mardi 12 mars 2019

Quel avenir pour le statut des sapeurs-pompiers volontaires ?

L’arrêt Matzak, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 21 février 2018, en jugeant que le temps de garde d’un travailleur à domicile obligé de répondre aux appels de l’employeur dans un délai bref doit être considéré comme temps de travail, a suscité en France des inquiétudes légitimes pour la pérennité du statut des sapeurs-pompiers volontaires, qui pourraient se voir soumis au code du travail, comme l’a souligné le rapport de la Mission volontariat remis au ministre de l’Intérieur, en mai, et établi par la sénatrice Catherine Troendlé. 


En réponse au courrier adressé par les unions régionale et départementales des sapeurs-pompiers de France, Bernard Lalande, sénateur de Charente-Maritime, les a assurées de son soutien pour maintenir le dispositif des sapeurs-pompiers volontaires. 

Le point de vue de l'Union Syndicale Solidaires SDIS (communiqué - sécurité et santé des sapeurs-pompiers) : 
Le 21 février 2018, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) rendait un arrêt (Arrêt Matzak, affaire C-518/15), lourd de conséquences pour les sapeurs-pompiers volontaires français.

L'Europe, une volonté indéfectible d'améliorer la sécurité et la santé au travail :

L'Europe s'est construite après guerre, le but étant d’assurer une paix durable sur le continent. Le traité instituant la Communauté européenne (article 118 A du traité de Rome en 1957) prévoit que le Conseil arrête, par voie de directive, des prescriptions minimales visant à promouvoir notamment l’amélioration du milieu du travail, afin de garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Dans ce but, une première directive de 1989 (89/391 du 12 juin 19892) a défini les règles générales concernant la mise en œuvre des mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. Elle a notamment définit les obligations des employeurs, et des règles relatives au service de protection et de prévention, à l'information et à la formation des travailleurs, etc.
La directive de 1993 (93/104 du 23 novembre 1993), n'a fait que "traduire" par des mesures concrètes les principes de la directive de 1989. La directive tant décriée de 2003 (2003/88 du 4 novembre 20034), est l'issue d'un processus de révision tous les 10 ans de la directive de 1993. Compte tenu de l'impossibilité de trouver un accord entre les partenaires concernés sur une deuxième révision en 2013, la directive de 2003 est toujours en vigueur.

L'Europe a exprimé, au travers d'une directive, sa volonté d'améliorer la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, il y a maintenant près de 30 ans. Répondant à un courrier adressé par L'union Syndicale Solidaires des SDIS à M. Jean-Claude Juncker, la Commission Européenne a répondu qu'elle n’envisage pas de proposer une révision de la directive sur le temps de travail ou une autre initiative législative complémentaire qui aurait trait à la situation des sapeurs-pompiers volontaires.

• L'Europe considère que les sapeurs-pompiers volontaires sont des travailleurs :

C'est bien la directive de 1989 (et non celle de 1993 ou 2003), associée à la jurisprudence de la CJUE, qui définit quels sont les critères déterminants de la classification en travailleur et dons par voie de conséquence de l'application des directives de 1993 et 2003. Il doit y avoir un critère de subordination et une rémunération (salaire, indemnité ou vacation) et surtout des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires.

Ces principes ont été réaffirmés par l'arrêt Matzak du 21 février 2018, qui a précisé que les gardes à domicile du SPV belge, correspondant aux astreintes françaises, sont des temps de travail et non des temps de repos, les deux notions étant exclusives l'une de l'autre pour l'Europe.

• La position de la France face à l'amélioration de la sécurité et la santé au travail :


Face à cette volonté de l'Europe, et pour ses sapeurs-pompiers volontaires, la France a opposé une volonté de ne pas appliquer les directives prévues pour améliorer leur sécurité et leur santé.
Une première loi en 1996 (96-370 du 3 mai 19968), parue juste avant la fin du délai de transposition de la directive de 1993 (23 novembre 1996), ne reprend aucune des mesures concrètes de la directive. Le Conseil d'Etat s'est borné à déclarer en 1993 (avis N° 353 155 - 3 mars 19939) que "Les sapeurs-pompiers volontaires sont des agents publics contractuels à temps partiel qui exercent, dans les conditions qui leur sont propres, la même activité que les sapeurs- pompiers professionnels".
Fort de cette déclaration, la France ne considère pas ses sapeurs-pompiers volontaires comme des travailleurs et les empêchent donc de bénéficier des effets de la directive de 1993 et de 2003.
Une seconde loi en 2004 (2004-811 du 13 aout 200310), quelques mois après la publication de la directive 2003/88 du 3 novembre 2003, créé l'article 5-1 de la loi de 1996, qui scelle définitivement le statut de non travailleur des sapeurs-pompiers volontaires français, en droit interne : "Les activités de sapeur-pompier volontaire, de membre des associations de sécurité civile et de membre des réserves de sécurité civile ne sont pas soumises aux dispositions législatives et réglementaires relatives au temps de travail".
Une troisième loi en 2011 (2001-851 du 20 juillet 201111), paraît au moment où il est question de la deuxième révision de la directive de 1993 et de soumettre explicitement les sapeurs-pompiers volontaires à la future directive de 2003 révisée. Elle continue à "bétonner" leur statut de non-travailleur. C'est ainsi que la France a légiféré : "L'activité de sapeur-pompier volontaire est à but non lucratif. Elle ouvre droit à des indemnités horaires ainsi qu'à des prestations sociales et de fin de service" (actuel article L723-5 du Code de la sécurité Intérieure12) ou encore "Ni le code du travail, ni le statut de la fonction publique ne lui sont applicable" (Actuel article L.723-8 du Code de la Sécurité Intérieur13). Elle profitait de cette occasion pour baptiser en "indemnités" les "vacations" de 1996.

• La France fait la sourde oreille aux rappels du droit européen :

En 2005, peu après la loi de 2004 déjà contraire aux dispositions des directives de 1993 et 2003, une jurisprudence de la CJUE (Affaire C-52/04 du 14 juillet 2005 des pompiers de Hambourg) rappelait, mais en vain, que les activités exercées par les forces d'intervention d'un service public de sapeurs-pompiers relèvent normalement de la directive 2003/88.
En 2010, 2011 et 2012, au moment des débats de la deuxième révision de la directive de 1993, plusieurs eurodéputés ont interrogé la Commission européenne qui a systématiquement confirmé l'application de la directive de 2003 aux SPV français. Alors que certains SPV français travaillent plus que des professionnels, rien qu'en garde postée sans compter leurs astreintes, pour l'Europe, les SPV français sont des travailleurs soumis à la DE 2003/88.
Le 21 novembre 2018, la commission européenne rappelait une nouvelle fois à la France la définition d'un travailleur (activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires).

• Trente ans après la directive de 1989, vingt cinq ans après la directive de 1993, quinze ans après la directive de 2003, un an après l'arrêt Matzak, les SPV français ne disposent toujours pas des droits issus de l'Union Européenne, indispensables pour assurer l'amélioration de leur sécurité et de leur santé.

• Un problème de santé et de sécurité pour les SPV comme pour les SPP : 

Il ressort de la situation juridique des sapeur-pompiers volontaires français, qu'après avoir réalisé une journée de travail dans son activité professionnelle principale de chauffeur de camion ou de bus par exemple, peut immédiatement après cette activité, et alors même qu'il se trouve sur un repos de sécurité, travailler en qualité de sapeur-pompier volontaire dans son SDIS au cours d'une garde de nuit, conduire des véhicules du SDIS et transporter ses collègues en intervention. Et à l'issue de sa garde de nuit, il peut même reprendre son travail principal de chauffeur de camion ou de bus.

• Des raisons essentiellement économiques :

Au cours de la séance de la commission des affaires européennes en novembre 2018, le Sénat a émis un avis politique sur les règles européennes et le statut des sapeurs-pompiers volontaires. Le président de la Commission, André Reichardt a indiqué : "Les conséquences de l'arrêt sont aussi potentiellement financières si les astreintes sont considérées comme du temps de travail et donc rémunérées ou si des sapeurs- pompiers supplémentaires venaient à être recrutés. Cet impact budgétaire est malheureusement - ou heureusement, pour notre tranquillité - impossible à chiffrer avec précision à ce stade".
L'aspect financier sera repris par de nombreux sénateurs : Simon Sutour "Le pompier volontaire des villes est quasiment un permanent, mais qui a pour la collectivité l'avantage de coûter beaucoup moins cher qu'un professionnel. Il a une indemnité même s'il n'a pas l'avantage d'avoir un emploi permanent". Ou encore M. Franck Menonville : "Une professionnalisation complète de la sécurité civile coûterait plus de 2,5 milliards d'euros". Trop peu de sénateurs ont souligné, comme Didier Marie et de Laurence Harribey ont su le faire, que la directive 2003/88 concourt à améliorer les conditions de travail des salariés en général. 

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