dimanche 9 décembre 2012

Rencontre avec Jérôme Duhamel
73 ans après
les nouvelles aventures
des Pasquier


Le petit-fils de l’académicien Georges Duhamel vient de donner une suite à la saga des Pasquier créée par son grand-père. 73 ans après ! L’ancien journaliste récemment installé en Charente-Maritime a pris un plaisir extrême à faire revivre les personnages de son aïeul. Ils n‘ont pas pris une ride… 

Jérôme Duhamel a travaillé pour Paris Match, l’Express, le Figaro, RTL, France Inter (chroniqueur à l’émission Le Fou du Roi) ainsi que dans l’édition (directeur littéraire chez Albin Michel). Il a publié dès 1984 « Le grand méchant dictionnaire », des bêtisiers et divers livres de citations avant de présenter son premier vrai roman en donnant une suite au clan Pasquier (Flammarion).
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Jérôme Duhamel, parlez-nous de votre carrière. Vous avez été journaliste avant de devenir romancier… 


Je suis devenu journaliste très jeune, à vingt ans. j’étais mineur à l’époque puisque la majorité était à 21 ans ! Depuis que je suis tout petit, j’avais envie d’écrire. Cette passion était familiale. Enfant, je vivais dans le même immeuble que mon grand-père, Georges Duhamel, qui était membre de l’Académie Française. Face à cette figure un peu trop encombrante pour moi, je suis devenu plus modestement journaliste. C’est une autre façon d’écrire ! Je m’aperçois que j’ai attendu beaucoup de temps avant de publier mon premier roman.


• Qu’aviez-vous publié auparavant ?
 
J’ai fait beaucoup de livres humoristes. J’aimais bien l’ironie, l’insolence, la dérision. J’ai fait des livres de citations, des bêtisiers. J’ai eu du succès pendant presque 20 ans. Ensuite, j’ai pensé que le moment était venu de passer à autre chose. J’ai d’abord écrit un essai. Mon éditeur m’a alors encouragé à publier de «vrais livres», selon sa propre expression. J’ai eu l’idée de reprendre la saga des Pasquier. Mon grand-père avait écrit dix livres sur l’histoire de cette famille qui était, de façon très romancée, l’histoire de sa propre famille. Ces personnages de roman avaient remporté un énorme succès. Même s’il est dans le purgatoire aujourd’hui, il faut se souvenir que Georges Duhamel était l’un des auteurs les plus lus de l’Entre-deux-guerres.

• Dans ce nouvel ouvrage, vous écartez-vous des aventures familiales ou bien les faits relatés sont-ils liés à la réalité ?
 
Je fais vivre de nombreuses aventures au héros de mon roman dans le milieu littéraire et politique de l’époque, dans lequel vivait effectivement mon aïeul. J’ai retrouvé des notes, des écrits, des journaux intimes de mon grand-père. L’action se situe avant et au début de la Seconde Guerre Mondiale, avec une partie pendant l’Occupation. C’est une époque intéressante. Mon grand-père siégeait à l’Académie Française et avait à côté de lui un homme qui s’appelait Pétain et qui allait devenir le chef de l’Etat français avec le destin qu’on sait. J’ai eu accès à de nombreux documents. Je me suis donc appuyé sur des vrais « matériaux » pour, ensuite, raconter une histoire avec la liberté du romancier. L’intrigue amoureuse que vit Laurent Pasquier a existé, d’une autre façon, pas tout à fait au même endroit et à la même époque, mais elle a existé ! Ce qui est intéressant avec les personnages de roman, c’est qu’ils prennent leur envol tout seuls. On les suit plus qu’on ne les dirige !
 


• Comment votre famille a t-elle accueilli le retour des Pasquier ?
Elle a été bien accueillie par les gens de ma famille et de mon entourage qui connaissaient cette histoire de plus près. De plus, les événements se déroulent à une période que les gens connaissent assez peu, celle de l‘avant guerre, de la drôle de guerre. On l’a souvent caricaturée sans savoir réellement ce qu’elle renferme. Ce livre raconte des choses qui sont vraies sur ces années difficiles. Il était nécessaire d’expliquer pourquoi et comment la France était à 100% pétainiste au départ. Les lecteurs ont besoin d’en savoir davantage car on vit sur des clichés qui datent de l’immédiat Après-guerre. La traque des Juifs n’a pas commencé subitement en 1939 ou en 1940. Elle avait débuté dès l’arrivée des Nazis au pouvoir, c’est-à-dire dès 1933. Tous les gouvernements savaient précisément de la manière dont on traitait les Juifs et avec eux d’autres minorités dont les handicapés physiques ou mentaux, les tziganes, les homosexuels. Ces agissements étaient connus bien avant le début officiel de la Seconde Guerre Mondiale. On savait ce qui se passait en Allemagne, mais ce n’était pas écrit dans les journaux. L’omerta était liée au fait que les grandes puissances ignoraient comment les choses allaient tourner, quels étaient les desseins exacts d’Hitler. Les Etats Unis ne voulaient pas intervenir. Ils sont entrés assez tard dans cette guerre, l’opinion américaine était contre. Il y avait une énorme chape de silence.


Photos d'archives aimablement prêtées par la famille Duhamel
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On dit souvent que la population allemande ne savait pas ce qui se passait dans les camps... 
 
Elle savait sans savoir. Elle devinait qu’il se passait des choses, mais on ne pouvait pas parler dans l’Allemagne d’alors. Chaque parent, ami ou voisin était peut-être un informateur. C’était très compliqué. C’est toute cette complexité que j’ai tenté de faire passer dans ce roman. Avant de commencer à écrire ce livre, j’ai travaillé pendant presque une année. Je ne suis pas de la génération de la guerre. J’ai beaucoup lu, interrogé, regardé, écouté, consulté des documents. On ne peut écrire sur une telle période sans maîtriser son sujet.
 


 • Les Pasquier vivront-ils de nouvelles aventures ? 
 
Mon éditeur a l’air partant et j’en suis heureux ! En général, j’ai horreur de terminer un livre parce qu’on est obligé d’abandonner les personnages qu’on a aimés. Dans ce roman, c’est encore plus vif puisque j’ai redonné vie aux êtres mis en scène par mon grand-père il y a 73 ans. Maintenant qu’ils sont de retour, j’ai envie de rester avec eux ! Mon préféré est sans doute le narrateur, Laurent Pasquier. Il y aussi des gens que mon grand-père a côtoyés comme Paul Léautaud, François Mauriac. Pudiquement, je l’ai appelé François Desqueyroux...

Avez-vous l’impression de perpétuer une tradition littéraire familiale ?
Non. J’essaie de faire ce travail avec passion tout en restant modeste. J’ai repris simplement l’histoire d’une famille, celle des Pasquier. On pourrait dire que toute ressemblance avec des personnages de roman ayant existé n’est pas purement fortuite ! 



 

 

Confidences

• Au sujet de François Mauriac, parrain de Jérôme Duhamel : « Nous le voyions relativement souvent. Il était gentil, attentif mais pas très expansif. Il avait une haute opinion de la littérature et du journalisme. C’était une sorte de conscience de son époque ». 



Dans l'album des souvenirs

 
• D’où vient l’idée du titre ? 
Dans Booz endormi, Victor Hugo parle de «l’heure où les lions vont boire». Ce fut un déclic. J’ai alors pensé à ce titre pour mon roman : « l’heure où les loups vont boire» .


  
• La Charente-Maritime
 : « Ce département m’inspire. Le climat me va bien. Je l’ai découvert assez tard. J‘ai toujours vécu à Paris. Je suis bien ici ». 



 • Rebelle à l’occupant, Georges Duhamel (sur cette photo à gauche avec son petit fils Jérôme) était médecin, écrivain et poète. Rendu célèbre par la saga des Pasquier, il est entré à l’Académie Française en 1935 dont il fut Secrétaire perpétuel. Dès 1940, une partie de son œuvre fut interdite par les Allemands qui mirent, sur la liste Bernard des ouvrages interdits par la Gestapo, trois de ses livres. La situation s’aggrava puisqu’il fut interdit de toute publication en 1942. Durant cette période sombre, il s’opposa ouvertement aux membres pétainistes de l’Académie française. La paix revenue, il devint président pour le renouveau de l’Alliance Française après-guerre. Charles de Gaulle qualifiera Georges Duhamel de « secrétaire perpétuel, illustre et courageux ».

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