Lundi matin, Stéphane Brossard, nouveau Président du Tribunal de Grande Instance de Saintes, était installé dans ses fonctions lors de l’audience solennelle de rentrée.
Pour les acteurs du monde judiciaire, l’audience solennelle de rentrée est l’occasion d’exprimer leurs points de vue sur l’actualité. La justice en fait partie. Les réformes se succèdent et la réorganisation de la carte judiciaire a soulevé des vagues, entraînant de vifs mécontentements. Rachida Dati, alors Garde des sceaux, s’en souvient encore.
Cette année, le projet de suppression du juge d’instruction a été soulevé par Philippe Coindeau, procureur de la République. Face à lui, parlementaires et personnalités influentes ont tendu l’oreille.
Parquet mouvant
« La justice est une nouvelle fois tumultueuse » dit-il. À commencer par une autre réforme en cours, celle de la garde à vue. Rappelons que la garde à vue, c’est la privation de liberté, par la police ou la gendarmerie, d’une personne suspectée d’avoir commis un délit ou un crime.
Fin 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation de la charte européenne au motif que la privation de liberté ne serait pas accompagnée des droits de la défense. Dans la foulée, le Conseil constitutionnel a dit que « la loi Guigou est contraire à la Constitution » et la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette situation en invalidant un certain nombre de procédures pénales.
D’où la réflexion de Philippe Coindeau : « une ère d’insécurité juridique a été créée qui perdurera jusqu’à la promulgation de la nouvelle loi ». En effet, selon les tribunaux, un prévenu peut être condamné ou échapper à une condamnation en voyant la procédure annulée. Actuellement, certaines auditions de personnes suspectées se font sans garde à vue, dans le cadre fixé par la Cour de cassation. « Il semble que l’on privilégie l’idée que toute déclaration recueillie sans la présence d’un avocat par la police ne pourra être retenue pour fonder la culpabilité. Si cette solution est adoptée, nous arriverons à la situation contraire que celle qui est souhaitée, avec le choix d’une garde à vue par les OPJ afin d’être sûr que les déclarations obtenues pourront constituer des éléments de preuve ». Autrement dit, tout le monde sera placé en garde à vue !
Me Marie-Ange Lamouroux (premier rang à gauche) présidera aux destinées de l’ordre des avocats aux côtés de l’actuel bâtonnier, Me Vincent Huberdeau.
La deuxième inquiétude de Philippe Coindeau concerne la fonction de procureur « garant des droits et des libertés individuelles ». Un arrêt du 15 décembre dernier indique que le Ministère public n’est pas « une autorité judiciaire indépendante » au sens de la Charte européenne des droits de l’homme « au motif qu’il est hiérarchiquement placé sous la tutelle du ministre de la Justice ». Une décision “douloureusement“ vécue par les magistrats du parquet.« Se pose alors la question de la légitimité de notre action » souligne-t-il. « Ma légitimité, je la dois au regard que portent sur moi les magistrats du siège, les avocats. Vous me considérez comme une autorité judiciaire à part entière que je suis ». Et de rappeler le rôle du Ministère public en ce qui concerne l’équité pénale, le contrôle de la garde à vue, l’aménagement des peines…
Des voix répondront à Philippe Coindeau que dans les justices modernes, l’accusation et la défense peuvent être à armes égales, sous l’arbitrage d‘un juge, et que l’autorité judiciaire dont se pare le parquet lui donne à l’évidence une supériorité sur les droits de la défense.
Philippe Coindeau, procureur, adressa une pensée amicale à son collègue Gilles Tocanne et lui souhaita un prompt rétablissement.
Les juges soumis à la performance ?
Avant que le nouveau président du TGI, Stéphane Brossard, ne prenne la parole, Bernadette Pragout, vice-présidente du TGI, rend hommage à son prédécesseur, Catherine Jeanpierre Cleva.
Arrivée au terme de son mandat, elle a rejoint la Cour d’Assises de Poitiers. S’étant largement investie dans la gestion du Tribunal de Saintes, « elle savait faire preuve de calme, de fermeté, tout en gardant le sourire. Avec elle, le dialogue était constant et constructif ». Au fil des années, Saintes a d’ailleurs confirmé sa position de capitale judiciaire avec la récente création du tribunal pour enfants, que préside Sandra Lux-Barel, et la Cour d‘Assises qui a traité 21 affaires en quatre sessions l’an dernier.
Bernadette Pragout, vice-présidente, remercia ses collègues et tous ceux qui contribuent au bon fonctionnement du tribunal, dont avocats et fonctionnaires. « Nous travaillons ensemble en bonne intelligence ». Les déficits en personnel, perceptibles en 2010, sont pratiquement comblés.
Après avoir exercé à Rouen, Stéphane Brossard découvre donc la Saintonge et le Tribunal de Grande Instance de Saintes. L’assemblée lui souhaite la bienvenue.
« Le rôle du juge s’est amplifié, il ne rend pas seulement la justice, il est aussi gestionnaire, administrateur » remarque-t-il. « La justice est étrangère à cette nouvelle culture. Son objectif est de rendre une justice de qualité dans des délais raisonnables, au service du citoyen ».
Pourquoi ces bouleversements voulus par le Ministère de la justice ? Faut-il y voir des méthodes de management anglo-saxonnes appliquées à la justice française ? Avec un juge unique ? Le droit s’orienterait-il vers un changement complet de logique ? Les interrogations sont réelles, mais cette vieille querelle est loin d’être réglée. En l’attente de trouver des réponses objectives, de tels changements sont forcément préoccupants pour les personnes qui les vivent.
Cette rencontre se termina par le traditionnel verre de l’amitié, servi dans la salle des pas perdus.
• Quelques chiffres
Au pénal : Dépassant 18 000 en 2010 contre 14 856 en 2009, le nombre des procédures (plaintes) est en augmentation. Plus de 10 000 ont été classées sans suite. 1 183 décisions ont abouti à une condamnation. Une réponse pénale a été apportée à 95,91 % des dossiers.
• Au civil : En 2010, le nombre d’affaires nouvelles a été 3 197 (chiffre en augmentation). Les affaires familiales représentent plus de 50 % de l’activité civile.
En 2010, les TI de Saint-Jean d’Angély et de Royan ont fermé leurs portes. Leurs activités ont été transférées à Saintes.
• Une restauration remarquée
L’entrée du Tribunal de Grande Instance de Saintes, superbe édifice construit entre 1859 et 1863 par Victor Fontorbe et Van Cleemput sur l’ancien couvent des Cordeliers, a retrouvé une nouvelle jeunesse. Cette restauration, effectuée par les Compagnons de Saint-Jacques, met en valeur l’architecture du bâtiment qui se distingue par « ses colonnes gréco-romaines », un clin d’œil au patrimoine souligné par Bernadette Pragout, vice-présidente du TGI. Les travaux d’aménagement intérieur se poursuivent et le port du casque est quasiment obligatoire ! Certains services ont été délocalisés. Les locaux de l‘ancienne gendarmerie, situés derrière le Palais, sont inclus dans le projet de rénovation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire