Les guides vont devoir actualiser leur discours, les sondages réalisés au début de l’été 2021 bousculent ce que l'on croyait savoir sur l’amphithéâtre de Saintes. Mais c’est tout l’intérêt de l’archéologie que de remettre en question nos certitudes. Le résultat des fouilles réalisées par l’équipe de l’archéologue Bastien Gissinger du service d’archéologie départementale de Charente-Maritime (SAD17), révèle que l'édifice de spectacle est plus ancien qu'on ne le pensait et qu'il aura été utilisé plus longtemps qu'on ne l'imaginait.
Par Romain Charrier de la Société d'histoire et d'archéologie de Chte-Mme
L'archéologue Bastien Gissinger présentant le résultat des sondages dans l'arène de l'amphithéâtre de Saintes lors des Journées du Patrimoine © R.Charrier |
En préambule de sa conférence sur le résultat des sondages qu’il a réalisé dans l’édifice de spectacle pour le Service Départemental d’Archéologie de la Charente-Maritime, l’archéologue Bastien Gissinger rappelle que l’amphithéâtre a été dégagé à partir de la fin du XIXe siècle, qu’il y a eu de nombreuses fouilles au cours du XXe siècle et que Louis Maurin, l’historien et archéologue de référence à Saintes, a daté l’achèvement de sa construction pendant le règne de l’empereur Claude (41 - 54 de notre ère), pour un abandon à la fin du IIIe siècle, au moment de l’édification du rempart du bas-empire.
Cette proposition de datation a été faite suite à la découverte d’une dédicace (aujourd’hui disparue) attribuée à l’empereur Claude, retrouvée dans l’amphithéâtre lors de son dégagement. Cependant Bastien Gissinger estime qu’il faut être prudent, cette inscription a été trouvée hors contexte, elle n’est donc qu’une hypothèse. La seule certitude avant les sondages, c'est que l’édifice de spectacle est l’un des plus anciens de Gaule.
Une construction dès le règne Auguste ?
Les trois semaines de sondages ont été riches en informations. Un bloc massif percé pour accueillir un mât amovible a été mis au jour au centre de l'arène. Le niveau de sol antique était bombé pour faciliter l'écoulement, il a été retrouvé 2,90 m au-dessous du balteus, le garde-corps qui protège le podium de l’arène. La gestion des eaux de pluie et le drainage était un système perfectionné dès l’origine et entretenu régulièrement. Les sondages ont mis au jour un caniveau central, un autre faisant le tour de l’arène, un bassin de décantation taillé dans la roche, le tout drainé à l’extérieur dans un égout qui menait jusqu’à la Charente. Le monument étant construit au creux d’un vallon, son drainage et son entretien étaient indispensables pour son bon fonctionnement. L’édifice a commencé à se combler dès qu’il n’a plus été entretenu.
L’archéologue évoque ensuite la carrière d’extraction calcaire qui a été retrouvée lors des sondages. Il indique que cette carrière a été réalisée en prévision de l’aménagement de l’amphithéâtre puisque son creusement respecte l’ellipse du monument. Elle a servi à la construction de l’édifice de spectacle par l'extraction de blocs de grand appareil (certains ont été retrouvés au milieu de l’arène, sous le niveau de sol d’origine, peut-être abandonnés après avoir été brisés). L’archéologue révèle que la céramique retrouvée dans les niveaux de cette carrière antique est datée de la période augustéenne (- 27 à + 14), indice d'un début de construction du monument plusieurs décennies avant ce qui était supposé jusqu’alors.
Une importante rénovation à la fin du IIIe siècle
Le caniveau périphérique découvert, constitué de madriers en bois de chêne, devait être recouvert de planches. Le bois a été conservé grâce à l’humidité permanente du sous-sol. La dendrochronologie (l’étude des cernes des bois) a permis de dater l’abattage au troisième quart du IIIe siècle de notre ère. La datation au radiocarbone de charbons retrouvés dans les niveaux de construction de l’égout central semble indiquer qu’il ait également été reconstruit à cette période. De même, les orthostates (blocs de pierre dressés entourant l’arène) semblent aussi avoir été démontés, puis remontés à cette époque. Toutes ces informations indiquent un important chantier de réhabilitation du monument à la fin du IIIe siècle, un investissement coûteux sur l'ensemble du système de drainage de l’amphithéâtre posant la question du supposé déclin de la ville au début du Bas-Empire.
Venue de Roselyne Bachelot, ministre de la culture, à l'amphithéâtre pour les journées du patrimoine |
Quatre siècles d'utilisation
Le mobilier archéologique retrouvé (monnaies, céramique, etc.) lors des sondages archéologiques s’étale du Ier siècle jusqu’à la première moitié du IVe siècle, indiquant une période d’utilisation de l’édifice de spectacle bien plus large qu'on ne l'imaginait. Le niveau de sol d'origine en sable est le seul existant, entretenu pendant des siècles. Il n’y a pas plusieurs niveaux de sable, les strates successives observées au-dessus lors des sondages correspondent aux colluvionnements accumulés après l’arrêt de l’entretien du site. Le monument coûtant trop cher à entretenir, il tombera en désuétude. Cet abandon peut aussi correspondre à l’interdiction des jeux par l’empereur Théodose Ier en 393. C’est alors que l’édifice a commencé à se combler. La seule trace d’occupation qui suit est un habitat plus haut dans la cavea, daté du VIIIe siècle, qui avait été mis au jour il y a quelques années par le même archéologue.
Depuis cette conférence, les archéologues du Département de la Charente-Maritime et de l’Inrap ont réalisé fin septembre, une modélisation 3D des vestiges (photogrammétrie), afin de conserver une image virtuelle de l'amphithéâtre avant les restaurations à venir, un outil précieux pour les chercheurs.
Bastien Gissinger indique que de nouvelles fouilles préventives pourront avoir lieu en amont des restaurations sur les trois prochaines années. Le dégagement intégral de l'arène pourrait intervenir dans les deux années à venir. Les scientifiques vont accompagner les équipes pendant le chantier, certaines restaurations du XXe siècle seront retirées et refaites.
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