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dimanche 27 décembre 2009
Jonzac :
Qui étaient les occupants de la villa gallo-romaine ?
Qui étaient les occupants de la villa gallo-romaine ? « Une famille puissante qui a pu compter au plan local ou exercer des fonctions publiques dans l’administration ou l’armée » estime l’archéologue départementale Karine Robin qui donnait récemment une conférence au Paléosite de Saint-Césaire.
Dernièrement, le Paléosite de Saint Césaire proposait sa dernière conférence de l’année. L’invitée de cette soirée était l’archéologue départementale Karine Robin. Elle a travaillé durant de nombreuses années sur le site de Barzan, cette formidable cité proche de Talmont qui a totalement disparu. Il s’agissait de Novioregum, dit-on.
Devant un public nombreux, elle avait choisi un autre chantier, tout aussi intéressant, la villa gallo-romaine de Jonzac, présentation accompagnée d’un rapide exposé sur les tombes mérovingiennes fouillées par son collègue, Léopold Maurel, durant l’été devant l’église Saint-Gervais.
A l’époque gallo-romaine, cette villa était occupée par une famille puissante. Par la suite, elle devint la propriété d’une lignée de Mérovingiens, semble-t-il. Eux aussi avaient une position importante dans la société de l’époque, comme en atteste la tombe, riche en mobilier, d’une femme en particulier. En l’attente d’en savoir plus sur ce sujet passionnant, nous vous proposons de partager cet entretien réalisé par le père Pascal Delage. Karine Robin y livre quelques secrets sur la fameuse villa de Jonzac…
Karine Robin, vous terminez actuellement votre sixième campagne de fouilles de la villa gallo-romaine de Jonzac en Charente-Maritime. A quand remontent les premières constructions édifiées ici au bord de la Seugne ?
Le site que nous fouillons, depuis 2003, nous a permis de savoir que dès le Néolithique existait là une occupation ponctuelle, grâce à quelques céramiques retrouvées dans les terrasses alluvionnaires sans toutefois de structures matérielles qui puissent y être associées. Ce n’est qu’aux alentours de l’ère chrétienne, entre - 20 et + 20, qu’une occupation s’installe ici. Elle est matérialisée par une délimitation constituée par un fossé et un bâtiment construit sur poteaux en bois. C’est le premier établissement rural qui apparaît mais nous ne le connaissons que très partiellement et il n’est reconnu que sur une centaine de mètres carrés. C’est donc difficile de savoir exactement ce qu’il en est. Première période intéressante, mais c’est une phase qui ne va pas durer longtemps car elle est suivie d’une période d’inondation et nous avons mis au jour énormément de dépôts alluvionnaires qui ont recouvert cette première occupation. Après ce premier « essai », une première villa sera implantée dans le courant du milieu du premier siècle de notre ère. Cette occupation commencée vers les années cinquante va se prolonger jusqu’au VIIe siècle.
Voilà une longévité assez remarquable ! Une telle pérennité sur un site est-elle exceptionnelle pour l’Aquitaine et vous est-il possible dès maintenant d’identifier des phases significatives d’occupation ?
Une telle longévité de pratiquement sept siècles reste assez exceptionnelle. La plupart du temps, les villae - qui certes sont souvent fouillées de manière partielle parce que leurs découvertes sont d’abord liées à des travaux d’aménagement et que nous ne pouvons intervenir que de façon ponctuelle - ne témoignent que d’une occupation antique, bien plus rarement d’une occupation se prolongeant jusque dans l’antiquité tardive. Nous avons souvent, après, une grande période où il ne se passe rien sur le site qui ne sera réutilisé que vers les IXe/Xe siècle. Cela peut être un habitat qui va de nouveau se développer ou bien des sépultures ou un cimetière. C’est le cas de la villa de Belmont, à côté de Royan, que j’ai fouillée en 1999. A Jonzac, ce qui est un peu particulier, c’est d’avoir ainsi sept siècles d’occupation ininterrompue. Cela reste vraiment exceptionnel et malheureusement nous n’avons pas beaucoup de sites comparables qui ont été fouillés à ce jour. Il en existe probablement d’autres, mais que nous ne connaissons pas. Toutefois, dans le département, il y a un autre site qui va nous apporter bien des informations, celui de Saint-Saturnin-du-Bois (à côté de Surgères) qui est fouillé par mon collègue, Léopold Maurel, et qui semble présenter une occupation s’étendant aussi sur une durée assez longue. Nous retrouvons là le même type de bâtiments très importants, très probablement une autre villa aristocratique. Il y aura sans doute des parallèles intéressants à relever entre ces deux sites mais pour l’instant la villa de Jonzac reste tout à fait singulière.
Les différentes campagnes de fouilles vous permettent-elles de préciser le statut social et culturel des propriétaires de la villa ?
C’est vrai que, depuis 2003, chaque campagne a apporté son lot de surprises et de découvertes. Le résultat de tout cela, c’est que nous connaissons très bien comment s’organise en plan la pars urbana de la villa et on sait que nous avons affaire à des propriétaires qui appartiennent à l’aristocratie gallo-romaine. Déjà la superficie occupée par cette habitation qui fait plus de 3 550 m², nous renvoie à l’univers des grands domaines comme celui de Montmaurin (Haute-Garonne) pour ne situer qu’un exemple de ces villae luxueuses. Ce lien à la classe aisée se traduit encore dans la matérialité même du bâtiment, par des pièces qui disposent d’un chauffage par le sol, des thermes qui possèdent un décor recherché….
Dès le deuxième siècle, la villa dispose d’un habitat d’apparat destiné à recevoir les hôtes importants. Il s’agit d’un triclinium, un bâtiment qui fait à lui seul 20 m de longueur sur 15 m de largeur. C’est déjà fort conséquent avec un riche décor d’enduits peints. La construction du bâtiment nous renvoie donc vers une famille de « puissants » qui a pu compter au plan local ou encore exercer des fonctions publiques dans l’administration ou l’armée. Certes, au niveau du matériel archéologique que nous avons pu recueillir, cela reste des choses très traditionnelles, habituelles sur un tel lieu mais, de temps en temps, nous exhumons des objets un peu plus originaux, comme ce petit candélabre en bronze dont on ne connaît que très peu d’exemplaires en Gaule. Nous avons là des petits objets qui montrent qu’on a affaire à des gens qui jouissaient d’un statut social assez élevé.
Alors que vous nous retracez le cadre de vie de ces aristocrates gallo-romains, est-il possible de préciser sur quoi pouvait reposer l’assise matérielle et économique de la villa ?
Aujourd’hui nous ne pouvons faire que des suppositions car nous n’avons travaillé que sur la partie « habitation » (pars urbana) de la villa mais nous commençons à apercevoir un petit peu la réalité de la partie « agricole » (pars rustica) qui constituait réellement le poumon économique du domaine. Nous savons qu’immédiatement au nord de la villa il y avait des parcelles cultivées, à savoir des vergers dont on a retrouvé la trace lors de la fouille préalable à la construction du grand jet d’eau qui jouxte le centre nautique des Antilles. Première indication. Se développe aussi à l’Est de l’habitation toute une cour agricole autour de laquelle nous allons retrouver plein de bâtiments : nous en connaissons un de type « grange » ou « chai » malheureusement mal conservé. Bien que nous n’ayons pas aujourd’hui de certitude sur l’économie de la villa, nous pouvons facilement imaginer ce qu’il pouvait y avoir : de l’élevage d’abord, des activités céréalières, et puis nous sommes aussi dans une région où l’activité viticole est très présente dans l’antiquité et cela de façon très précoce. Nous avons quelques indices pour supposer cela à propos de la villa de Jonzac, à savoir une serpette qui est un ustensile que l’on ne trouve aujourd’hui que dans les villae viticoles, des sarments de vigne qui ont été découverts dans le fond d’un puits, et d’une façon plus anecdotique, c’est, sur un enduit peint – la représentation d’une grappe de raisin. Nous pouvons donc imaginer que cette activité viticole devait être présente ici. Finalement tout cela nous oriente vers une économie rurale diversifiée. Toutefois c’est la fouille de la cour agricole qui nous permettra d’en savoir un petit peu plus dans ce domaine.
Voilà qui est prometteur mais cette dernière campagne de fouilles vous ouvre-t-elle déjà de nouvelles perspectives ?
La campagne de fouilles de cette année confirme le fait que nous avons bien affaire à une villa aristocratique. C’est d’une part la présence d’un habitat d’apparat dès le deuxième siècle de notre ère. Cette construction s’organise autour d’une cour d’honneur avec un sanctuaire à l’intérieur et une valorisation de la vallée de la Seugne qui offre une « monumentalisation naturelle » de l’entrée de la villa. D’autre part, ces dernières recherches nous permettent de poser de nouvelles questions. Ainsi, si nous voyons bien comment s’organise l’architecture de ce grand bâtiment, ce que nous ne connaissons pas, c’est la partie centrale, la cour d’honneur. Bien des choses prometteuses se dessinent car nous avons là – et c’est très rare - une cour conservée avec une stratigraphie sur des niveaux préservés de près de 30 cm. Il nous faudra donc tenter d’esquisser l’aspect environnemental de cette cour, voir si on n’y a pas des traces de plantations. J’imagine assez bien une cour très arborée, avec une recherche de mise en scène. Cela nous ouvre beaucoup de perspectives sur la suite. Nous pensions terminer cette année le programme de recherches en 2009 et il s’avère qu’il va falloir poursuivre parce qu’apparaissent ainsi des éléments très intéressants d’un point de vue environnemental.
De nouveaux chantiers de fouilles en Charente-Maritime dans les mois à venir ?
Des opérations d’archéologie préventives sont déjà programmées, et elles ne manquent pas parce que nous sommes dans un département qui aménage beaucoup, que cela soit le fait du département ou des aménageurs privés. Nous intervenons sur des sites comme les déviations, les lotissements et pour les six mois qui viennent les archéologues départementaux ne vont pas chômer… Et puis, à côté de cela, il y a les opérations de recherches, les fouilles programmées comme Jonzac, Saint-Saturnin du Bois et le site de Barzan bien sûr, même si le département y est un peu moins engagé. Difficile en effet d’être partout et en particulier de suivre deux fouilles programmées mais nous voyons bien que nous avons dans le département un potentiel archéologique qui permet à notre service de faire à la fois de la recherche et de l’archéologie préventive. Mais cette dernière passe en premier pour permettre un aménagement du territoire qui ne freine pas trop les acteurs socioéconomiques du département.
Propos recueillis par le père Pascal Delage (site : Caritas Patrum)
Photo 1 : Karine Robin lors de la conférence à Saint Césaire
Photo 2 : le Paléosite de Saint Césaire (près de Saintes) est consacré aux Néandertaliens. A découvrir, à l'entrée, des animaux aujourd'hui disparus dont le mammouth.
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