Le bon sens paysan près de chez nous !
Samedi 5 novembre, l’agronome Marc Dufumier animait une conférence au centre des congrès de Jonzac où il était l’invité de la Communauté de Communes et du Conseil de développement qui viennent de lancer une démarche de projet alimentaire sur le territoire.
De gauche à droite, Estelle Leprêtre, Christophe Pavie, Marc Dufumier, Nathalie de Poix, Vincent Badie |
Favoriser l’évolution des modes d’exploitation agricole, développer les filières bio, réduire l’usage des pesticides, acheter directement du producteur au consommateur sont autant de questions qui reviennent dans le débat national. Changer nos habitudes n’est pas facile compte-tenu qu’il faut produire plus et moins cher. Réactive face à de tels enjeux, la communauté de communes de Haute-Saintonge a initié un projet alimentaire de territoire. « Le contexte actuel, avec les conséquences des crises successives, nous pousse plus que jamais à une indépendance alimentaire. Il nous faut pour cela donner corps à ce projet à partir des initiatives existantes en prônant une approche intégrée pour co-construire à court terme, avec les acteurs, les outils méthodologiques indispensables, et en émettant les préconisations aptes à mieux intégrer le projet alimentaire dans les politiques publiques locales. Bien vivre, c’est bien se nourrir » explique Nathalie de Poix, vice-présidente du comité de développement.
Les enjeux mondiaux : nourrir et satisfaire les besoins de la population, assurer une alimentation de qualité, enrayer l'exode rural, promouvoir le développement durable |
• Quelle agriculture pour demain ?
Qui mieux que Marc Dufumier pour développer ce sujet d’actualité, lui qui a dirigé la chaire d'agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech ? Enseignant, chercheur, spécialiste des systèmes agraires et de leur évolution, il a assisté, comme beaucoup d'entre nous, à l’arrivée de la "modernité", l’instauration d’une politique agricole visant à créer des espaces de culture toujours plus grands pour constituer d’immenses parcelles à l'aspect impeccable après labour… dont l’inconvénient est de ne plus retenir les eaux de ruissellement. L’accroissement des produits phytosanitaires, nécessaires pour combattre maladies et prédateurs, a augmenté les rendements, mais les pesticides suscitent des interrogations. On se souvient du long combat judiciaire qui a opposé un agriculteur charentais à une firme américaine. D’autres cas ont été exposés par la presse, dont un viticulteur de la région de Jonzac.
Marc Dufumier : « Ce n'est pas la planète qui est en danger, c'est nous ! »
Il est vrai que depuis sa naissance, la Terre a vécu de nombreux cycles. Réchauffements, glaciations, dérives des continents, éruptions volcaniques, extinctions. Liste non exhaustive. Alors que les signes d'un nouveau réchauffement sont perceptibles, que l'Ukraine, l'un des plus grands producteurs et exportateurs de céréales, a été attaquée par la Russie, comment faire pour nourrir une population croissante en privilégiant la qualité nutritionnelle ? Marc Dufumier dresse le bilan du contexte actuel où l’on remarque l’accentuation des accidents climatiques, l’élévation des températures, l’extension des villes sur les terres agricoles, la raréfaction des ressources naturelles non renouvelables (énergies fossiles), l’accroissement de leur coût et d’importants mouvements migratoires. « Un système agricole durable est possible » estime le conférencier. 840 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde et trois milliards ont des carences nutritionnelles. « En conséquence, on nous dit de produire toujours plus, mais dans quelles conditions ? La première cause d’émission de gaz à effet de serre, à l’échelle mondiale, c’est la déforestation, notamment amazonienne, qu’impose la culture de soja nécessaire à l’alimentation des élevages industriels. Dans l’Union européenne, 90% du soja consommé par les animaux d’élevage est importé. D'autre part, au lieu d'acheter des produits de synthèse fabriqués avec du gaz russe, les agriculteurs pourraient planter du trèfle, de la luzerne, du sainfoin ou toute autre légumineuse qui apportent naturellement de l'azote au sol. Nous ne retrouverons notre souveraineté nationale qu’en produisant des protéines végétales ». Au passage, notons la flambée des engrais azotés, fertilisants largement utilisés en France, dont les prix ont augmenté de 300% en un an, situation qui déstabilise, voire met en péril les finances des exploitations.
Marc Dufumier évoque également les perturbateurs endocriniens « qui pourraient avoir des effets sur la santé. La jeunesse est la plus concernée car les précédentes générations y étaient moins exposées ». Et d’enchaîner « nous avons pris 30 ans de retard. Avez-vous encore le moral ? » demande-t-il à la salle qui sourit à l’interrogation. « Le modèle d’agriculture que nous observons depuis des décennies montre ses limites. Nous devons nous diriger vers une agriculture diversifiée qui ne met pas tous ses œufs dans le même panier ». Avec une priorité : « faire le plus grand usage possible de l’énergie solaire et du carbone de l’air : que pas un rayon du soleil ne tombe à terre ». Il lui semble intéressant de « favoriser l’infiltration, puis la rétention de l’eau dans la couche arable ; de pratiquer des associations culturales et couvertures végétales permanentes ; de planter des légumineuses dans les rotations et les assolements afin de favoriser la fixation biologique de l’azote de l’air ; de réconcilier agriculture et élevage ; de reconstituer l’humus de sols ; de chercher des éléments minéraux en profondeur et de les restituer à la surface ». Il préconise le retour « au bon sens paysan », celui d'une époque où le monde, moins matérialiste, n'était pas pris dans l'étau de la productivité.
Marc Dufumier est expert auprès de la Banque mondiale et de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation (FAO). Merci à lui de nous avoir fait partager ses expériences |
Aujourd’hui, une prise de conscience s’opère résultant de la préoccupation légitime des jeunes à vivre dans une nature préservée. De plus en plus d’agriculteurs changent leurs modes de culture en les diversifiant (bio), en utilisant des insectes auxiliaires, du fumier, en mettant d'autres variétés dans les rotations, en replantant des haies. Ils s’inspirent des méthodes de leurs aînés qui, loin d’être démodées, étaient en harmonie avec l’environnement. Dans ce domaine, le film « Tapis Vert, l'homme qui arrêta le désert » de Claver Yameogo, est révélateur : Après avoir constaté l'avancée rapide du désert dans son village, Yacouba Sawadogo décide de tout abandonner pour lutter contre ce sol aride en pratiquant une technique spéciale et ancestrale. Et ça marche ! Cette histoire, joliment racontée, est une porte d’entrée sur l’agroécologie : « L'essentiel, c’est de rendre le secteur agricole attractif en permettant un revenu décent. Si on veut changer, on peut commencer la transition écologique très rapidement. Nous le pouvons si nous en avons la volonté. Aujourd’hui, tout est mondialisé. A titre d’exemple, le prix du blé est indexé sur la bourse de Chicago ! ». Une prise en compte est d‘autant plus importante que le nombre de suicides chez les agriculteurs est alarmant…
La rencontre se poursuit par un débat dont l’intervention de Michel Amblard, de la Chambre d’Agriculture. Ce sexagénaire, qui a vécu les transformations du monde agricole, s’inquiète de l’avenir de la profession. Côté consommateurs, on constate que les filières courtes sont appréciées (ventes directes sur les marchés, paniers hebdomadaires de fruits et légumes, magasins comme Les Délices de Saintonge à Jonzac où des producteurs se sont regroupés sur un même site). Pour leurs enfants, les parents souhaitent des menus sains et équilibrés dans les cantines élaborés en partenariat avec des exploitants locaux.
Bref, le sujet est vaste et ce ne sont pas les terribles images des affrontements de Sainte-Soline (création de méga bassines) qui vont adoucir les différentes positions sur la manière de cultiver la terre. En l'attente, on peut toujours entretenir son propre potager et obtenir de belles tomates à la saison !
Accueil de Marc Dufumier au centre des congrès |
• Le Centre des congrès accueillait une exposition et une conférence autour du PAT (projet alimentaire territorial).
• De nombreux élus et acteurs du projet alimentaire territorial (PAT) participaient à cette conférence. Autour de Marc Dufumier, Nathalie de Poix, vice-présidente du Conseil de Développement, Christophe Pavie, maire de Nieul le Virouil, élu référent et animateur des débats, Estelle Leprêtre, sous-préfète de Jonzac, Claude Belot, président de la CDCHS, Fabienne Dugas Raveneau, coordinatrice du Contrat Local de Santé de Haute-Saintonge au sein du Conseil de développement, Vincent Badie, maire adjoint de Cercoux, Marie-Reine Sciard, conseillère régionale, Jeanne Blanc, conseillère départementale, l’AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), etc.
• Le Projet Alimentaire Territorial (PAT) de la CDCHS définit une stratégie, des objectifs et des actions partagées entre les multiples acteurs économiques et institutionnels de Haute Saintonge.
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