Depuis les dernières élections, la situation en Iran reste tendue. Comment peut-elle évoluer ? Les tensions intérieures sont évidentes et les observateurs étrangers sont nombreux à suivre les événements qui ponctuent la vie de ce pays.
Xavier de Roux, ancien président des amitiés franco-iraniennes à l'Assemblé Nationale, nous livre ici le fruit de ses analyses :
" La situation en Iran rend incertaine son analyse et perplexe les observateurs. Le point de départ de la crise est parfaitement connu ; ce sont les élections présidentielles de juin 2009. La campagne électorale avait été parfaitement ouverte. C’était même la première fois en 30 ans de république islamique que la parole semblait libre. Les candidats s’affrontaient en direct devant 50 millions de téléspectateurs, tandis que les supporters des candidats défilaient dans la rue et faisaient ouvertement campagne. Il est incontestable que les partisans de Moussavi, l’ancien premier ministre, ont créé une sorte de vague verte bruyante et voyante. Les résultats du scrutin sont d’autant plus frustrants pour cette foule que dès 22h15, le vendredi 12 juin, le quartier général de Moussavi est attaqué par les Bassidji qui brisent les ordinateurs, chassent les militants et ferment le centre. Cette violence est ressentie comme une sorte de coup d’état. Mais alors la foule des manifestants ne demande qu’une chose : que l’on vérifie la régularité du scrutin.
En réalité, le débat est vif au sein de la république islamique. La démocratie peut-elle avoir le droit de cité dans un système qui repose sur la croyance au triomphe final de la religion vraie, et donc sur le respect des règles millénaires de l’interprétation de la charia qui doit faire régner sur terre la justice ? La justice transcendante incarnée par le retour de l’Imam est le symbole même du chiisme. Nul besoin pour cela d’asseoir le pouvoir sur la volonté du peuple puisque ce dernier doit être à l’écoute de la volonté de Dieu. Mais cette volonté de Dieu s’exprime par le représentant sur terre de l’Imam caché, le guide de la révolution, en l’occurrence Khamenei, qui doit représenter le principe de justice.
Or en prenant parti dans cette élection en faveur d’un des candidats, le guide suprême semble manquer au principe de neutralité, et là il devient un simple dirigeant politique, et le régime tout entier entre en contradiction.
Cette contradiction n’a fait que se creuser. On a entendu de hautes autorités religieuses, des savants en religion, se désolidariser de la répression et du pouvoir politique qui l’exerce, car ils sentent bien que c’est la légitimité du régime qui risque d’être mise en cause. Ni l’ancien président Khatami, ni l’ancien président du Majlis, Karoubi, ni l’ancien Premier ministre Moussavi ne sont des ennemis du système. Ils en sont issus. Mais ils savent aussi que la foi et la liberté peuvent s’affronter et se battre et que la foi a besoin de la justice pour vaincre. Le président du Conseil des scrutateurs, l’ancien président Rasfanjani, qui est devenu particulièrement discret, n’en pense pas moins, et il occupe une place incontournable dans la mécanique compliquée de la constitution islamique, puisque son conseil peut mettre fin aux fonctions du guide suprême. Cependant la contestation dans la rue, en s’en prenant justement, non plus au président Ahmadinejad mais au guide suprême, devient une contestation de la république islamique elle-même, ce qui n’était pas le cas au mois de juin dernier.
On entend avancer la théorie du complot venu de l’étranger où bien entendu les Britanniques joueraient un rôle majeur, mais chacun sait que dès qu’il se passe quelque chose en Iran, les Anglais sont responsables. C’est un réflexe conditionné qui fait maintenant sourire les observateurs.
Il n’y a évidemment pas de complot, ni de main de l’étranger, à moins que l’on prenne à Téhéran pour un complot la condamnation des violences et des emprisonnements.
Il y a au contraire une grande interrogation. L’Iran est le grand pays de la région, par sa population, par sa taille, par sa culture, par son potentiel économique. Il fait partie de cette plaque étrange composée du Pakistan, de l’Afghanistan, de l’Iran et de la Turquie, à la jonction des contradictions de l’Islam et du rationalisme occidental. Dans cette partie de la planète, l’injustice économique nourrit la foi en la justice qu’apporte l’Islam qui doit à son tour affronter le besoin de liberté né du rationalisme de l’Occident.
Ainsi s’affronte le couple tumultueux de la liberté et de la foi, et cette querelle n’épargne personne. On voit bien quelles sont les aspirations des classes moyennes, seule la justice sociale peut apporter la paix ".
Xavier de Roux
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