S’inspirant d’une fresque du grand dortoir de l'abbaye relatant l’épisode biblique de Tobie, les œuvres (photographie, sérigraphie, sculpture, dessin) associent l’optique et le psychique en mobilisant l’acuité du regard.
« Si tu poses sur des charbons une petite partie du cœur, la fumée qui s’en exhale chasse toute espèce de démons, soit d’un homme, soit d’une femme, en sorte qu’ils ne peuvent plus s’en approcher. Et le fiel sert à oindre les yeux couverts d’une taie, et il les guérit » (Ancien Testament, Livre de Tobie). Ainsi, suivant les indications de l’Ange Raphaël, Tobie, à l’aide des viscères d’un poisson, soigna son père de la cécité qui l’affligeait et délivra de ses mortels démons Sara qu’il épousa.
Comme l’une des quatre fresques murales du grand dortoir de l’abbaye de Trizay évoque l’épopée initiatique du jeune Tobie, soigneur des yeux et de l’esprit, les œuvres choisies dans la collection du Fonds Régional d’Art Contemporain Poitou-Charentes lient l’optique et le psychique.
Dans le dortoir, royaume des paupières closes et des divagations oniriques, le prieur commendataire avait pris soin d’offrir aussi, sous la forme de peintures a fresco, des images à ses yeux ouverts. Des images contemporaines leur sont adjointes.
Dans le petit dortoir, sous les regards pénétrants des enfants télépathes de la série de dessins Le village des damnés d’Erwan Venn, Weronika AP, sculpture d’Anna Baumgart, représentation lacunaire d’une femme blessée, visage masqué d’un linge, semble s’exposer à un rayonnement vigoureux.
Sous la forme d’un tableau aussi ambigu qu’efficace, Francis Baudevin, dans un élan justicier et pour une hygiène du regard, s’applique à réintroduire dans le champ de l’art, le graphisme d’emballages de médicaments inspirés de la peinture abstraite géométrique.
Dans le grand dortoir, les impeccables flous photographiques de John Hilliard, de Patrick Tosani et de Bernhard Johannes Blume mènent graduellement du trouble de la vision au trouble de la raison. Une œuvre de Jean-Pierre Raynaud, de sa série Psycho Objets, matérialise l’univers mental de l’artiste en initiant sa démarche de retrait du monde semblable à une vie monastique.
Plus loin, les yeux sans regard des Messdiener, sculptures de Martin Honert, évoqueraient aussi bien, sous leurs atours religieux, l’introspection –regard en soi– que la foi aveugle. Enfin, et comme en contre-point, la séduction ultime du monochrome rouge de Liz Deschenes et les Voyeurs d’Ernest T. posent le regard comme une pulsion qui demande à être satisfaite.
Alexandre Bohn, directeur du FRAC Poitou-Charentes, mars 2015.

Abbaye de Trizay 05 46 82 34 25 tourisme.trizay@wanadoo.fr
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