lundi 2 mai 2011

Traite négrière et esclavage


Le colloque organisé récemment sous l’égide du Ministère de la Culture et de la Communication et du Conseil général de Charente-Maritime, à l’Université de la Rochelle, avait pour thème "Les patrimoines de la traite négrière et de l’esclavage".


• Intervention de Jean-Claude Beaulieu, vice-président du Conseil général :

Bernanos nous avait prévenus : « Ne pas revenir sur le passé, c’est la meilleure façon que ce passé revienne vers nous ». Hélas, la société moderne nous amène à vivre dans un temps fracassé, qui nous égare à tout moment, ayant depuis plusieurs décennies cassé tous ses codes.
« Dans quelques points, nos yeux sont frappés d’une lumière éclatante, mais d’épaisses ténèbres couvrent encore un immense horizon » écrivait Condorcet en 1791.
Et si d’épaisses ténèbres ne couvrent plus un immense horizon, on peut encore dire que la traite négrière et le problème de l’esclavage restent marginalisés dans l’imaginaire sociétal et le récit national français. C’est dire l’intérêt de ce colloque international organisé à La Rochelle, sous l’égide du Ministère de la Culture et de la Direction du Patrimoine.

La valorisation des patrimoines liés à la traite négrière prend aujourd’hui de multiples chemins correspondant à une triple fonction : permettre d’atteindre un public nombreux et divers de tous âges et de toutes origines ; montrer que cette histoire est faite de réflexions historiques, de mise en perspective et d’analyse des sources ; d’offrir à chacun la possibilité d’en extraire "la substantifique moelle" comme disait Rabelais.

Ce colloque s’inscrit dans une politique menée depuis de nombreuses années avec François Blaizot, Claude Belot et maintenant Dominique Bussereau : politique de recherches et d’opérations patrimoniales permettant aux professionnels concernés de pouvoir, en explorant des perspectives trop souvent délaissées, collaborer sur une thématique nouvelle et contribuer ainsi à améliorer des connaissances dans des domaines aussi sensibles pour la mémoire collective que celui qui nous réunit aujourd’hui. Par ce double travail d’analyse et de transmission, on pourra ainsi contribuer à faire reculer les non-dit et les a priori. C’est le sens des recommandations faites en 2005 par le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage voulu par la loi mémorielle Taubira du 10 mai 2001 dont on célèbre aujourd’hui l’anniversaire.
Je forme le vœu que la qualité et la richesse de ces travaux permettent de faire évoluer de façon objective la perception que nous avons de ce sujet sensible et controversé, ouvert aux polémiques et trop souvent instrumentalisé à de basses fins politiciennes.

Il est utile de rappeler que l’esclavage et la traite négrière n’ont été inventés ni par la Monarchie, ni par la République française. Le trafic des enchaînés, la dialectique du maître et de l’esclave, la sujétion des vies humaines remontent à des temps plus anciens où les hommes ont compris l’intérêt de transformer en « travailleurs auxiliaires », dont le niveau de vie réduit lui permettait d’améliorer le leur, l’ennemi vaincu ou le débiteur.

Dans l’Europe coloniale du lendemain des grandes découvertes, les Portugais, les Espagnols, les Néerlandais, les Britanniques ont rivalisé avec la France dans le système d’exploitation des Noirs d’Afrique … dont il faut d’ailleurs rappeler qu’ils étaient eux-mêmes objets de commerce de la part de leurs potentats locaux où, dans une savane livrée à l’anarchie et aux brigandages, les rivalités entre ethnies débouchaient sur des conflits sanglants, dont les prisonniers étaient alors transformés en « marchandises » destinées à l’exportation.

Carte ancienne

Il est intéressant de rappeler un point d’histoire. Le 3 juillet 1315, le roi de France, Louis X, publie un édit selon lequel le sol de France affranchit l’esclave. Aussi, la traite, initiée par les Portugais en 1441, n’est-elle pas pratiquée en France et il faudra attendre 1594 pour voir une expédition négrière française.

Tout bascula en 1674, date à laquelle les colons de Martinique, suite à une chute du cours du tabac, se tournèrent vers la culture de la canne à sucre, nécessiteuse d'une très importante main d’œuvre. A la veille de la Révolution, plus de 600.000 esclaves travaillaient dans les plantations sucrières des Antilles.
Des études nouvelles ont permis d’avoir une vue moins réductrice, en montrant que le trafic des esclaves est un fait auquel toutes les civilisations et les nations ont adhéré, depuis le temps des fils d’Adam jusqu’à aujourd’hui.

Le monde musulman reste, à côté du monde chrétien, très attaché à une tradition que le Coran légitime, en préconisant cependant de ne pas maltraiter les esclaves, et tout particulièrement l’esclave croyant.

Le peuple d’Israël admettait aussi l’esclavage, en adoucissant la pratique par rapport aux peuples alentours, ayant été marqué par la libération du joug égyptien et la captivité à Babylone.
Enfin, gardons toujours en mémoire que pendant plus de mille ans, les califes orientaux ont dépensé des fortunes, pour se procurer sur les marchés aux esclaves, les plus beaux « articles », hommes, femmes et enfants en provenance des pays occidentaux.

Jusqu’au XVIème siècle, la traite négrière fut ainsi le quasi monopole du monde musulman, qui poussait même jusqu’aux rivages chinois, à Canton, le développement de ce commerce.
Dès lors, on comprend la complexité du sujet et la nécessité d’analyser le problème pour en tirer des enseignements pour l’avenir humaniste de notre société et comprendre comment a émergé l’idée que l’esclavage est une insulte à l’humanité.

Le mouvement abolitionniste ne se cristallisa qu’à la fin du XVIIIème siècle de part et d’autre de l’Atlantique. Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’objectif était de mettre un terme total et définitif à la traite et à l’esclavage comme institution.


Sans doute la France ne fut-elle pas la dernière à abolir l’esclavage. Ce n’est qu’après un siècle d’effort, de combats et d’oppositions qu’en 1888, le Brésil devient le dernier pays d’Amérique à abolir l’esclavage. Mais, dans ce véritable combat international en faveur des droits de l’homme, la France a joué une partition dont elle n’a pas à rougir, ayant su s’appuyer sur les valeurs désintéressées et universelles de Condorcet et de Montesquieu.
Finalement, après un échec en 1794, l’esclavage fut définitivement aboli par la deuxième République en 1848, avant donc les Etats-Unis en 1865 et le Brésil en 1888.

A la suite de Gilles Deleuze et d’Albert Jacquard notamment, après le siècle des Lumières et celui des révolutions scientifiques, vient celui de l’éthique, du respect de la personne humaine dans sa diversité et sa complexité de pensée.
On voit bien l’importance des travaux entrepris depuis quelques années. Ils témoignent d’un changement de problématique, d’un décentrement du regard, d’une recherche plus ouverte, de la multiplicité des phénomènes de la traite négrière, de l’esclavage colonial et de leur abolition. C’est un enjeu majeur dans notre société, car on sent bien qu’il en reste de nombreuses cicatrices dans les mémoires qui peuvent faire le lit des exploitations les plus partisanes. Nous vivons dans un monde en perpétuelle évolution, en perpétuel devenir. La décolonisation, la mondialisation des échanges expliquent cette demande et ce besoin d’une lecture claire et non partisane de l’histoire.
Il est ainsi de notre devoir, mais aussi de notre dignité de répondre à cette attente et n’oublions jamais comme l’écrivait Hegel : « Il n’y a d’histoire que là où il y a la liberté ».

1 commentaire:

Pierre Soulard, lecteur assidu de votre blog. a dit…

Le monde musulman reste, à côté du monde chrétien, très attaché à une tradition que le Coran légitime, en préconisant cependant de ne pas maltraiter les esclaves, et tout particulièrement l’esclave croyant.... Vraiment n'importe quoi. Les esclaves dans les pays musulmans étaient émasculés dès leur arrivée. Ce qui explique pourquoi on trouve aujourd'hui des descendants d'esclaves noirs en Amérique, mais par contre aucun dans les pays du Magreb.