?
Dans les domaines qui sont les miens, j’ai pu montrer qu’on pouvait avoir des politiques incisives, volontaires, originales. Je suis satisfait de l’évolution du modèle agricole et des originalités proposées par la politique régionale. Nous avons également pesé sur l’évolution de la politique agricole à Bruxelles, dans le cadre de la réflexion concernant la PAC pour les années 2014-2020. Même si nous n’avons pas obtenu ce que nous souhaitions, il y a tout de même des choses intéressantes qui seront les points d’appui d’une nouvelle agriculture. Parmi les points faibles, nous aurions aimé que l’agriculture soit davantage tournée vers l’agronomie, qu’on renonce aux substances de synthèse, pesticides ou engrais chimiques, et qu’il y ait un rééquilibrage plus rapide des aides afin que les petites exploitations soient mieux soutenues par les pouvoirs publics. Actuellement, l’enveloppe publique accompagne surtout ceux qui disposent de grosses unités foncières. Ces déséquilibres ont eu tendance à faire disparaître les structures paysannes et familiales. En dix ans, 25 % d’entre elles n’existent plus. Quand on observe la manière dont le foncier libéré est repris, les deux tiers vont à l’agrandissement contre un tiers à l’installation. Les explications sont multiples. Les structures foncières importantes ont un avantage, elles peuvent dégager des capitaux conséquents. Par ailleurs, nous sommes dans un contexte démographique où il y a de moins en moins d’agriculteurs, donc de moins en moins d’enfants d’agriculteurs qui peuvent s’appuyer sur la transmission d’une propriété. Les personnes non issues du monde agricole font appel à des installations hors cadre familial. Or, souvent, elles n’ont pas les reins assez solides financièrement. Ce sont alors les grosses structures, déjà bénéficiaires de l’argent public, qui se positionnent sur le marché. Au conseil régional, nous avons des dispositifs intéressants. L’un d’eux, unique en France, est observé par d’autres Régions qui essaient de le mettre en place sur leurs territoires respectifs. Pour l’accès au foncier, le principal dispositif concerne une convention avec la Safer. Chaque fois que la Région identifie une structure foncière qui va se libérer, elle sollicite la Safer pour qu’elle en devienne propriétaire. La Région, quant à elle, finance le temps de stockage nécessaire afin que le porteur de projets puisse boucler son dossier. Quand il a réuni les fonds nécessaires, elle rétrocède au même prix que la Safer a acheté et tous les frais occasionnés sont pris en charge par la collectivité. Le dispositif fonctionne bien. Des structures comme Terre de Lien, qui pratiquent l’épargne solidaire, y sont favorables.
• S’installer en agriculture n’est donc pas évident…
En effet. Quand les leaders de la profession agricole sont à la tribune, ils ne parlent que de l’installation. Par contre, quand ces mêmes personnes sont directement concernées à titre personnel par une installation, bizarrement leurs discours sont différents. Ceci dit, nous sommes habitués. Nombreux sont favorables aux belles choses collectives tant que leurs propres intérêts ne sont pas visés !
• Avez-vous les coudées franches à la Région ?
Sur les questions agricoles, j’apprécie de pouvoir travailler en toute liberté aux côtés de Ségolène Royal. Je crois avoir fait mes preuves dans ce domaine. La présidente sait que je connais le sujet ! En conséquence, il n’y pas d’ambiguïté, ni de malentendu entre nous. Parmi les 55 élus à la Région, nous sommes seulement trois agriculteurs, deux dans la majorité, Serge Morin et moi-même, et Véronique Laprée pour l’opposition. Ce chiffre n’est pas éloigné de la proportion d’agriculteurs dans la population.
• Vous êtes opposé de longue date aux cultures OGM en France…
Nous sommes dans l’illustration du rôle qu’occupent les lobbies, à Bruxelles en particulier. Autour de la maîtrise de la génétique, gravitent des enjeux financiers et économiques considérables. Il s’agit, ni plus ni moins, de notre avenir alimentaire. En donnant le pouvoir à quelques groupes, les législateurs jouent tout simplement avec la sécurité et la souveraineté alimentaire à l’échelon planétaire. Aux États-Unis, c’est pratiquement Monsanto qui écrit le cadre réglementaire de l’utilisation des semences et de la génétique. Pourquoi ? Parce que les leaders ne sont jamais indépendants. Un jour, ils sont membres du gouvernement et le lendemain, ils se retrouvent dans des entreprises semencières ou agro-alimentaires. À mon sens, Cargill est plus dangereuse que Monsanto. L’Europe est touchée puisque nous sommes dans une stratégie d’échanges. Les récoltes obtenues sur les continents américain, asiatique ou africain portent la même empreinte génétique. Quand les USA sont sur une stratégie maïs, colza et soja OGM, les productions qui traversent l’Atlantique et arrivent chez nous sont forcément OGM. 80 % du soja mondial est OGM aujourd’hui. L’Europe devrait être un territoire d’exception. Jacques Maroteix, ancien président de la Chambre d’agriculture, avait posé la question dans son dernier édito : La chance de l’Europe n’est-elle pas de rester un territoire sans OGM ? Le mal est déjà fait en ce sens où il n’y a pas d’unité au sein de l’Europe. Quelques pays, dont la France et l’Allemagne, font de la résistance. En raison de la décision du Conseil d’État, le gouvernement français devra élaborer un nouveau moratoire, avant mars 2014, interdisant les cultures OGM sur son territoire.
• Pourquoi y a-t-il autant d’adversité envers les plantes génétiquement modifiées ?
La société civile, dans sa grande majorité, ainsi que de nombreux scientifiques sont opposés aux OGM. Le sujet n’est pas de remettre en cause la prouesse technologique qui se trouve derrière ces semences. Dans un laboratoire, dans un milieu confiné où il y a zéro risque de dissémination et de pollution par les pollens, ces plantes ne posent aucun problème. L’insuline produite par ces plantes pour soigner les diabétiques est d’une pureté remarquable. Les choses sont plus compliquées en plein champ avec la menace de dissémination sur les variétés traditionnelles. Le colza OGM peut aussi se marier avec des plantes sauvages comme la ravenelle. On peut alors avoir une ravenelle résistante au Roundup par exemple. Ça existe déjà, nous ne sommes pas dans la science-fiction. Les États-Unis sont confrontés à ce type de situation : même avec le glyphosate, l’herbicide le plus puissant et le plus efficace dont on dispose actuellement, ils n’arrivent plus à détruire les mauvaises herbes. C’est dramatique. On a le cas d’espèces qui assimilent le gène et développent des résistances. Dans les cultures de maïs, trois savent développer des souches résistantes dans un délai très court, quelle que soit la molécule herbicide utilisée. Il s’agit de la morelle noire, le chénopote blanc et l’amarante réfléchie. Nous avons déjà vécu une telle situation avec l’atrazine, désormais interdite. Actuellement, on veut cultiver en grand du maïs, du colza ou du soja OGM Roundup en sachant que, dans quatre ou cinq ans, nous serons confrontés à des espèces résistantes qui pousseront les chercheurs à inventer des herbicides encore plus performants et dangereux pour l’environnement. Ces stratégies à court terme n’ont qu’un seul but, celui de créer une situation de monopole pour le fournisseur de semences qui vend à la fois les graines et le désherbant qui va avec ! L’exemple est donné par Monsanto qui se livre à cette pratique commerciale, Monsanto étant propriétaire de la molécule utilisée dans le Roundup.
• Que l’achat des semences soit totalement encadré vous choque-t-il ?
Oui. Avec la nouvelle réglementation, un agriculteur est obligé, sauf à être hors la loi, de planter des variétés inscrites au catalogue officiel. S’il veut vendre son grain, il n’a d’autre solution que de s’adresser à un diffuseur de semences qui commercialise ces variétés sélectionnées. Monsanto et Cargill ont créé des variétés hybrides pour assurer de gros rendements, de l’ordre de 130 quintaux l’hectare. Si, l’année suivante, vous ressemez cette variété hybride, vous retomberez à trente ou quarante quintaux ! Il faut alors réinvestir dans une nouvelle semence et ainsi de suite chaque année. Ainsi se crée la dépendance de l’agriculteur qui perd son autonomie.
• Si la variété n’est pas inscrite au fameux catalogue, l’agriculteur risque-t-il des ennuis ?
Oui s’il vend sa production. Il peut encore faire ce qu’il veut à usage personnel, nourrir ses poules s’il en a ! Mais il faut s’attendre à tout. Bientôt, on nous dira peut-être : « vous faites pousser des variétés non inscrites au catalogue dont le pollen peut être diffusé sur des espèces qui, elles, le sont »… Dans ce cas, nous serions taxés de ce que, eux, nous impose ! Pour vous dire la vérité, j’utilise des variétés qui ne sont pas inscrites au catalogue. Je suis donc hors-la-loi. J’attends qu’on vienne me verbaliser. Dans le mot tribunal, il y a tribune… Avec des producteurs du secteur, nous avons mis au point une variété de maïs adaptée à nos terrains et à la pluviométrie qui arrive à produire en culture sèche, c’est-à-dire sans irrigation. Le rendement est de 80, 90 quintaux à l’hectare. Quand on nous annonce la création de variétés résistantes à la sécheresse avec des OGM, je peux vous dire que la technologie OGM, malgré toutes ses prouesses, ne permettra jamais de le faire. Par contre, en plein champ, les cultures OGM actuelles avec leurs pesticides et leurs résistances au glophosate, sont en train de faire disparaître de façon irréversible des espèces qui portent la diversité génétique et sur lesquelles on aurait pu s’appuyer pour construire le modèle agricole de demain. Nous sommes en train de nous couper de pans entiers de recherche fondamentale. Une association « Cultivons la biodiversité en Poitou-Charentes » travaille sur ces questions. Dans le département, on me fait passer pour un anti-maïs furieux. C’est totalement faux. Le maïs fait partie de notre culture locale. Mon grand-père cultivait déjà le garouil et le garouillet en patois que l’on donnait au bétail l’été. Les variétés étaient fabriquées par les paysans eux-mêmes. Les femmes prélevaient les plus jolis épis dont les grains seraient la semence de l’année suivante. Ils avaient l’assurance que ces variétés étaient adaptées aux conditions du milieu. Pas besoin de pomper l’eau des rivières comme on le voit aujourd’hui. Est-ce qu’on est agriculteur pour engraisser des firmes qui se moquent de nous ou l’est-on par vocation, pour soi-même ?
• Les jardiniers peuvent-ils être concernés par la législation sur les semences ?
Il est évident que le catalogue officiel concerne toutes les espèces y compris potagères, carottes, tomates, pommes de terre. Toutefois, si vous avez un potager, vous êtes encore maître de vos légumes ! En cas de commercialisation, l’alibi des grandes firmes est sanitaire. Elles prétendent que les variétés qui ne sont pas évaluées peuvent présenter des dangers pour la santé. Actuellement, un certain nombre de passionnés se mobilisent pour sauvegarder les variétés anciennes, faisant fi de la législation.
• Votre résistance est un message politique !
Le Conseil régional s’est mobilisé autour du TIRPAA - Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation - en invitant le gouvernement à renoncer aux cultures mutées en plein champ. Une coopération s’est développée dans certaines zones du monde et un constat s’impose : les pratiques agro-écologiques sont quatre fois plus productives que les méthodes actuelles. Le partenariat de la région Poitou-Charentes avec Fatick, au Sénégal, est révélateur. Les parcelles avaient été abîmées par une agriculture intensive à base de semences certifiées et de substances de synthèse. Sur des écosystèmes fragiles comme en Afrique, ces expériences ont été désastreuses. Notre principe est simple. Il s’agit de planter des cocotiers puis, en-dessous, des arbustes, théiers, caféiers. Quand cette végétation est opérationnelle, on peut produire du mil dans la strate herbacée et du manioc dans la strate souterraine. Ces denrées nourrissent la population locale. La souveraineté alimentaire n’est pas de produire beaucoup dans le Nord, mais de respecter les équilibres Nord/Sud.
• Comptez-vous poursuivre votre engagement au service de la collectivité ?
Être élu renforce l’engagement. On a une légitimité et les dossiers avancent plus vite. L’action menée doit porter ses fruits. Si demain, on me propose un poste où je peux décupler l’efficacité du travail qui est le mien, je l’accepterai. Mon but n’est pas de faire carrière en politique. Le jour où plus rien ne bougera, je rentrerai chez moi. J’ai la chance d’exercer un métier que j’aime, celui d’agriculteur. Je ne compte pas sur mon mandat d’élu pour exister…
Propos recueillis par Nicole Bertin
• La réglementation, telle qu’elle s’applique en France, interdit aux paysans d’échanger, de donner ou de diffuser leurs propres semences et plants. Un agriculteur ne peut diffuser ou échanger des semences ou des plants que si la variété est inscrite sur le « catalogue officiel ». Or, cette inscription, outre un coût élevé inaccessible pour un paysan, exige de la part des variétés concernées une uniformité et des caractéristiques techniques qui ne sont pas adaptées à la diversité des terroirs, ni aux modes de production écologiques. Ces contraintes s¹opposent à l’indispensable préservation de la biodiversité. Certes, une liste réduite dite « amateur » permet la diffusion de quelques variétés anciennes potagères et fruitières mais à condition qu’elles ne soient cultivées que pour la propre consommation du jardinier, sans aucune vente possible de la récolte. « Cela pourrait changer avec une nouvelle proposition de la commission européenne » remarquent les observateurs.
• Ingénieur agronome de formation (avec trois spécialités, environnement, hydraulique et génétique), Benoît Biteau a d’abord travaillé dans la fonction publique. Conservateur de patrimoine dans le marais poitevin, il a participé à l’élaboration du projet de territoire pour la labellisation du parc. Ce fils d’agriculteur a repris ensuite l’exploitation familiale de Sablonceaux où il travaille avec son frère. « Tout est bio. Nous gagnons notre vie et avons créé des emplois. Une exploitation peut être viable sans être dans la recherche constante de foncier » dit-il. Sa ferme produit des légumes (lentilles, pois verts) et des céréales (orge, blé, soja, tournesol, sorgho, alternative au maïs). S’y ajoute l’élevage de vaches maraîchines, de chèvres poitevines et de races à protéger car menacées (baudet du Poitou, cheval de trait poitevin). Il est vice-président du Conseil régional, membre de la commission eau, littoral et biodiversité.
• Constat dressé par Benoît Biteau : « Chaque fois qu’un agriculteur fait appel à l’irrigation, il perd 5 quintaux par passage en amortissement. Dans la région de Sablonceaux, il faut faire dix passages d’eau, soit l’équivalent de 50 quintaux. On retombe alors à une production de 80 quintaux l’hectare, ce que j’obtiens sans irrigation. Ces chiffres se passent de commentaires. Quant au poste semences dans la comptabilité, il est forcément élevé, de l’ordre de 300 ou 400 euros l’hectare. Le mien est bas puisque j’utilise ma production ».
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