mardi 31 mars 2020

Coronavirus/Quelles leçons tirer de l'épreuve que nous traversons ? « On a voulu gérer la santé de façon comptable »...

Après deux semaines de confinement, alors que le nombre de malades ne cesse de progresser et que les personnels médicaux s'activent sans compter pour soigner les patients atteints du Covid-19, de nombreuses voix se font entendre. 
Nous avons recueilli les points de vue de Charentais-Maritimes qui ont répondu à la question suivante : « La crise sanitaire qu'engendre le coronavirus bouleverse tant la population mondiale en matière de santé que nos modèles économiques. Quelles leçons en tirer ? ». Renée Lauribe Benchimol, pharmacien, nous fait part de ses réflexions :

Renée Lauribe Benchimol (Saintes) : 
« On a voulu gérer la santé de façon comptable »

Renée Benchimol Lauribe
En premier lieu, j’ai une pensée très chaleureuse pour tous ceux qui souffrent et j’espère qu’il recouvriront bien vite leur santé. J’ai également une autre pensée très reconnaissante pour les équipes qui contribuent à lutter contre ce fléau.

La situation de cette pandémie semble aujourd'hui encore plus grave que les modèles mathématiques les plus pessimistes ne le prévoyaient. Il faut en prendre la réelle mesure. Les services compétents se basent sur des modélisations solides. Le confinement semble devoir durer plus longtemps que prévu, situation qui incite à plus de réflexion et à une organisation différente. Ces urgences de santé publique doivent donc nous obliger à redéfinir vraiment ce que seront nos priorités pour l'avenir.

Des faits : la France comptait avant cette crise sanitaire 5000 lits de réanimation pour 67 millions d’habitants. Par comparaison, l’Allemagne dispose de 25000 lits de réanimation pour 83 millions d’habitants (et je ne parle pas du nombre de tests possibles). D’où leur moindre taux de décès par rapport à la France. La France a perdu 100.000 postes de soignants en 20 ans. Sans commentaire...
Le nombre de masques dans les hôpitaux et de notre incapacité à les produire en France en nombre suffisant est révélatrice des choix politiques et industriels faits depuis des décennies.

On a voulu gérer la santé de façon comptable "avec une tarification à l’acte", une économie de moyens humains en plus d’une économie de moyens matériels et financiers. Comme si la santé était un bien de consommation ou une marchandise à produire !

Le principe était « s’il y a moins de prescripteurs, il y aura moins de dépenses ». On voit le résultat. Les virus ou les pathologies ne diminuent pas en fonction du nombre des médecins ! Ce serait même plutôt l’inverse, car la prévention, quant à elle, diminue exponentiellement avec le nombre des soignants.

Au lieu d’investir dans la prévention, dans ce qui construit la santé, c’est-à-dire dans la préservation de l’environnement (de l’air, de l’eau, de la biodiversité), de l’agriculture biologique, des circuits courts, on a fait l’inverse. Sans se soucier des pollutions, ni des déchets produits, on a favorisé la mondialisation, les échanges de toutes sortes et toutes les sources de gaspillages inconsidérés de ressources naturelles. Pire, on n’a pas investi dans la recherche, ni même dans la prise en charge thérapeutique juste suffisante.

Si ce modèle désastreux ne concernait que la santé, on pourrait se rassurer et se dire que cela ne concernera que le présent. Mais ce modèle désastreux d’économie et de rentabilité financière immédiate concerne aussi l’éducation, la justice, la recherche, l’agriculture, la culture et de nombreux services publics qui définissent et construisent notre avenir et celui des générations futures au niveau local, mais aussi au niveau global.

Alors, chercher dans l’urgence des responsabilités et des culpabilités - car elles sont nombreuses - devra surtout, chaque fois que nécessaire, permettre dans le temps de rendre à chacun justice.  Et cela devra, aussi et surtout, nous permettre de réfléchir, de concevoir et construire des modèles plus pertinents, plus humains et surtout plus durables qui soient dans l’intérêt des êtes humains, des êtres vivants et de leur écosystème sans lequel ils ne peuvent simplement pas vivre.

Il faut donc chercher dans le constat terrible de cette pandémie, comme de celles qui ont précédé (dont on n’a mesuré ni l’importance, ni la gravité des alertes malgré leur nombre*) les nombreux enseignements qui pourraient nous permettre de ne pas reproduire les mêmes erreurs que celles que nous observons aujourd’hui.

La crise actuelle n’est pas financière. Elle est dans l’économie réelle, les chaînes de production sont interrompues ou gravement altérées (alimentation, santé, entreprises). A ce jour, l’injection d’argent par les banques centrales arrive sur les marchés, pas dans l’économie réelle.

Il est urgent de lancer et relancer l’industrialisation verte pour relocaliser les productions et ne plus dépendre d’une économie mondiale si fragile que les grandes villes (sans aucune autonomie alimentaire) sont au bord du rationnement. Il est très urgent de préserver l’environnement et la biodiversité. Il est impératif de retrouver des modèles qui protègent l’alimentation, la santé, l’environnement, l’éducation, la justice qui sont indispensables non seulement au respect de nos droits fondamentaux, mais surtout à l’existence même de nos vies.

L’ampleur du désastre à la sortie du confinement aura des conséquences humaines, financières qui nécessiteront de nouvelles pratiques. Ce n’est pas de notre capacité à concevoir ces nouvelles pratiques, ces nouveaux modèles, à les inventer, à les améliorer dont il faut s’inquiéter, c’est de notre volonté, de notre détermination à les mettre véritablement, rapidement et complètement en œuvre.
Je conseille à chacun de voir ou de revoir le film de Fred Vargas sur La Troisième Révolution qui ouvre bien le débat.

Alors quelles leçons en tirer ?

- Quand on réfléchit avec une bourse de pièces de monnaie en guise de système de compréhension, au mieux on mange et on respire du métal. Au pire, on meurt à côté d’un tas d'argent.
- Quand on n’apprend jamais rien de ses erreurs, on les reproduit indéfiniment.
- Quand on veut apprendre, il faut d’abord comprendre.Il faut donc d’abord entendre et être capable de remettre en question ses certitudes. Alors seulement on devient capable d’inventer de nouveaux possibles.

« Ce n’est pas parce que les choses sont impossibles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont impossibles » (Sénèque).

Série non exhaustive d'exemples de zoonoses transmises à l’homme

• 1996 crise de la vache folle transmise à l’homme, maladie de Creutzfeldt-Jakob, à cause de l’alimentation des vaches avec des farines animales contaminées au Royaume Uni

• 1997 H5N1 élevage des poulets à Hong Kong

• 2002 SRAS bétail en Chine

• 2009 H1N1 élevage de porc au Mexique

• 2013 H7N9  marche de volailles à Shanghai

• 2019 Covid19 marché d’animaux sauvages en Chine

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonne analyse. Malheureusement je crois que l'ampleur du confinent tient plus des craintes des gouvernants à l'énorme crise économique et sociétale qui était prête depuis 2008 et s'est déclanchée simultanément sur tous les continents. les dominants ont ainsi resserré les dispositifs répressifs et de contrôle qu'ils avaient déjà mis en place durant les attentats. Nos libertés sont menacées et avec elles les possibilité d'inventions sociales nécessaires à la survie de la population par l'émergence d'une nouvelle société. Ce seront des démocratures...
Hugues Morange